Le Couscous au patrimoine mondial: Un pas vers l’unité culturelle du Maghreb
Pr. Abdelhamid Larguèche - Finalement, l’heureuse initiative vient d’aboutir. L’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Mauritanie ont réussi à inscrire le couscous sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité auprès de l’UNESCO.
Le choix de ce plat avec tous les savoir-faire et toutes les traditions qui s’y rattachent constitue un choix identitaire par excellence. Il est l’expression de l’unité culturelle de tous les pays du Maghreb par excellence, puisqu’il est le plat qui constitue avec le pain la base de la chaîne alimentaire de l’ensemble des sociétés maghrébines.
Il incarne également les valeurs d’ancienneté et d’authenticité puisque les préparations de la semoule de blé roulée et préparée à la vapeur remontent à des temps très anciens. L’archéologie l’atteste aussi bien en Algérie qu’au Maroc, où les fouilles archéologiques ont permis d’exhumer des ustensiles en argiles (les couscoussiers d’argile) remontant au temps de Massinissa (III et II siècles av. JC).
L’authenticité de cette pratique est facilement démontrée puisqu’on continue jusqu’à aujourd’hui à le préparer partout au Maghreb de la même façon que par le passé. Que ce soit dans les montagnes reculées de l’Atlas marocain, en Kabylie, dans les villes et villages de Tunisie ou dans la Lybie voisine à préparer les grains de couscous de la même manière.
La Ula (provisions alimentaires de l’année, constitue toujours une pratique des femmes du Maghreb qui restent attachées à cette tradition de l’entraide qu’on appelle dans le sud tunisien « Twiza » et qui s’exprime à l’occasion des fêtes rituelles, des Ziaras collectives ou moussem.
Le couscous reste de ce fait le plat rituel par excellence, et même dans notre quotidien moderne, le couscous est resté le plat familial et convivial par excellence.
Valeurs authentiques et ancienneté
Une anthropologie du couscous, laisse montrer les conditions socio-historiques qui ont permis aux sociétés nord-africaines d’inventer ce plat complexe qui est le produit d’une innovation technologique (le couscoussier d’argile cuite) et de la transformation des céréales. Cela a donné la cuisson à la vapeur. Cela a constitué une révolution dans l’art culinaire, inédite dans le monde méditerranéen. Ailleurs, nous savons que c’est en chine que la cuisson à la vapeur fut inventée.
Inutile par ailleurs de dire que beaucoup d’assertions ont été affirmées et écrites à propos de l’origine du couscous. Lévi-Provençal est allé jusqu’à affirmer que le « couscous est apparu au Soudan et qu’il fut importé en Afrique du Nord au XIV siècle ».
Personne ne peut aujourd’hui contester l’ancrage nord-africain du couscous.
Terre de céréales, de pratiques très anciennes de la poterie domestiques pratiquées par les femmes, je dirai que le couscous est l’invention du génie inventif des femmes du Maghreb bien avant le temps des Romains.
Tout comme la Tunisie a proposé avec succès les savoir-faire des potières de Sejnane qui ont conservé une tradition qui remonte à la protohistoire du Maghreb, nous estimons que la soumission des savoir-faire maghrébins liés au couscous participe de cette œuvre de reconnaissance de l’âme profonde des cultures du Maghreb.
Pratique à haute valeur culturelle, symbolique et d’affermissement du lien social, le couscous a évolué et s’est diversifié au rythme des temps et des contacts humains.
A la base, le couscous, plat principal est associé aux ragout de légumes, mais surtout à la viande de mouton ou d’agneau. Cela traduisait aussi la complémentarité entre l’économie pastorale à base d’élevage et l’économie paysanne des sédentaires des plaines basée sur l’araire et le travail de la terre. C’est d’ailleurs ce plat qu’on continue à servir dans les fêtes traditionnelles partout au Maghreb.
Un plat mondialisé
Mais à mesure qu’on s’approche des côtes méditerranéennes, le plat se prépare de plus en plus avec les produits de la mer, au poisson (principalement le mulet) et souvent dans certaines zones il est accompagné de poulpes ( Sfax et Kerkennah). Et récemment nous venons de découvrir le couscous aux fruits de mer, celui des villes de Sardaigne, Carloforte et Calasetta, descendants des pêcheurs de corail installés à Tabarka au XVI siècle.
La couscous constitue aussi un plat migrant, puisqu’il a traversé la Méditerranée pour devenir une passion française. Ce phénomène est facilement datable. C’est à la faveur de la première guerre mondiale que le couscous fut introduit en France par les algériens recrutés pour travailler dans les usines française. Il raconte ainsi une page de l’histoire coloniale et des déplacements. Aujourd’hui le couscous est devenu le deuxième plat préféré des français.
Le couscous est tout aussi un marqueur d’identité qu’un produit d’échange et d’emprunts. A mesure qu’on se déplace d’ouest en est du Maghreb, la sauce du couscous passe de la couleur blanche au rouge. C’est là, surtout en Tunisie, l’apport de la communauté italienne qui s’est établie en Tunisie depuis le milieu du XIX siècle et qui diffusa dès le début du XX siècle le concentré de tomate.
Le couscous a pris en effet ses couleurs vives avec l’arrivée des italiens en Tunisie, qui ont introduit en même temps les pâtes de spaghetti devenues vite le plat populaire en Tunisie.
Pour l’ensemble de ces considérations et bien d’autres, le couscous mérite bien sa place au patrimoine immatériel de l’humanité.
Vers un édifice culturel maghrébin mondialement reconnu
D’autre part, cet art culinaire nous offre l’occasion de montrer au Monde à quel point, nous maghrébins, restons attachés à l’unité de notre culture et tout simplement à faire du patrimoine commun le levier de notre projet culturel d’avenir.
Ce patrimoine commun est riche et varié. Il est matériel et immatériel.
Les politiques culturelles de l’UNESCO en matière de classement favorisent et encouragent ce genre d’initiatives transfrontalières.
Reconnaître et valoriser un fait de patrimoine ou un bien culturel suppose à mon avis le respect de son lieu de naissance et de l’aire culturelle de sa diffusion. Les principes même d’authenticité et d’intégrité en dépendent.
Le couscous est un bien culturel authentiquement maghrébin et l’aire culturelle de sa diffusion aujourd’hui est bien le monde. Il est un produit pleinement mondialisé.
De même pour d’autres bien culturels. Les musiques d’Andalousie introduites au Maghreb par les migrants venues par vagues successives s’installer depuis des siècles, constituent un bien culturel commun.
De même pour les Ksours, ces greniers collectifs du sud tunisiens que la Tunisie a déjà placés sur la liste indicative de l’UNESCO, il est démontré que ces constructions originales racontent un mode de vie particulier et des modes d’occupation des sols qui sont partagés au Maghreb et l’idée de les proposer au classement comme bien culturel maghrébin devrait faire son chemin.
Que le classement du couscous au patrimoine mondial, soit le déclencheur d’une nouvelle politique culturelle à dimension maghrébine.
Les nations rivalisent de plus en plus en matière de classement de leur patrimoine à l’intérieur des frontières nationales. Les listes sont rapidement saturées et la concurrence devient de plus en plus rude.
De plus l’approche territoriale des biens culturels fondée sur une philosophie de développement humain durable s’accommode bien avec l’approche de la dimension transfrontalière du patrimoine naturel, culturel matériel et immatérielle.
Aujourd’hui le couscous, plat des riches et plat des pauvres, demain le monde des Ksours, après demain le malouf, et ainsi sera édifié, le Maghreb culturel des peuples et de la solidarité.
Pr. Abdelhamid Larguèche
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