Projet Sfax Taparura: Pour une gouvernance régionale
Dr Abdeljalil Gdoura - Déjà dix ans depuis la fin de la première phase de dépollution et réhabilitation du site Taparura ou les côtes nord de la ville de Sfax, l’étape suivante qui est l’aménagement tarde à commencer faute de volonté politique et de vis-à-vis clair.
L’aménagement urbain permet l’organisation de la croissance urbaine et la maîtrise du fonctionnement des villes et de leur agglomération. On assiste depuis quelques années à une série d’évolutions qui bouleversent le contexte, les enjeux et les conditions de l’action urbaine. Ces transformations ont pour conséquence de modifier, orienter et planifier considérablement l’activité de projet dans l’aménagement urbain.
La conception du programme est une des activités les plus stratégiques du processus de projet. Elle consiste à définir la nature des équipements publics et privés qui vont être construits sur le site, le type d’activités qui vont y être implantées et finalement la nature du quartier ou du « morceau de ville » que nous allons construire.
Le rapport de l’ITES (Institut Tunisien des Etudes Stratégiques) sur la ville de demain, dégage cinq recommandations essentielles :
1. Placer les enjeux sociaux au centre des préoccupations de la politique de la ville ;
2. Insérer la ville dans une approche plus globale de développement territorial et inclusif ;
3. Réviser les institutions en charge de la politique urbaine dans le cadre de la transition vers une gouvernance décentralisée ;
4. Adapter la politique aux moyens dont dispose l’Etat ;
5. Elargir le dialogue avec les acteurs et les parties prenantes.
À Tunis, l’aménagement des Berges du Lac montre que le pouvoir central garde incontestablement le contrôle des opérations, l’État est maître d’ouvrage et investisseur pour des équipements urbains structurants, ou des infrastructures (recalibrage d’axes routiers, ronds-points, viaducs, ponts, mobilité...), de ce fait le montage juridique et financier doit-être fait par l’Etat.
Le contexte Taparura est particulier dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle ville dans la ville, le projet dispose d’une superficie assez étendue au centre-ville et en bord de mer, des atouts majeurs s’offrent au projet, à la ville et à la région dans ce contexte de:
• Dynamique économique et entrepreneuriale régionale reconnue avec un capital humain développé dans les secteurs de l’enseignement, de la santé et des technologies
• Une volonté d’ancrer la relation ville-mer et de développer le tourisme par diverses activités et par le soutien de la candidature de Sfax au patrimoine mondial de l’Unesco en tant que ville méditerranéenne portuaire historique.
• Une ambition de la région de changer de modèle de développement économique (stratégie de développement Sfax 2016) et une volonté des acteurs d’innover et d’investir dans des activités à forte valeur ajoutée, le tourisme, la santé, technologies, les loisirs (programme IRADA)…
L’idée serait d’orienter l’aménagement vers un premier noyau de ville qui répondrait à cette ambition et rendrait à la ville son attractivité. Toute la démarche sera faite sur le modèle d’une ville orientée vers le futur donc une ville intelligente ou smart city (D’ici 2050, dans le monde 7 personnes sur 10 vivront dans une smart city).
Il est certain que pour un tel méga projet, le rôle de l’Etat est impératif, un projet où s’impliquent beaucoup d’acteurs, d’institutions, de ministères…
L’approche PPP (partenariat public-privé) pour l’aménagement du site Taparura, telle que adoptée dans les deux appels à manifestation (2016 et 2017) n’a pas incité l’investisseur au vu du prix du terrain proposé, jugé excessif et de l’absence de vis-à-vis précis (la société Taparura, le ministère de l’équipement, la présidence du gouvernement, sans oublier les autorités locales et régionales…), il est clair qu’il faut revoir le modèle de gestion du projet et ce sur les plans juridiques, financiers, techniques, et institutionnels et on ne peut faire la comparaison avec d’autres projets d’aménagement tel que le projet du lac de Tunis dont le contexte géographique et politique est complètement différent.
Qui?
Le code des collectivités locales donne plus de pouvoir à la région pour les choix d’aménagement et de développement socio-économique, l’idée est une société d’économie mixte (SEM) pour l’aménagement avec un partenariat public privé où la partie publique est représentée par La municipalité de Sfax, l’acteur privé est un opérateur privé sélectionné après mise en concurrence selon les procédures définies par la législation.
L’intérêt d’une SEM pour les différentes parties prenantes réside dans :
• L’association de la collectivité et d’un opérateur privé, favorisant la mise en place d’une gouvernance rapprochée du projet objet de la SEM permettant de rassurer l’investisseur,
• La possibilité pour la collectivité de renforcer son pilotage et son contrôle de la planification urbaine,
• La structuration des financements à travers des organismes déjà engagés mais aussi des institutions telle que la Caisse de Dépôt et de Consignation et autre bailleur de fonds,
• L’adossement des financements à un projet d’aménagement précis, permettant une lisibilité pour les investisseurs et prêteurs, et un montage financier solide avec un partage des risques plus fin, en corrélation avec une exigence de rentabilité plus claire,
L’Instance PPP pourrait bien proposer un montage ; le transfert de propriété du terrain du projet aux collectivités locales (un partenaire public de proximité) est tout à fait possible, une façon de dédommager la ville des méfaits de plus de sept décennies de pollution des industries chimiques et surtout de permettre plus de célérité dans la réalisation d’un projet tant attendu.
Comment?
On peut dégager 3 composantes :
• L’aménagement proprement dit, objet des appels à manifestations
• L’aménagement extra-muros à la charge de l’Etat qui doit lever les contraintes autour du site, assurer l’accessibilité et les différentes connexions
• La proposition d’un programme ou zoning qui sera pensé autour de pôles polyfonctionnels : cité médicale, pôle technologique, pôle nautique, pôle des industries culturelles et créatives, cité sportive…
Conclusion
L’adoption de ce programme avec des projets à portée socio-économique évidente donnerait de la visibilité au projet Taparura qui a déjà couté à l’Etat à ce jour plus de 200 millions de dinars, un projet d’intérêt national générateur de richesse pour une région en quête d’une conversion de son modèle de développement et de son image en tant que métropole innovante et où il fait bon vivre.
Donner plus de manœuvre pour un tel projet aux collectivités locales peut-être un prélude à une décentralisation effective, une décentralisation qu’on ne voit pas encore malgré son inscription à la constitution et au code des collectivités locales.
Dr Abdeljalil Gdoura
Président Association Beitelkhibra
Président de la Plateforme régionale de Dialogue Public-Privé à Sfax
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