Rafaâ Ben Achour - La Déclaration universelle des droits de l’homme: Genèse et portée d’un texte fondateur
Par Rafaâ Ben Achour - La Déclaration universelle des droits de l’homme fête, ce 10 décembre 2020, son 72ème anniversaire. En effet, par sa Résolution n°217 A (III), l’Assemblée générale des Nations Unies, réunie dans le cadre de sa 3ème session ordinaire à Paris, a le 10 décembre 1948, adopté l’un des textes les plus importants de son histoire, à savoir : la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH).
Ce texte fondateur du droit international des droits de l’homme a été adopté grâce au vote positif de 48 Etats. Aucun Etats n’a voté contre, alors que 8 Etats se sont abstenus. Il s’agit de : l’Afrique du Sud de l’apartheid qui refusait l'affirmation au droit à l'égalité devant la loi sans distinction de naissance ou de race; l’Arabie Saoudite qui conteste l’égalité homme-femme; la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, l’URSS, l’Ukraine et la Biélorussie qui refusaient la définition du principe d’universalité tel qu'énoncé dans l’article 2 alinéa 1. Enfin, deux États n’ont pas pris part au vote. Ce sont le Yémen et le Honduras.
La DUDH constitue la première reconnaissance universelle de libertés et de droits fondamentaux inaliénables et inhérents à tout être humain, sans discrimination de sexe, d’origine nationale ou ethnique, de couleur, de religion, de langue ou de tout autre situation. L’élaboration de la DUDH a duré de 1946 à 1948. L’idée était alors de renforcer la Charte des Nations Unies de 1945, par une feuille de route garantissant les droits de chaque personne, en tout lieu et en tout temps.
Les travaux préparatoires de la DUDH
En février 1947, se tînt la première session de la Commission des droits de l’homme(1). Un Comité de rédaction, formé de femmes et d’hommes d’une grande probité morale, intellectuelle et d’une compétence reconnue, fut créé au sein de la Commission sous la présidence d’Eleanor Roosevelt, veuve du Président Franklin Roosevelt. Le Comité avait pour vice-Président, P. C. Chang (Chine) et pour rapporteur, Charles Habib Malik (Liban)
Eleanor Roosevelt
P. C. Chang & Charles Habib Malik
Le Comité de rédaction sera élargi dans un second temps aux membres suivants:
• Émile Saint-Lot, (1904-1976), Haïti, rapporteur du Comité de rédaction.
• William Roy Hodgson, 1892-1958, Australie, membre de la Commission des droits de l'homme;
• Hernán Santa Cruz, (1906-1999), Chili, membre de la Commission des droits de l'homme;
• René Cassin, (1887-1976), France, membre de la Commission des droits de l'homme;
• Alexandre Bogomolov, (1900-1969), URSS, membre de la Commission des droits de l'homme;
• Charles Dukes, (1880-1948), Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, membre de la Commission des droits de l'homme;
• John Peters Humphrey, (1905-1980), Canada, directeur de la Division des droits de l'homme des Nations unies à qui la tâche de rédiger le projet préliminaire de la Déclaration internationale des droits de l’homme a été confiée.
E. Saint-Lot W. Roy HodgsonH. Santa CruzA.E. BogomolovC. DukesJ.P. Humphrey
Lors de la première session du Comité de rédaction, un projet préliminaire composé d’un avant-projet de 48 articles de droits de l’homme individuels fut élaboré.Il sera complété par un premier additif comprenant une liste des droits individuels et d’u deuxième additif composé de 48 projets d’articles, 4 chapitres: Libertés; Droits sociaux; Égalité et des Dispositions générales). Au cours de cette session il a été décidé de remanier l’avant-projet de secrétariat et d’en confier la tâche à René Cassin.
René Cassin
Lors de 2ème session du Comité de Rédaction de nombreuses délégations souhaitaient la rédaction d’une Déclaration d’une part, et d’un Pacte d’autre part.
Le rapport de la deuxième session sera présenté lors de la troisième session de la Commission des droits de l’homme. Ainsi, une Annexe A comportait un projet de Déclaration internationale des droits de l’homme et une Annexe B, un projet de Pacte international relatif aux droits de l’homme.
