Mohamed Gueddiche: Le Maghrébin
Par Pr Abdellatif Chabbou - De l’école de Kairouan à nos jours, jamais la médecine dans les pays du Maghreb n’a été si unie comme elle le fut le jour où une poignée de médecins des trois pays (Algérie, Maroc et Tunisie) ont posé en 1965 les fondements de ce qui allait devenir le symbole de l’union médicale au Maghreb : les Journées médicales maghrébines, précurseurs du Congrès médical maghrébin (CMM) qui vit le jour en 1971.
C’est sous l’angle de sa passion pour l’union maghrébine que j’évoquerais la mémoire du cher disparu Si Mohamed.
Le hasard m’avait amené à le rencontrer lors de la 6e édition du CMM à Casablanca où l’abondance des présentations scientifiques n’avait d’égale que l’hospitalité légendaire des collègues marocains, offrant le soir une détente fastueuse après les journées studieuses.
Depuis, il affichait présent au rituel annuel de la médecine maghrébine.
Outrepassant la politique, sur les pas des prédécesseurs du 115 Bd Saint Michel unis jadis par le rêve de l’indépendance et de l’unité, nous étions convaincus du rôle des instances scientifiques dans l’invention d’un avenir commun et la construction du Maghreb.
Tout en reconnaissant à l’émulation ses bienfaits, Si Mohamed prônait l’esprit de concorde et de fraternité. Le Congrès médical maghrébin était pour lui l’occasion de choix pour tisser des liens plus solides que le simple échange scientifique professionnel. Il lui accordait une tout autre dimension à la fois culturelle et humaine, celle d’une puissante locomotive de l’entente intermaghrébine.
Pendant les moments les plus délicats dans l’histoire des relations entre les pays du Maghreb, les confrères algériens et marocains s’évertuaient, encouragés par les membres de la Stsm et son président d’honneur Si Mohamed, à braver les difficultés pour ne pas manquer le sacré rendez-vous de mai, enjambant les obstacles frontaliers et empruntant les itinéraires les plus rocambolesques pour contourner l’absence de liaisons aériennes directes.
L’histoire retiendra que des médecins maghrébins comme lui ont défié les dissensions pour continuer à tisser la trame d’une réelle intégration des populations du Maghreb. Plus que d’être algériens, marocains ou tunisiens, ils se réclamaient d’appartenance maghrébine.
Regroupant les médecins de trois pays seulement, les collègues mauritaniens et libyens ont été intégrés pour la première fois lors du 29e CMM en 2000 à Hammamet.
Si Mohamed était au comble du bonheur lors du CMM dont il soutenait la préparation sur plusieurs éditions.
Sa présence aux réunions du jury du prix Bourguiba de médecine était l’occasion de révéler sa sagesse et son art de substituer le mérite scientifique à la passion en prônant l’union et la concorde. Il aimait se reconnaître en sa « maghrébinité ».
Se distinguant par son affabilité coutumière, sa bonhomie contribuait à nos détentes après le marathon des tables rondes et communications scientifiques. Il s’évertuait à nous mettre à l’aise, ignorant la différence d’âge. On pouvait lui appliquer le concept de notre maître le Pr Brahim El Gharbi : « On est vieux quand on cesse d’aimer les jeunes ». Si Mohamed aimait les jeunes, était toujours à leur écoute et savait les mettre à l’aise. Il était jeune.
Si Mohamed a été élu vice-président de la Société tunisienne des sciences médicales (Stsm) en 1984 puis président en 1987. J’avais ainsi assisté comme rédacteur en chef de la Tunisie Médicale, organe de la Stsm, près de vingt ans durant, à l’attention qu’il accordait à sa parution régulière. Paraissant depuis 1901, ce fleuron des publications scientifiques tunisiennes souffrait du manque de moyens pour sa parution régulière.
L’appui des professeurs Mohamed Zegaya et Mohamed Gueddiche durant leurs mandats respectifs était déterminant pour l’évolution de la revue vers un périodique mensuel et la création de la fonction de rédacteur en chef, ce qui a permis son indexation aux références internationales, sa parution régulière et l’introduction des langues arabe et anglaise pour les abstracts ou certains articles et numéros entiers.
Président d’honneur de la Stsm, il a continué la mobilisation des ressources pour aider à la parution régulière du seul espace national de publication indexé offert à la communauté médicale tunisienne à l’époque, les jeunes tout particulièrement. Il défendait farouchement la Tunisie Médicale, miroir de la recherche médicale en Tunisie.
Cette même flamme avait permis d’entamer l’organisation de la bibliothèque de la Maison du médecin et d’envisager son plan d’informatisation à une époque où l’informatique n’était qu’un privilège, en permettant aux membres du bureau de la Stsm de bénéficier de cours d’informatique pendant 6 mois au centre Bourguiba de micro-informatique.
L’admission de la Stsm comme membre au Conseil économique et social des Nations unies en 1999 (Ecosoc) était une prouesse qui lui devait beaucoup.
Croyant à l’importance du rôle communautaire du médecin, il a contribué à la lutte antitabac en tant que membre de la ligue contre le tabagisme, et aux préoccupations professionnelles, il a associé le bénévolat pour servir pleinement dans la vie associative culturelle, sociale, sportive et scientifique.
Cher Si Mohamed, avec votre départ, la médecine maghrébine est en deuil.
Vous avez rejoint ses bâtisseurs de la première heure : Pr Ali Maaouni, Pr Bechir Mentori, Pr Said Mestiri et tous les fondateurs.
Vous manquerez à tous les collègues du Maghreb.
Reposez en Paix.
«Certes nous sommes à Dieu, et c’est à Lui que nous retournerons ».
Pr Abdellatif Chabbou
Ancien président de la Société tunisienne des sciences médicales
Président du Croissant-Rouge tunisien
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