Y a-t-il un pilote pour sauver… Tunisair ?
Par Mohsen Redissi - La toute récente nomination de Mme Olfa Hamdi comme la première femme Présidente directrice générale de la compagnie aérienne nationale Tunisair a provoqué des turbulences dans les hautes sphères et des remous sur terre. Les réseaux sociaux soucieux de son dossier académique et professionnel se sont donné à cœur joie pour trouver où réside la faille : dans ses heures de vol surtaxées ou dans son plan de vol surfait. Seuls son cursus et ses diplômes sont certifiés et confirmés par des universités éparpillées sur trois continents, l’Afrique son origine, l’Europe et l’Amérique continents d’adoption. Sa fière prestance, son jeune âge relatif et son expérience du monde du management se sont avérés les grands handicaps de sa prise de fonction. Il y a du verglas sous les trains d’atterrissage.
Avions furtifs
Ces aiguilleurs du ciel semblent oublier que depuis le changement du 14 janvier, la donne a viré de bord. Les nominations sont parachutées. Des premiers ministres et autres hauts responsables ont pris le manche des commandes de l’Etat avec dans leur bagage à main ni diplômes ni expérience mais un certificat d’études, un B2 aussi long qu’une piste de décollage et des années passées derrières les barreaux sans aucun hublot. Ils entendaient de loin le vrombissement des turbines des avions libres comme l’air, eux privés de sortie pour mauvaise conduite. Catapultés majors de leur promotion, ils atterrissent sur les plus hauts sommets ombragés de l’Etat. La foule acclame désormais les nouveaux pilotes récemment sortis de l’académie pénitentiaire. Une passerelle pour les honneurs et la postérité pour les uns et un ascenseur pour l’échafaud pour d’autres. Ils vénèrent le sens du sacrifice quand il sert leurs propres intérêts. Poussés par le vent divin Ils n’hésitent jamais à plonger, sabordant le fuselage de leur appareil pour arriver à leur fin. Face a de tels serviteurs zélés, Matome Ukagi(1) se retourne dans sa tombe sans faire de tonneaux.
Manifeste de vol ou vols manifestes
Pourquoi les compagnies nationales en général ne décollent jamais ? Les parents avant de partir sur la voie de garage laissent un ou plusieurs de leurs enfants sur la piste d’envol. Une succession professionnelle. Le lot de tous les offices et agences de l’Etat. Le passage de témoin se passe au vu et au su de la direction de ces compagnies. Une idole se meurt, une autre prend sa place. L’intéressement des employés par une rente conséquente pour soulager la charge salariale et faire place nette dans les bureaux n’a servi à rien. Chaque nouveau venu pense à caser ses proches pendant que les autres ont le dos tourné.
Le ministère du Transport et de la Logistique a sous sa tutelle aux alentours de 28 satellites, entre offices, agences, sociétés et autres. Tous déficitaires, ce n’est pas par hasard. La vétusté de l’arsenal roulant oui, mais surtout le manque de rigueur et d’audit sur des décennies ont projeté ces filiales dans les trous noirs du cosmos, le gouffre sans fin.
Déboussolée, Tunisair a perdu son cap et sa foi dans des directions successives avides de gains faciles et rapides. Les PDG ne font jamais le long courrier, ni long feu. Leur vie est courte à la tête des instances gouvernementales. Les patrons gourmands absorbés par le gain ferment les yeux et scellent leur bouche sur les agissements du personnel pour apaiser les conflits. Les chefs syndicalistes prennent le dessus. Le chantage devient la monnaie de change et le boarding pass. Les avions cloués au sol arrangent les intentions des torpilleurs ferrailleurs fossoyeurs de la compagnie.
Air Force One
Oser s’attaquer au personnel d’une agence publique c’est s’attaquer directement aux représentants légitimes de l’UGTT. La dame a crevé le mur du silence à défaut du son. La centrale syndicale vole au secours des ses adhérents. Mme la PDG dans sa tentative de réformer la compagnie nationale s’est heurtée à un personnel aguerri, réfractaire au changement. Tunisair doit-elle subir le même sort, peu envieux, du vol MH370 de la Malaysia Airlines ? Doit-elle disparaitre des écrans radars et sombrer dans des eaux troubles. Boites noires introuvables, plus aucune trace mais le souvenir lointain d’une compagnie qui garde jalousement les raison de sa disparition. C’est le point noir de l’affaire Tunisair !
