75ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale: comment Monastir a vécu la guerre
Par Mohamed Bergaoui - Comment Monastir a vécu la 2ème guerre mondiale ? D'abord, un bref rappel de quelques dates afin de bien préciser le contexte socio-économico-politique dans lequel vivait Monastir que bien de voyageurs ont visité tout le long de sa longue histoire. Et puisque nous somme en Allemagne je me contenterais de citer Le Prince Pückler Muskauet le Missionnaire Christian Ewald qui ont visité la Tunisie et Monastir en 1935.
La Tunisie, Protectorat français depuis 1881 avec l'encouragement et la bénédiction du célèbre Chancelier Otto Von Bismarck n'a pas tardé à engager sa bataille pour l'indépendance sous la houlette du Néo Destour présidé par le jeune avocat Habib Bourguiba. Auparavant le vieux Destour créé en 1920 n'arrivait pas à s'imposer. Lui succédant, en 1934, le Néo-Destour de Bourguiba, s'engagea depuis dans une lutte qui a duré plus de 20 ans avant d'aboutir à l’autonomie interne le 3 juin 1955 puis à l'indépendance totale du pays le 20 mars 1956.
Régence de l'empire Ottoman en dislocation depuis 1574, protectorat français frisant la colonisation de fait, la Tunisie subissait de plein fouet les affres d'une guerre où elle n'a jamais été partie prenante. Et l'un des moments le plus délicats et le plus difficile de cette histoire correspond au débarquement des forces de l'Axe en Tunisie et leur déploiement dans toutes les grandes villes stratégiques principalement. Et Monastir, ville stratégique par excellence, ne pouvait pas échapper à son destin.Entourée de son rempart, Monastir comptait 10 mille âmes ainsi que plusieurs italiens et maltais et peu de français.
Monastir s'appelait Ruspina du temps des phéniciens, des carthaginois et des Romains avant d'être conquise par les Arabes d'être arabe. Ces derniers y édifièrent le premier Ribat (en 796) d'une véritable chaine allant d'Alexandrie en Egypte à Ceuta au Maroc, Monastir accueillait, le 9 novembre 1942, les soldats allemands avec une sorte de joie mêlée de peur. Ce sentiment mitigé s'explique par les souffrances endurées par une population pauvre et marginalisée que le colonisateur français n'hésitait pas à malmener sans compter les militants qu'elle jugeait par un simulacre de procès et à en massacrer un bon nombre afin d'en faire un exemple pour les autres.
Campagne de charme des soldats allemands
Pour bien de monastiriens, l'arrivée des forces de l'Axe et particulièrement des soldats allemands représentait une faible lueur d'espoir de délivrance qui décupla par un comportement quasi exemplaire de ces mêmes soldats.En effet, le nouvel occupant dont on ne connaissait que trop les visées adoptait, par tactique, un profil bas en offrant un visage des plus humains afin de plaire et de rassurer.
Désorientée, la population l'était. Et pour cause : Les principaux militants étaient emprisonnés en France et plus précisément au Haut-fort Saint Nicolas depuis les événements sanglants du 9 avril 1938 à Tunis qui ont fait 22 morts et 150 blessés. D’autres militants étaient emprisonnés en Tunisie. Résultat : une partie des destouriens s’engageait corps et âmes avec les forces de l’Axe qui tout en faisant sortir les militants de prison leur laissaient le champ d’activité politique et de rassemblement libre, l’autre partie gardait une position neutre et attentiste. Ni enthousiasme excessif ni opposition farouche. Pour eux, la question méritait réflexion et pour cause ; l’engagement avec l’Axe ne manquerait pas de tout remettre en cause au cas où cette coalition venait de perdre la guerre. Au cas contraire, l’indépendance serait-elle garantie ? Rien n’était moins sûr.
Si pour les premiers, l’ennemi de mon ennemi est, de facto, mon ami, pour les seconds, ce dicton n’avait pas beaucoup de signification. On préférait renvoyer dos à dos les forces des Alliés et ceux de l’axe.
La ville militante de Monastir dont le Maréchal Rommel, commandant de « l’Africakorps », avait fait une étape importante de sa retraite à travers la Tunisie, n’échappa pas à ce dilemme. Quelques semaines après l’entrée des forces de l’Axe à Tunis, le Dr. Habib Thameur, Président du Bureau Politique du Néo Destour organisa, dès sa sortie de prison, une première réunion à Monastir. Dans son discours, il indiqua qu'il avait choisi « Monastir, comme première étape de sa tournée à travers le pays, parce que je crois qu’elle est la Perle du Sahel » ajoutant que cette ville qui a « enfanté le Combattant Suprême et Hédi Nouira, Chedly Kallala et Hédi Khéfacha mérite d’être à l’avant-garde de la lutte nationale ».
