Tunisie: L’impact de la Covid-19 sur le monde du travail… des gagnants et des perdants
Par Samir Allal - La pandémie a frappé l’ensemble des pays et partout, elle a touché plus durement les populations les plus fragiles. A court terme, les conséquences de cette crise sanitaire et économique sont négatives. Même si des changements peuvent préfigurer des tendances plus positives.
Les discussions sur l’avenir du monde du travail occupaient déjà le débat public avant la crise sanitaire actuelle. Son évolution va dépendre de quatre variables fondamentales : la technologie, la démographie, le changement climatique et la mondialisation.
Il est généralement admis que les effets de ces variables pourront être aussi bien positifs que négatifs. Il y aura des gagnants et des perdants (et parmi ces derniers, on comptera sans doute une grande part d’emplois sous-qualifiés, de ménages modestes et de groupes défavorisés en particulier dans les pays en développement).
C’est, dans ce contexte, que la pandémie s’est déclenchée, avec des conséquences significatives sur la santé de millions de gens et – par le biais des confinements qui ont suivi – sur l’économie mondiale.
Les récentes avancées en termes de vaccinations laissent espérer que la crise s’achève courant 2021. Voilà pourquoi les questions relatives à son impact sur les variables mentionnées précédemment se font de plus en plus pressantes, surtout dans un contexte où la majorité des gouvernements se sont engagés à créer un avenir plus inclusif, plus durable et plus juste.
Pertes colossales en temps de travail et en revenus
À court terme, les conséquences de la pandémie sont presque entièrement négatives et universelles. Puisque presque tous les pays ont été touchés. La première phase de la crise, début 2020, s’est caractérisée par une vague de fermetures d’entreprise, de pertes colossales en temps de travail et en revenus, de hausses du chômage et de la pauvreté dans le monde.
Dans tous les pays, les plus durement frappés furent les groupes déjà défavorisés avant la crise : les travailleurs peu qualifiés, les jeunes, les personnes âgées, les femmes, les migrants, les handicapés, ...
Sur le plan mondial, le nombre d’heures de travail perdues au premier trimestre 2020 (comparé au premier trimestre 2019) est estimé par l’OIT à 5,6%, soit 160 millions d’emplois à temps plein de 48 heures par semaine. Au second semestre, ce chiffre a grimpé à 12,1 % (345 millions d’emplois).
Les crises passées ont montré que plus les gens sont inactifs, plus il est difficile pour eux de retrouver une place sur le marché du travail.
Trois tendances positives
La situation est inégale d’un pays à un autre et le tableau n’est peut-être pas aussi noir qu’il en a l’air. Les changements, qui s’opèrent dans trois domaines bouleversés par la crise, pourraient déboucher, à moyen et long terme, sur des tendances plus positives:
1. L’accélération du télétravail
Le travail à distance n’est pas un phénomène nouveau, mais la pandémie a entraîné son développement massif. Cela pourrait provoquer des changements à long terme dans de nombreux domaines, à commencer par l’organisation et la localisation du travail.
Les enquêtes menées dans de nombreux pays indiquent que la majorité des salariés considèrent le télétravail comme une expérience positive. Parmi les raisons invoquées : davantage de flexibilité, un meilleur équilibre travail/vie privée et moins de temps passé dans les transports.
Si cette pratique se poursuivait à une telle échelle, des bouleversements majeurs en termes de mobilité, d’aménagement des territoires, de localisation des activités économiques verront le jour. Il est difficile de savoir quel en serait l’impact exact de ces grandes mutations.
2. Un bond technologique
Les employés contraints au télétravail et les étudiants suivant des cours en ligne ont dû acquérir les outils et compétences technologiques appropriés. Ce qui a non seulement diminué la défiance et les résistances à l’encontre des nouvelles technologies, mais aussi stimulé la demande et l’investissement dans le domaine technologique au sein de nombreux pays.
Pour certains pays et en particulier les pays les plus pauvres, le numérique est resté un fossé infranchissable. Les problèmes d’accès à Internet dans certains pays représentent un obstacle au changement.
La pandémie permet de mettre en lumière ces manques, et de montrer clairement où des investissements sont nécessaires pour assurer un accès global à Internet.
De nombreux gouvernements ont ainsi annoncé de nouveaux investissements destinés à combler ces lacunes. Les avancées technologiques en matière d’éducation et de formation conduisent également à repenser la façon dont doivent s’opérer les transferts de savoir.
3. Une meilleure prise de conscience des défis climatiques et environnementaux
Quand la pandémie est apparue, la prise de conscience des problèmes environnementaux était déjà aigue aussi bien dans le monde politique que dans l’opinion publique, comme on a pu le voir au cours des manifestations comme les « Fridays for Future » ou la COP 21.
Le débat s’est poursuivi pendant la pandémie et semble avoir poussé plusieurs pays à se demander sérieusement comment agir en faveur d’un avenir plus vert et lutter contre le changement climatique.
L’analyse des réponses politiques apportées par certains gouvernements, montrent que leur intérêt pour les questions climatiques et environnementales s’est accru.
Alors que les réponses à la crise ont tenté de jouer sur trois des grandes variables évoquées précédemment, la quatrième – l’évolution démographique et la globalisation – a reçu relativement peu d’attention, peut-être parce qu’il y a moins de raisons d’espérer dans ces domaines.
Les sociétés vieillissantes ont un défi à relever : la baisse tendancielle de la proportion de la population occupant un emploi. Le ratio devrait même continuer à se dégrader à court terme, compte tenu de l’augmentation du chômage et de l’inactivité, et à long terme, car les jeunes et les vieux auront plus de mal à entrer ou retourner sur le marché du travail. Les systèmes de retraites seront mis à l’épreuve, du fait du haut niveau d’endettement résultant des aides fiscales et des dispositifs de soutien à l’économie.
Les sociétés plus jeunes, les pays en développement, qui devraient en récolter les dividendes démographiques, seront confrontées à un autre type de défi : comment trouver des emplois décents pour leurs jeunes, en particulier si nombre d’entre eux ont connu une interruption dans leur éducation ou leur formation. Il y a un vrai risque d’avoir une génération perdue.
Les évolutions démographiques sont également dépendantes des mouvements de populations. De nombreux travailleurs immigrés ont perdu leur travail à cause de la pandémie. D’autres, ayant réussi à rentrer chez eux, n’ont pas pu trouver d’emploi ou ont dû repartir.
L’avenir de ces travailleurs migrants dépendra beaucoup de la façon dont les États les intègrent dans leurs réponses de soutien au pouvoir d’achat à court terme et leurs politiques structurelles à long terme : extension de la protection sociale pour les travailleurs migrants, régularisation de leur statut et amélioration de leur accès à la formation.
La crise nous ouvre les yeux sur la vulnérabilité de plusieurs groupes. Nous devons profiter de cette prise de conscience pour faire en sorte qu’à l’avenir ils soient mieux intégrés et mieux traités et qu’ils puissent profiter des processus de transformations structurelles. Dans le cas contraire, le retour à la normale n’aura pas le visage humain.
Professeur Samir Allal
Université de Versailles/Paris-Saclay
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