Tunisie: La tentation présidentialiste
Par Habib Touhami - Si demain un référendum est organisé en Tunisie, les Tunisiens voteront en masse en faveur du régime présidentiel. Certains iront même jusqu’à appeler au retour de l’autoritarisme, d’autres, moins jusqu’au-boutistes, inclineront vers l’installation d’un régime présidentialiste en pensant qu’il constitue la meilleure solution pour sortir le pays de l’impasse morale, politique et socioéconomique dans laquelle il se débat depuis une décennie. Trois paramètres pourraient bien expliquer leur choix: le poids de l’habitude, la faillite du parlementarisme, la prime donnée à celui qui est déjà en place.
Le culte du chef est bien ancré dans les mentalités tunisiennes. Dix ans de démocratie parlementaire n’ont pas pu effacer le souvenir de plus en plus glorifié d’un demi-siècle de pouvoir personnel, que celui-ci ait pris les habits de la légitimité historique (Bourguiba) ou qu’il se soit octroyé de facto les oripeaux du sauveur (Ben Ali). La nostalgie qui marque le retour vers le passé de beaucoup de Tunisiens a évidemment quelques rapports avec le bilan catastrophique du régime parlementaire, mais ce n’est pas là une explication univoque. En vérité, les Tunisiens aiment avoir un chef qui les commande et pas une multitude de petits sous-chefs qui apparaissent et disparaissent sur la scène politique au gré des évènements sans que les Tunisiens aient le temps de les dédéifier ou de les haïr.
Le parlementarisme tunisien a des rapports lointains avec le parlementarisme britannique, scandinave ou indien. D’abord parce que le chef de l’Etat dans ces pays préside mais ne gouverne pas et qu’il est désigné soit par la naissance, soit par le suffrage indirect, un gage de stabilité et de pondération. Or sur ce plan, les dés étaient pipés dès le départ en Tunisie puisque la légitimité que confère le suffrage universel direct y est partagée entre un président de la République otage des institutions sinon de lui-même et un Parlement qui entend gouverner à la place du gouvernement. Ensuite parce qu’Ennahdha a de la démocratie parlementaire une conception hégémonique et exclusive. Si on analyse bien les faits, on se rendra compte que ce parti a gouverné le pays continuellement depuis 2012, dans l’action comme dans l’inaction (ce qui est plus grave) sans sentir le poids des responsabilités ou se montrer lucide. Les prétentions exorbitantes du président d’Ennahdha, devenu président de l’ARP, sont inscrites pour ainsi dire dans les gènes de l’islamisme politique, et tout autre que lui, issu du même parti, aurait agi exactement comme lui.
Le Président Kaïs Saïd est arrivé au pouvoir par les urnes, contre toute attente et contre tout l’establishment. Son slogan « Echaab yourid » lui a servi de programme et de point de ralliement. On peut estimer cela insuffisant au regard de la complexité de la situation et que nulle démocratie représentative ne peut fonctionner normalement dans ce cas, mais on doit admettre aussi qu’il a la majorité des Tunisiens avec lui et que son style plaît adux jeunes et aux marginalisés. C’est là un constat et non une spéculation. Qu’une prime soit donnée à celui qui est déjà à la tête d’un pays, quoi de plus « normal » au fond, admettons tout de même que cela donne à celui qui veut agir les moyens de le faire.
Il reste que le nœud du problème n’est pas la Constitution parlementariste comme on le croit à tort, mais le recours à la proportionnelle de listes aux élections législatives car si on changeait de constitution sans toucher à ce mode de scrutin, le Président resterait malgré tout l’otage du Parlement et le jouet des combinaisons partisanes. Dans ce scénario, aucune majorité parlementaire stable et homogène ne se dégagera et la nature même du pouvoir ne se modifiera pas. Il ne restera alors au président de la République que le pouvoir de méditer sur la quintessence du véritable pouvoir, celui que l’on exerce sur soi-même et non pas celui que l’on exerce sur les autres.
Habib Touhami
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