Cette réunion qui se tint dans le Patio de la mosquée Hanéfite, au centre de la ville de Monastir, eut un grand succès mais se déroula sans la présence des principaux membres de la Cellule Destourienne de Monastir dont principalement, Chedly Ghédira qui ne partagea pas les vues du 6ème Bureau Politique présidé par Dr. Matri et encouragé par Moncef Bey qui accéda au trône le 19 juin 1942.
Faut-il s’étonner de ce que nous pouvons appeler comme un succès des forces de l’Axe et particulièrement des forces allemandes qui avaient vite fait de recueillir la sympathie d’une importante frange des citoyens de l'ancienne Régence et bien entendu ceux de la ville de Monastir ?
Nombre de personnes qui ont vécu cette période et que nous avons contacté, ont exprimé l’intelligence avec laquelle les soldats allemands s’étaient comportés.
Les soldats allemands offraient des sucreries (bonbons et chocolat) aux enfants, faisaient de leur mieux pour entrer en contact avec les monastiriens. Ils y parvenaient avec beaucoup de bonheur. Ce comportement contrasté avec celui des soldats français faisait apparaître les Allemands comme les sauveurs d’une situation réellement très difficile. Mieux encore, nous révèle Mohamed Salah Chedly, fervent admirateur des forces allemandes, de leur droiture et de leur sens inné de l’organisation et de la discipline : « ils nous rendaient justice chaque fois qu’un soldat italien maltraitait un Monastirien ou lui vole un bien quelconque. Et c’était très fréquent ».
Pour celui qui avait poussé les choses jusqu’à apprendre des bribes de la langue allemande, le comportement des soldats italiens laissait à désirer. ‘’Maltraitant la population locale, volant poules et autres biens, ils avaient vite fait d’exaspérer une population déjà martyrisée par les forces de l’occupation, dit-il ajoutant que « la justice rendue par les officiers allemands faisait apparaître ces derniers comme des sauveurs en puissance ».
Parmi les exactions des soldats Italiens, citons l’affaire du village de Ksibet Medouini, village à quelques encablures de Monastir. Le 14 avril 1943, des soldats Italiens complètement ivres tentèrent de forcer l’entrée de la maison d’un citoyen et d’intenter à la pudeur de sa femme. Il parvint avec beaucoup de difficultés à les faire sortir. Mais en même temps une fausse nouvelle se propagea dans la ville faisant état de violences contre trois soldats allemands par la population locale. Sans vérifier la véracité de cette information, le chef militaire de la localité ordonna à ses soldats d’encercler le village et de mener des actions de représailles. Bilan : 8 morts et 16 blessés. Le lendemain, une grande manifestation de soutien aux citoyens de la ville de Ksibet Mediouni fut organisée avec la participation des populations du village voisin de Ksibet Médiouni. Une importante délégation de la ville de Monastir conduite par le Président de la Cellule Destourienne, Chedly Ghédira était présente à cette manifestation.
Celui qui avait dès le départ insisté sur la neutralité du Néo Destour vis-à-vis des Alliés et de l’Axe, profita de l’occasion pour réitérer ses positions en envoyant dos à dos les deux forces en présence. C’était dans un discours prononcé au siège de la Cellule Destourienne de Monastir en réponse à des tentatives d’exploitation de quelques jeunes Monastiriens par les forces allemandes.
La Cellule Destourienne de Monastir était en perpétuel éveil. Et quand l’affaire du trafic de blé éclata au grand jour, dans la ville de Monastir, le Président de la Cellule Destourienne n’hésita à demander audience à Moncef Bey, intronisé le 9 novembre 1942. Il s’y présenta à la tête d’une délégation et lui expliqua, en présence de son ministre de l’Intérieur qui n’était autre que Dr. Habib Thameur, la situation difficile que vivaient les citoyens de la ville de Monastir et l’ampleur du trafic de blé qui, tout en privant la population de son dû, privilégiaient quelques gens véreux de l’administration et leurs sbires.
Bref, l'arrivée des allemands a tout simplement créé une scission au sein du Parti. Le nombre des monastiriens sympathisant avec les forces allemandes n'était pas négligeable et allait en s'agrandissant. Hédi Ben Amira Makhlouf, Khalifa Ben Khalifa Bou Ali, Abdessalam Ben Mohamed Bourguiba, Ameur et Ibrahim Ben M’Hammed Triki, Mansour Ben Hmida Baghdadi, Mohamed Ben M’Hamed Chaouch, Salah Ben Mohamed Salah Zoukar et Abdessalam et Kacem Ben Salem Gaddour.
