Lu pour vous - 03.03.2021

Les mémoires d’Abdelwaheb Ben Ayed : «Dieu m’a fait bâtisseur»

Les mémoires d’Abdelwaheb Ben Ayed : « Dieu m’a fait bâtisseur »

Entré dans la légende de son vivant, Abdelwaheb Ben Ayed, décédé il y a près de deux ans, le 4 avril 2019, à 81 ans, entretient son exploit. Dans ses mémoires posthumes qui viennent de paraître sous le titre de « Abdelwaheb Ben Ayed, le Tunisien; le formidable destin d’un entrepreneur hors-norme » (AC Editions), il se lâche comme il l’avait rarement fait, d’un seul trait. En 182 pages, hors annexes, le fondateur de Poulina revient sur son parcours, mais aussi et surtout conceptualise sa vision et explique son style de management.

Ce récit, certains ont eu l’occasion d’en connaître des bribes, oralement surtout, au gré des occasions, avec cet accent magnifique qui était celui de Si Abdelwaheb et sa spontanéité attachante. S’il s’efforce de rester sur ses gardes dès qu’il s’agit de politique qu’il évite pour en avoir subi les foudres, il s’épanche avec réel plaisir en racontant sa saga. L’homme qui a construit un million de mètres carrés, fondé 108 filiales, développé l’aviculture dans une intégration la plus étendue de la filiale, introduit la dinde à table, et fourmillé chaque matin de mille nouvelle idée, lève un coin de voile sur son esprit inventif. « Dieu m’a fait bâtisseur », écrit-il.

Remontant à sa prime enfance, Abdelwaheb Ben Ayed restitue le bonheur de sa vie au jnen familial, à Sakiet Eddayer, proche banlieue nord de Sfax, dans ces zanka d’el Oued, revient sur ses années d’études, à Sfax puis à Toulouse avant de monter à Paris (1959 - 1965), son retour en Tunisie, puis la création, le 14 juillet 1967 de Poulina avec un capital de 15.000 DT. La suite se déroulera comme un conte de fée, sauf lorsque surviendra un accident majeur ayant failli tout démolir. Ce qu’il appellera « la décennie des ambitions freinées », celles des années 1990. Dès le début de 1993, Abdelwaheb avait été averti qu’il se trouvait dans l’œil du cyclone, suite à de fausses allégations portées contre lui auprès de Ben Ali. Et c’était parti pour cinq années de calvaires qui ont laissé leurs stigmates.

L’histoire du complot sfaxien

Pour la première fois, Abdelwaheb Ben Ayed racontera dans ses mémoires « l’histoire du complot sfaxien » dont il avait été victime. Les chefs d’accusation étaient multiples et le verdict, sans appel. Tout le groupe, alors en plein décollage, était menacé d’asphyxie. Le contrôle fiscal approfondi s’est soldé par un redressement de 104 millions de dinars, une somme colossale à l’époque, réclamée par l’Administration. Un jugement a, heureusement, réduit le montant à 4 millions de dinars, soit 5 millions avec les intérêts. La trésorerie était mise à genoux. Il aura fallu attendre un « dénouement inespéré », lorsque Ben Ayed a été finalement reçu par Ben Ali le 27 septembre 1997... « Nous étions alors convaincus, au vu de la cordiale entrevue à laquelle j’avais eu droit, écrit-il, que c’était les hommes de l’ombre qui étaient à l’origine de tous nos malheurs ». Poulina y avait laissé beaucoup de plumes, comme c’est le cas de le dire...

Une grande interrogation

Et si c’était à refaire, Abdelwaheb en Ayed aurait-il, aujourd’hui reprendre le même mode d’organisation et de management ? Tant de règles, tout formaliser, tout cadrer, ne laisser aux équipes qu’une faible marge de manœuvre, exigeant d’eux tous le respect scrupuleux du règlement Poulina : est-ce productif ? La réponse est oui, mais ce mode favorise-t-il l’éclosion de l’innovation débridée, la performance qualitative, la densification des talents ? « La règle ? Pas de règles », proclame Reed Hastings, co-fondateur de Netflix, dans un livre qu’il vient de publier avec Erin Meyer (éditions Buchet Chastel). Il y explique comment de nouvelles pratiques libèrent les énergies créatrices de toutes les normes alambiquées et contraignantes, et débarrassent les salariés, talentueux, libres et responsables, des contrôles excessifs.

Intelligent qu’il était, Abdelwaheb Ben Ayed aurait été tenté, s’il avait lu cet ouvrage, d’essayer ces nouvelles « techniques pour renforcer la culture de liberté et de responsabilité ». Lui qui osait tout tester, ne rien exclure, et parier sur des idées fortes et audacieuses.

Un beau livre à lire, dans ses deux versions publiées simultanément en français (avec une préface de l’ancien ambassadeur de France à Tunis, Serge Degallaix) et en arabe, dans une traduction de Mohamed Maali.

Une mention spéciale à AC Editions qui, avec ce best-seller annoncé, marque son lancement.


 

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