Le Comité de rédaction transféra ses projets à la Commission des Droits de l’homme qui tînt se Première session (9 au 25 juin 1947). Elle Chargea le Président, le Vice-Président et le Rapporteur, avec l’aide du Secrétariat, de rédiger un projet préliminaire et de le soumettre à la Commission lors de sa deuxième session. Elle autorisa le Président de s’assurer le concours de tout membre de la Commission et d’en recevoir des observations et des propositions.
Lors de la 2ème session de la Commission des Droits de l’homme (3 au 21 mai 1948), l’idée d’une Charte internationale des droits de l’homme en trois parties fait son apparition. Au cours de la 29ème séance, la Commission institue trois groupes de travail: Déclaration, Convention ou des Conventions, mesures d’application. Le Rapportde la deuxième session (E/600)comporte une Partie I de l’annexe A: projets d’articles de la Déclaration internationale des droits de l’homme; une Partie II de l’annexe A: commentaires sur les projets d’articles Commission et invite le Secrétaire général à transmettre ce rapport aux Gouvernements au cours de la première semaine de janvier 1948. Ilfixe la date limite du 3 avril 1948, pour la réception des réponses des Gouvernements au projet de Déclaration internationale des droits de l’homme; communiquer ces réponses, dès leur réception, aux membres de la Commission.
Lors de la 3ème session (24 mai -18 juin 1948), la Commission des Droits de l’homme examine le rapport de la deuxième session du Comité de rédaction. Elle examine chaque article de la Déclaration et adopte une nouvelle version du projet. Le rapport de la CDH et 2 additif sont présentés à la 7ème session du Conseil économique et social.
Le Conseil Economique et Social écoute les 25 et 26 août 1948 les Déclarations des membres du Conseil sur le rapport de la troisième session de la Commission. Des Regrets sont exprimés quant à l’inachèvement du Pacte et des mesures de mise en œuvre. L’ECOSOC adopte sans vote, la Résolution 151 (VII) du 26 août 1948, transmettant le projet de Déclaration internationale des droits de l'homme à l'Assemblée générale.Le texte est soumis à la 3ème Commission de l’Assemblée générale. Elle y consacre 81 réunions; 168 projets de résolutions contenant des modifications de divers articles sont présentés. Finalement le projet est adopté au sein de la 3ème Commission par vote par appel nominal: 29 voix pour, 0 contre et 7 abstentions.
Devant Assemblée générale le projet de déclaration est débattu lors des séances des 9 et 10 décembre 1948. Le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme est adoptée par la résolution 217 (III) avec 48 membres en faveur et 8 abstentions comme précédemment relevé.
Le texte
Le texte de la DUDH comporte un Préambule qui trace le cadre général «Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme».
Suivent ensuite les 30 articles qui consacrent les Droits politiques (liberté individuelle, interdiction de l’esclavage et de la torture, droit à la sûreté, présomption d’innocence, liberté de conscience) et les Droits sociaux et économiques (droit à un niveau de vie suffisant de manière à assurer la santé et le bien-être des individus, droit à l’éducation...). Il s’agit d’un texte de Compromis juxtaposant libertés classiques n’impliquant qu’une abstention de l’État, et libertés de portée économique et sociale nécessitant intervention volontariste des pouvoirs publics, avec une conception spéciale de la propriété "Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété".
Portée
Formellement la DUDH est une Recommandation de L’AG impliquant une obligation demoyens. Les Etats doivent la considérer en toute bonne foi.
Cependant, la Grande majorité desdroits et libertés a acquis valeur coutumière, voire valeur d’obligation s’imposant à tous «erga omnes» comeles interdictions de l’esclavage, de la torture, de la discrimination raciale.
La DUDH a reçu un double ancrage, un ancrage Régional avec l’adoption de Convention européenne, de la convention américaine et de la Charte africaine.
Le second ancrage est Universel: avec les deux Pactes internationaux sur les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels et les conventions sectorielles.
Conclusion
La DUDH est un instrument qui se situe entre 2 Chartes. D’une part, la Charte des Nations Unies qui n’a pas pu être précédée d’une déclaration et, d’autre part, la Charte internationale des DH constituée par la DUDH et les deux Pactes de 1966.
La DUDH a posé le premier jalon d’un droit international des droits de l’homme.
C’est aujourd’hui le Texte le plus traduit au monde (513 langues).
Rafaâ Ben Achour
(1) La Commission des droits de l’homme a été de 1946 à 2006 le principal organe du Conseil économique et social des Nations unies concernant les droits de l'homme. Elle était composée de 53 membres nommés. Elle a été remplacée en 2006 par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
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