Les juifs de Monastir et l'arrivée des Allemands
Poursuivant notre enquête sur ce pan d'une histoire peu voire mal connue, on a fini par atterrir à Paris sur les traces d'un éminent journaliste juif d'origine monastirienne. J'ai nommé le célèbre Guy Sitbon, l'un des fondateurs et éditorialiste du célèbre hebdomadaire français le "Nouvel Observateur".
En ce jour de novembre 1942, la paisible ville de Monastir savait que les soldats allemands allaient arriver sous peu. Certains pensaient qu'ils ne pouvaient être pires que les gendarmes français. Et on était partagé entre l'appréhension et l'espoir. Cela n'était pas le cas de la vingtaine des familles juives qui vivaient toujours à Monastir. Une communauté de près de 200 personnes.
Et Guy Sitbon de poursuivre : "Non seulement on savait qu'ils allaient embarquer mais on savait aussi qu'ils allaient investir la salle de fête (juste à côté du marché municipal) en face de chez nous, pour en faire leur quartier général en même temps que disposer leur logistique. Je n'avais que 10 ans et suivais leur installation à travers la fenêtre de ma chambre en restant un long moment sur la pointe des pieds", ajoutant : "Juste après ce spectacle je suis tombé malade en attrapant une jaunisse vraisemblablement consécutive à cette grande peur qui m'avait saisie et secoua tout mon être". Dans sa petite tête d'enfant fréquentant l'école française de Monastir, le petit Guy savait de quoi il retournait et voyait l'arrivée des allemands à Monastir comme un mauvais signe. Tous les juifs de Monastir s'attendaient au pire.
Les monastiriens savaient également de quoi il retournait avec les allemands qui ne manqueraient pas de réserver aux juifs monastiriens le même sort que les juifs d'Europe. Mais que pouvait cette vingtaine de familles juives de Monastir devant la machine allemande bien huilée et avançant inexorablement selon les plans bien établis et scrupuleusement appliqués là où ils passaient.
Autant les allemands étaient pleins d'égards et d'amabilité à l'endroit des monastiriens musulmans et européens autant ils commençaient par appliquer leurs dictats envers les juifs. "Sans violence aucune", précise Guy Sitbon. La première mesure était de faire payer des amendes aux juifs et de leur prendre les joailleries de leurs femmes : "Mon père a payé étant assez aisé", dit-il ajoutant que son oncle "Victor Sebag, l'homme le plus riche de Monastir parce que faisant l'usurier, a payé une grosse somme sans compter". Pour les juifs pauvres et ils l'étaient pour la plupart, c'est la Banque qui a payé sur ordre du Pétainiste, l'Amiral Esteva, Résident général de France à Tunis.
Au cours de cette période, le bruit courut que les allemands allaient faire le soir même une rafle pour arrêter tous les juifs et les conduire vers les camps de concentrations. Et là, précise-t-il, avec un large sourire de satisfaction qui lui donnait encore chaud au cœur : "un grand nombre de familles monastiriennes nous proposèrent de venir passer la nuit chez eux afin d'éviter l'inévitable. Personne n'a bougé de chez lui et les allemands n'avaient rien fait, poursuivant que la situation était confuse et que les derniers bombardements de Sousse par les Alliés prouvaient que l'ennemi est toujours là, plus présent que jamais".
Pour Guy Sitbon, Monastir à l'époque était une petite ville douillette et chaleureuse où "l'autorité religieuse n'a jamais été importante" et où "les notables de la ville n'ont jamais été perçus en fonction de leur appartenance religieuse". Les français étaient quasiment inexistants à part quelques gendarmes et quelques fonctionnaires. Par contre il y avait beaucoup de maltais et d'italiens. Quant aux juifs, ils exerçaient pour la plupart dans les petits commerces.
Au lendemain des bombardements, les allemands qui avaient déjà aménagé un camp pour les juifs de Monastir à côté du port, les envoyèrent à Sousse pour déblayer le port et enlever les gravas occasionnés par les bombardements de la veille ; sachant que biens de soussiens avaient fui Sousse pour venir s'installer à Monastir. La tâche était ardue mais les allemands étaient réglo, dit-il.Ils étaient également polis particulièrement avec son père dont la fabrique de savon répondait avec constance aux commandes des militaires allemands. Ces derniers venaient chercher mon père du camp d'emprisonnement où il était avec les autres juifs. Ils le sortaient juste le temps de faire son travail et d'être payé avant de revenir au camp".