La compagnie nationale Tunisair a subi depuis 2011 la révolution à reculons, en mode rewind. Au lieu de prospérer et progresser après le départ du clan qui a dépecé sa carcasse selon les désirs de ses membres influents elle fait du surplace. Premier départ de Tunis ou de l’étranger, la marque distinctive de la compagnie est toujours la même : du retard sur toutes les lignes. Du plomb dans ses ailes, Tunisair a perdu la confiance de bon nombre de voyageurs tunisiens préférant la carlingue et le catering de compagnies concurrentes. Ajouter à tout cela les frais exorbitants de stationnement et les pénalités de retard pour les heures passées à attendre le feu vert de la tour de contrôle. Les voyageurs qui osent encore acheter leur billet des guichets de la compagnie nationale aiment souffrir pour le bien de la compagnie. Pauvres d’eux.
Passager 57(2)
Mais qui veut la peau d’Olfa Hamdi ? La Dame n’a pas piqué du nez. Elle a retroussé ses manches et a mis ses doigts de fée dans le cambouis à la place d’un vernis multicouche. Quatre avions ont rejoint la flotte après seulement dix jours de sa prise de fonction. Coup de Com ? Ou coup de come-back pour ces avions qui rejoignent la flottille nationale après une très longue convalescence forcée. Une question de fierté féminine. Elle a le courage qui manquait aux PDG de pacotille qui ont pris place dans le fauteuil capitonné de la direction avec vue plongeante sur le tarmac. L’odeur de la gomme surchauffée des trains d’atterrissage les grise et brule leur cervelle.
A la pesée, la nouvelle PDG de Tunisair est un ULM. Elle n’a pas à se préoccuper d’un quelconque excès de bagage. Elle est perdante dix contre un mais son agilité et son sens de l’innovation font grimper son Fidelys. Madame Hamdi comme premier remède de cheval vient de créer un conseil supérieur consultatif composé des boites grises de la compagnie chargé des questions techniques. Elle affiche sa détermination dans ses interviews de sauver la compagnie de la destruction. Elle a annoncé le 25 janvier 2021 la création d'un comité stratégique de conseillers indépendants, des docteurs ès sciences aéronautiques pour se pencher sur le cas du malade. Avec l’accord de tout le personnel de la compagnie, le diagnostic et le plan de relance ne sont plus qu’une question de temps et de volonté des autorités de tutelle.
Mirage ou Rafale?
La crise sanitaire a frappé de plein fouet le tourisme et les échanges commerciaux. Déjà handicapée par des années de torpeur, les chiffres publiés par la compagnie nationale cette année confirment la chute à une vitesse Mach1 des bénéfices de Tunisair. Soudain, un appel reçu par la tour de contrôle : « Mayday, Mayday, Mayday ! », la compagnie est prise dans un trou d’air. Elle bat de l’aile : la remettre à voler de ses propres ailes de nouveau c’est l’engagement premier sur la check liste de Mme Olfa Hamdi. Dans le cockpit les indicateurs s’affolent l’avion se dirige droit vers le triangle des Bermudes. Restera-elle à son poste, fidèle à ses engagements, ou s’enfuira-t-elle à tire-d’aile. Sera-t-elle la gazelle volante à faire des loopings pour esquiver les missiles amis le friendly fire, l’Icare qui ne peut s’approchera trop près les astres ou le canard boiteux amoindri dès le départ par son grand handicap ?
Comme lui j'attends un bruit d'ailes, le doux bruit d'ailes de son retour(3)
de décoller et d’atterrir aux heures affichées sur les e-tickets et les écrans géants, à servir des repas chauds comme au bon vieux temps. Tunisair dans les années 1980-1990 était le fleuron de l’aviation civile arabe. Les pays naissants du golfe arabique recrutaient à tour de bras pilotes, stewards et hôtesses tunisiens pour leur maitrise des cieux.
Dernier appel pour les passagers, vol TU216 vers l’inconnu. Attachez vos ceintures. Relever vos sièges, décollage immédiat. Bon voyage.
Mohsen Redissi
(1) Matome Ugaki, Chef d'état-major de la Flotte combinée durant la seconde guerre mondial, précurseur de l’attaque suicide par voie aérienne et auteur de la dernière attaque.
(2) « Passager 57 » film réalisé par Kevin Hooks, 1992. Toute l’action du film se passe dans les airs.
(3) « Les Deux Pigeons » musique et chanson de Charles Aznavour, 1963.
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2èMe femme pdg