Tunisie - Conjoncture énergétique en 2020 et perspectives pour 2021: un bilan globalement négatif et une production en recul
Par Ali Gaaya. Consultant international en E&P (Hepic)
1. Introduction
Dans le cadre de la transparence, le ministère de l’énergie publie (sur le site du ministère de l’industrie), une base de données quasi complète des activités relatives à l’énergie, dont celles relatives aux activités pétrolières tels que les contrats pétroliers, les statistiques des activités d’exploration et de production passées et en cours (lien en référence1). C’est dans ce cadre que l’Observatoire National de l’Energie (ONE) publie, en arabe et en français, les activités mensuelles et annuelles sur ce secteur important de notre économie, qu’est l’énergie. La dernière publication est celle du mois de décembre 2020 sur laquelle est basé cet article (liens en référence 2&3 pour davantage de détails).
2. Un bilan globalement négatif
Que peut-on en dire du bilan de l’année qui vient de s’écouler, sinon que le fardeau de l'importation des hydrocarbures sur la Balance commerciale a été allégé (-7,5 Milliards de Dinars_MdD en 2019, et -4,6 MdD en 2020), du fait de l'impact de la pandémie sur la diminution de la consommation et la chute du prix du baril (64$/b en 2019, et 42$/baril en 2020). Pour le reste des activités E&P, les paramètres restent au rouge et alarmants. Le déficit d’énergie primaire reste élevé, voisin de 5 Millions de Tep ou 35 Millions de barils équivalent pétrole (Mbep). Quant à notre indépendance énergétique, elle ne dépasse pas les 43%, alors que l’on était exportateur net de pétrole jusqu’ 2000 où on avait atteint l’équilibre (Fig.1) !
2.1. Une exploration en berne
Même si le nombre de permis d’exploration est relativement constant durant les 3 dernières années entre 21 et 25 permis en activité, il ne faut pas se leurrer, car, en 2020, parmi les 24 permis recensés, huit (8), sont des permis dits de prospection où seule l’acquisition de données sismiques constitue les obligations de travaux pendant 2 ans, et aucun forage n’est exigé. D’ailleurs, en 2020, il n’y a pas eu de nouvelles acquisitions sismiques, et un seul forage d’exploration appréciation a été foré (Fig.2)! En comparaison, jusqu’en 2010, on disposait de 52 permis ou plus, et les opérateurs foraient entre 10 et 15 puits par an, et il en faudrait environ 20 forages pour renouveler nos réserves, ce qui bien loin du compte. Ce qui est grave donc, c’est que l’on est en train d’hypothéquer l’avenir énergétique du pays, car on est en train de consommer nos réserves en pétrole et gaz, déjà bien limitées, sans possibilité de les renouveler, même en partie!
Fig.1 –Bilan énergétique, Production & Consommation d’Hydrocarbures
2.2. Une production qui risque la «panne sèche»
La production continue sa dégringolade inéluctable: d’environ 35 000 barils par jour (b/j)/j en 2019, la production pétrolière est réduite à 32 000 b/j en 2020 (Fig.1), soit une diminution annuelle d’environ 8.5%, aggravée par des tensions sociales, qui ont causé beaucoup de dégâts à ce secteur déjà sinistré par diverses campagnes de dénigrement injustifiées...! Rappelons que la production pétrolière a culminé à 118 000 b/j en 1980, et était voisine de80 000 b/j en 2010!
La Fermeture de la vanne d'El Kamour durant plus de 3 mois (du 16/07au 05/11/2020), a provoqué la réduction progressive ou l’arrêt de la production pétrolière et gazière dans la plupart des champs de sud selon la capacité de leur stockage.
D’ailleurs, à l’ouverture de la vanne, la reprise de la production a continué d’enregistrer une baisse sensible allant de 22% à 43% dans plusieurs champs, et certains puits n’ont pas pu être remis en production. Et dire que le « groupe de coordination d’ElKamour » menace, en ce début d’année 2021, de fermer à nouveau la vanne d’expédition du pétrole… où allons-nous !?