A la question de savoir si on obligeait les juifs de Monastir à porter une étoile, Guy Sitbon répondit :"Non. En tous cas pas à ma connaissance. D'ailleurs, votre question me rappelle une scène fort amusante qui se passa devant toute la famille. Un soldat allemand dessina un jour une croix gammée sur le revers de la veste de mon père mais l'effaça tout de suite après tout en riant et en tapotant sur l'épaule de mon père. Tout le monde riait et l'incident –si on pouvait parler d'incident- était clos".
Bref, l'ambiance était bon enfant. Rien ou presque n'indiquait que quelque chose se préparait ou qu'une guerre se déroulait : "Les soldats allemands déambulaient en ville. Maman, comme à chaque fête du Sabbat servait le couscous à tous ceux qui passaient par notre rue (rue Gabriel Medina aujourd'hui rue Chedly Ghédira). Et un gradé allemand et son adjoint passaient par là. Maman les invita à goûter à son couscous. Je me rappelle encore de leurs noms, dit-il en souriant : "Herbert et Hans avaient aimé ce couscous et ma mère qui était belle ainsi que ma sœur ainée furent aussi ravies de cette rencontre. Ils mangèrent à satiété et quittèrent les lieux avec le sourire".
L'entente était quasi-totale à telle enseigne "qu'un chauffeur allemand avait pris en sympathie mon frère cadet Alain qui n'avait que 5 ans et insistait pour le prendre avec lui au cours de sa tournée. Maman acquiesça –pouvait-elle dire non- et le manège se poursuivit à plusieurs reprises jusqu'au jour où Alain ne rentrait pas malgré l'heure bien tardive. Ma mère pensa que son fils était kidnappé et versa de chaudes larmes avant de le voir arriver en sautillant bien après minuit. Le chauffeur allemand s'excusa. Il avait et une panne qu'il avait mis beaucoup de temps à réparer.
Et les glas sonnèrent pour les soldats allemands
Avec Guy Sitbon, le récit n'est pas près de s'achever. Truffé d'anecdotes, il ne peut traduire qu'une seule et unique chose : « La vie à Monastir était plus agréable sans les français qui opprimaient toute une population. Au risque de vous étonner,une bonne proportion des monastiriens vivaient l'arrivée des allemands comme une victoire », dit-il poursuivant : « Je me rappelle qu'il y avait quatre voitures louages pimpantes neuves dont l'une avait sur son pare-brise la photo d'Hitler d'un côté et la croix gammée de l'autre ».
Comment pouvait-il en être autrement pour une population qui a subi bien d'exactions d'un colonisateur qui a déjà blessé et tué bien de monastiriens sans compter l'envoi en prison de dizaines d'autres les arrachant à leurs familles et enfants?
Malgré cette bonne entente des soldats allemands avec les monastiriens mais aussi avec les Juifs de Monastir, ces derniers s'attendaient toujours au pire. Tous savaient que cette entente n'est que provisoire. Et pour cause : Walter Ross, l'architecte allemand des camps de concentration était bel et bien arrivé à Monastir avant d'avoir visité Sousse. La véritable usine de la mort telle que projetée par cet architecte que le Résident Général de Tunisie, l'Amiral Esteva, un Pétainiste, avait autorisé à venir, devait être construite du côté d'Enfidha loin des villes. Comme il était de triste tradition de l'Allemagne nazie.
A cette période, l'Allemagne était en perte de vitesse. Ses défaites sur bien de fronts bloquaient toute poursuite d’exécution de leur plan à Monastir jusqu'au jour où leurs soldats reçurent l'ordre de se replier et de revenir en Allemagne. Ils avaient perdus la guerre. Une page est tournée. Pas tout à fait.
Ceux qui avaient suivi les allemands doivent payer. Des tribunaux français se dressèrent et la peine de mort fut prononcée contre eux. Hédi Makhlouf fut exécuté. Grand, blond et au physique d’athlète, les monastiriens qui ne le connaissaient pas le prenaient souvent pour un soldat allemand dont il aimait porter la tenue.
Abdessalam Bourguiba prit la fuite à travers le Sahara libyen et Mohamed Salah Chadly eut la chance d'aller à Berlin avec les troupes allemandes en suivant un itinéraire fort risqué. Avait-il un autre choix pour sauver sa peau ? Il se devait d'accepter la proposition de ses amis allemands contre une arrestation et un verdict évident pour « collaboration avec l’ennemi durant l’occupation » comme plusieurs centaines de ses compatriotes ayant subi le même sort.
