Latifa Zouhir: La Reine de Radio Tunis Chaîne internationale et de la Télévision
Par Farouk Zouhir - «On ne naît pas femme, on le devient». A travers cette phrase, Simone de Beauvoir résume parfaitement la teneur de la lutte que doit mener une femme pour exister : celle de construire son propre destin en s’affranchissant de la prison que représente son genre.
Latifa Zouhir faisait partie de ces femmes qui refusèrent d’accepter le diktat du genre et du chemin tout tracé qu’il tente d’imposer. Née en 1933 dans le quartier de Bab Jedid, elle perdit son père de manière brutale à l’âge de 18 ans et décida d’épouser l’année suivante l’homme qu’elle aimait, le pharmacien Moncef Zouhir. Il eut été tout à fait raisonnable de penser que ce mariage expéditif, dans une société régie par le conservatisme pré-indépendance, signifierait le choix d’une vie de femme au foyer, totalement dédiée à la construction de sa famille. Mais les aspirations de Latifa furent tout autres. Encouragée par son mari, elle passa son baccalauréat puis entama un cursus de lettres modernes à la faculté de Tunis alors qu’elle venait de donner naissance à son premier fils, Aziz, en 1953.
Sa passion pour les lettres rythmera sa vie et la poussera à poursuivre ses études en France et ce malgré la naissance de sa fille Aida. Elle rejoignit d’abord la faculté d’Aix-en-Provence pour en sortir avec une maîtrise de lettres, puis la Sorbonne où elle obtint un doctorat en lettres modernes, grâce à une thèse sur les auteurs francophones d’Afrique du Nord. Elle gardera pour ce sujet un intérêt permanent, au point où sa dernière lecture fut le Pharaon d’Albert Memmi.
La radio en passion
En 1970, le regretté Mohamed Ben Smail, directeur général de la RTT, lança Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI) en faisant le pari audacieux de l’ouverture culturelle, de la diversité et de l’internationalisation. Il donna les clés de la programmation à Latifa, qui signa conventions et partenariats avec les radios francophones afin d’offrir des programmes de qualité aux auditeurs tunisiens et permettra à RTCI de rejoindre l’Association internationale des radios et télévisions.
Soucieuse de la pérennité de la chaîne et du rôle essentiel de la transmission dans l’entreprise culturelle, elle s’attela à former une génération de présentateurs et de journalistes qui feront la réputation de la chaîne et reconnaîtront son héritage après son départ.
En ambassadrice et en romancière
Au début des années 1980, elle fut appelée à la tête de la direction des relations internationales de la RTT avec comme mission d’établir des liens forts avec les pays francophones afin de créer ces ponts qui permettront à la Tunisie, à travers les échanges culturels, d’occuper la place qui lui revient sur la scène internationale. Son plus grand accomplissement fut le protocole d’accord entre la RTT et l’Office de radiodiffusion-télévision française (Ortf) qui permit à la Tunisie d’avoir accès aux programmes culturels français et contribua à la formation et l’éducation de toute une génération.
Son amour pour la culture et la langue française la suivit jusqu’à la fin de sa vie et la conduisit à dédier sa retraite à la lecture, aux manifestations culturelles mais surtout à l’écriture. Elle publia Clair Obscur, son premier roman, en 2017 à Paris aux éditions l’Harmattan, puis fit paraître deux ans plus tard son deuxième opus, Il était une fois le bonheur, aux éditions Arabesques, et s’éteignit sans avoir pu coucher sur le papier les dernières pages d’Errances, le roman qui occupa ses derniers mois.
Tout au long de sa vie, Latifa aura prouvé que le destin d’une femme ne se résume pas à un choix entre un parcours professionnel riche et une vie de famille équilibrée. Elle fut une mère aimante pour ses enfants, une compagne de vie inspirante pour son mari et une amie loyale au talent de conteuse hors pair pour ses proches à qui elle manque cruellement.
Elle s’en est allée sans bruit, en laissant le souvenir d’une femme qui transcende sa naissance pour construire elle-même son destin, en se libérant des codes sociaux étroits grâce à l’immensité de la culture.
Nous ne l’oublierons pas..
Farouk Zouhir
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Voila un parcours qui me fait plaisir de lire et qui m'aide à apaiser ma déprime du moment, pendant que la Tunisie traverse la pire souffrance de sa décadence historique.
Farouk Zouhir offre autant de bonheur à le lire qu’il enrichit la fierté tunisienne d’avoir compté parmi nous une figure aussi exemplaire que Latifa. Un infime détail à rectifier; En 1953, pas de Faculté de lettres à Tunis. Juste un Institut des Hautes Études, rue de Rome (j’en étais) avec des professeurs aussi étincelants que Raymond Barre, François Chatelet, De Bernis... Latifa Zouhir fut l’enfant de l’histoire de la colonisation qui reste à écrire.
Presqu'une biographie, cet article condensé retrace la vie simple et pourtant bien remplie d'une DAME qui a su allier les responsabilités d'une merveilleuse épouse, mère et cheffe de famille à celles d'administratrice des lourdes fonctions que le devoir national lui a fait supporter. Je regrette franchement de ne pas l'avoir connue, je l'aurais, alors, compté parmi mes amis les plus chères.
Les belles âmes creusent leur sillon dans l'engagement et quittent la scène en silence...Merci pour ce tendre et édifiant témoignage alors que la culture dans notre pays s'englue dans le marécage de la nauséabonde "politique".
C'est un magnifique hommage à une femme exceptionnelle ..paix à son âme
Madame Zouhir était à la fois une très belle femme et une grande dame. Elle a réussi là où elle a officié notamment à la RTT. Paix à son âme. Mourad Guellaty