Fig.2 – Nombre de permis, de Forages, Cours du baril& Taux de change
2.3. Des Energies Renouvelables à l’ombre de la bureaucratie
Pour ce qui est des Energies Renouvelables (ER), ce secteur, censé diminuer le déficit énergétique, souffre manifestement d'une bureaucratie, voire d'un freinage qui ne dit pas son nom, incompatibles avec une bonne gouvernance de ce secteur stratégique. En effet, des projets initiés en 2018 ou 2019, ne sont toujours pas concrétisés, et la production d'électricité à partir du Photo Voltaïque et/ou de l'Eolien est toujours "au point mort"...! Sa part dans le mix de production d’électricité, ne dépasse guère les 3% ; le restant, soit 97% sont fournis par le gaz. Le modeste objectif des 30% d'ER dans la production électrique en 2030, est encore bien loin et certainement pas atteignable à ce rythme. D’autres pays tels que le Danemark, l’Irlande ou l’Allemagne, pourtant moins bien nantis que notre pays en énergie solaire et éolienne, ont déjà dépassé la barre des 30% dans leur production électrique…
Le nouveau Ministre (qui n'a pas encore pris les commandes de son ministère !?), et ses proches collaborateurs ont donc du "pain sur la planche" pour relancer la machine énergétique. On leur souhaite bon vernt quand même!
3. Un avenir peu reluisant, à moins que…
Au vu de la situation actuelle, du manque de vision à moyen et long terme de nos décideurs, ainsi que de l’instabilité politique et sociale qui prévalent dans notre pays, le secteur de l’énergie risque malheureusement de continuer à impacter négativement et dramatiquement notre économie, le développement de notre pays et le bien-être de nos concitoyens … à moins que:
• une « trêve politique et sociale » soit décrétée pour quelques années, afin de favoriser l’investissement national et étranger, surtout que le secteur de l’énergie est particulièrement capitalistique,
• préparer un environnement et une législation attractifs, favorables à l’investissement dans les secteurs des hydrocarbures et des énergies renouvelables, tout en minimisant l’aspect bureaucratique,
• inclure dans tous types de contrats une part du budget dévolue à la « Responsabilité sociétale », en vue de faire participer les populations locales et les intéresser aux projets prévus dans leur région, y compris pour les projets offshore,
• le prix du baril, actuellement de 60 $/b, et qui pourrait augmenter davantage, commence à être favorable pour initier l’exploration et le développement des hydrocarbures non conventionnels, dont ce qui est communément appelé « gaz et pétrole de schiste ». Rappelons que les ressources de ces hydrocarbures sont estimées, rien que pour le sud tunisien à environ 1.5 Milliard de barils de pétrole et à 640 Milliards de m3 de gaz (lien en référence 4), soit autant que ce qui déjà été produit en Tunisie depuis les premières découvertes techniques de pétrole, il y a environ un siècle, et 8 à 10 fois le volume de gaz déjà produits depuis la mise en production en 1954 du gisement de Jebel Abderrahmane, au Cap Bon! L’enjeu sur le plan économique et de l’emploi, est donc de taille, d’autant que les aspects environnementaux sont maintenant bien maîtrisés.
Ali Gaaya
Consultant international en E&P (Hepic)
1. Site « Open Data » du Ministère de l’Industrie
http://data.industrie.gov.tn/
2. Conjoncture énergétique, décembre 2020 _ Version en langue française
https://www.energiemines.gov.tn/fileadmin/docs-u1/Conjoncture_%C3%A9nerg%C3%A9tique_d%C3%A9cembre_2020_Fr.pdf
3. Conjoncture énergétique, décembre 2020 Version en langue arabe
https://www.energiemines.gov.tn/fileadmin/docs-u1/Conjoncture_%C3%A9nerg%C3%A9tique_d%C3%A9cembre_2020_resum%C3%A9_Ar.pdf
4. Publication : Gaz de schiste et HC non conventionnels ; y aller ou ne pas y aller
https://www.leconomistemaghrebin.com/2020/05/20/gaz-de-schiste-et-hydrocarbures-non-conventionnels-y-aller-ou-ne-pas-y-aller/
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