Son itinéraire, il nous le racontait lui-même dans une longue interview qu'il nous accorda, en avril 2007, peu avant son décès. Le voilà :
• De Monastir à Sousse : Rien que 20 km qu'il traversa en Jeep avec des officiers allemands.
• De Sousse à Tunis : En Jeep militaire. Un voyage qui a duré plusieurs heures afin d'éviter les pièges posés par les forces alliés qui commençaient à prendre le dessus grâce à l'arrivée des américains principalement.
• Du port de La Goulette à Messine en Italie par bateau
• Et enfin de l'Italie à Berlin à bord d'un avion militaire.
« J'étais le seul et unique tunisien avec des gradés allemands », précise-t-il, ajoutant, étonné lui-même du courage qu'il avait et de l'absence de soucis des dangers qu'il encourait : « Nous étions tous dans la soute où il y avait des bombes que les militaires devaient larguer si le besoin se faisait sentir ».
A Berlin, Mohamed Salah Chedly rencontra bon nombre de français qui avaient collaboré avec les allemands. « Tout le monde était logé à la même enseigne », dit-il soulignant le « bon accueil » des allemands qui « nous présentèrent le Mufti de Palestine, l'Emir Husseini ». Ce dernier leur promis des sommes d'argent pour peu qu'ils suivent des cours pratiques d'apprentissage de la télégraphie sans fil dans le but inavoué de « nous enrôler dans d'autres pays pour servir de relais pour les allemands ».
Devant le refus de ce groupe de se soumettre aux ordres des allemands, ces derniers nous envoyèrent "dans un camp de concentration aux environs de Berlin et plus précisément au Département de la « Saxen Hausen ». « Il y avait quelques tunisiens mais essentiellement des français, des polonais et des russes. A un certain moment notre camp a reçu un convoi de 600 juifs environ qui, 3 jours plus tard, ont été transférés vers la Tchécoslovaquie. On les reconnaissait facilement à l'étoile jaune qu'ils étaient obligés de porter ».
Poursuivant son récit, Mohamed Salah Chedly (90 ans en 2007), précise que le camp auquel il était affecté « était composé de prisonniers qui avaient refusé de travailler sous la bannière allemande ». Dans ce camp, ils étaient affectés au nettoyage des zones bombardées autrement dit retirer les cadavres, évacuer les blessés et rendre à la ville sa propreté en dégageant les routes et balayant les gravats et autres déchets. « Nous étions logés, nourris et blanchis », précisant que ceux qui veillaient à la bonne marche de notre camp étaient « des allemands réfractaires au régime Nazi qu'on appelait les « fµrarbeiter ».
Ce camp, comptant entre 600 et 700 personnes, travaillait dur. « Au moment des alertes à la bombe, tout le monde se précipitait dans les tranchées afin de sauver sa tête. On mangeait mal. Du pain noir et des sauces qui ne ressemblaient à rien », se rappelle-t-il.
Cette situation dura plusieurs mois. Et il a fallu attendre mai 1945 pour voir les russes arriver à Berlin et libérer tous les prisonniers. Mohamed Salah Chedly qui, avait bénéficié de la nationalité française grâce aux allemands, se trouva ramener à Paris et remis à la police française. Soulagé mais non confiant, on l'embarqua à Lyon avant de passer en Algérie et de là à Tunis par train.
Nullement inquiet et inquiété au cours de ce long voyage, il appréhendait pourtant son retour à Monastir où il se cacha à titre préventif et apprit qu'il était jugé par contumace à la peine capitale. Il entra dans la clandestinité pendant deux longues années passées entre Monastir, Tunis et Béja où il se cacha chez sa sœur. A l'issue de cette période, il se rendit à la police française non sans avoir chargé un avocat de renom. Cette nouvelle procédure lui permit de sauver sa tête et d'écoper de 5 ans de travaux forcés.
En conclusion je dirai tout simplement que ma ville Monastir a eu de la chance… beaucoup de chance. Et pour cause : l’arrivée des soldats allemands coïncidait avec leur débâcle annoncée. Tout compte fait ils ne restèrent à Monastir que huit mois seulement. L’entrée en jeu des forces américaines sonnèrent les glas d’une armée allemande déployées sur plusieurs fronts à la fois.
Mohamed Bergaoui
Journaliste-Ecrivain
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