Macron – Saïed : Les messages relayés par Gilles Kepel
Simple hasard du calendrier, ou choix délibéré de la date ? Dépêcher par le président Emmanuel Macron, un envoyé spécial auprès de son homologue tunisien Kais Saïed, le lendemain même du 1er tour de l’élection présidentielle en France, ne passe pas inaperçu. Encore plus, s’agissant de Gilles Kepel, universitaire, politologue, spécialiste du monde arabe et des mouvements islamistes. Quel message porte-t-il de l’Élysée à Carthage, et retour ?
« Entre la Tunisie et la France, les relations sont au beau fixe. Elles demeureront toujours excellentes » lui lancera d’emblée le président Kais Saïed, devant les caméras à micros ouverts. Plus d’une heure et quart d’entretiens, d’abord amorcés en langue arabe, pour se poursuivre rapidement ensuite en français. Il était visiblement ravi de cette visite. Saïed et Kepel, ne sont pas à leur première rencontre. S’ils se connaissaient de longue date à travers leurs écrits, et ils avaient eu l’occasion d’échanger ensemble directement sur des questions d’acuité, lors du voyage officiel effectué à Paris en juin 2020 par le président Saïed, au dîner d’Etat à l’Élysée. Il ne manquera pas d’ailleurs de lui rappeler mentionnant tout l’intérêt qu’il porte à approfondir la discussion autour des notions de l’idée et du concept, de la légalité et de la légitimité, de la liberté et de la souveraineté, mais aussi du pouvoir absolu.
Devant ses visiteurs, Bourguiba aimait déclamer par cœur le poèmr « La mort du loup », d’Alfred de Vigny, les épatant par sa prodigieuse mémoire. Kais Saïed, lui, a porté sa préférence cette fois-ci à Jean-Jacques Rousseau, Jean Bodin et d’autres penseurs. Tour à tour, il rappellera, devant Kepel, ce qu’écrivait Rousseau (1712 – 1778), « L'homme est né libre et partout il est dans les fers. » (Du contrat social, Préambule,1762). Puis il passera à Bodin (1529 – 1596) qui considère dans ses ‘’ Six livres de la République’’, la souveraineté comme « la puissance absolue et perpétuelle d'une République ». Le décor est planté.
S’adressant à l’ambassadeur de France, André Parant, présent à cette audience, le président Saïed confirmera l’esprit de bonne entente entre les deux pays. « Les rapports restent toujours des rapports de bon voisinage, avec de bonnes perspectives », affirmera-t-il en présence du côté tunisien, du ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, et du conseiller principal du chef de l’Etat, Walid Hajjem. Les échanges commencent, loin des caméras.
L’entretien a été l’occasion dira Kepel, « d’échanger sur la situation internationale et l’avenir de nos relations dans un cadre international profondément bouleversé et qui demanderait une remise à niveau d’un certain nombre de concepts. » La radicalisation et l’extrémisme violent ainsi que la migration clandestine et leurs conséquences sur la France et d’autres pays européens ont été également évoqués. L’objectif étant de réfléchir et d’agir ensemble afin de préserver la jeunesse contre ces risques.
Un large spectre
Depuis lundi à Tunis, Gilles Kepel a enchainé les entretiens avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, des membres du gouvernements, des figures de la société civile et des universitaires, avant d’être longuement reçu, mardi au palais de Carthage. Sa mission, qui l’avait conduit dans plusieurs capitales de la rives sud de la Méditerranée, du Maroc à la Turquie, prend cette fois-ci à Tunis une dimension particulière. Cela fait près de quinze fois qu’il se rend en Tunisie depuis 2011, rencontrant des acteurs significatifs et les plus hauts dirigeants. Gardant ses repères et ses contacts, il hume rapidement l’air du temps, et sait écouter. "L'accueil que lui réservera cette fois, le président Saïed, relève un observateur, est particulièrement significatif de l'estime dont il l'entoure."
Un moment fort de cette visite, hors des entretiens officiels au plus haut niveau : la rencontre avec les étudiants de l’École nationale d’Administration (ENA). La direction générale et l’ambassade de France à Tunis étaient bien inspirées pour la proposer à Gilles Kepel, qu’il a acceptée, avec réel bonheur. Pendant plus d’une heure trente, entre conférence introductive et débat, les grands bouleversements des relations internationales suscités par la guerre d’Ukraine étaient passés à l’analyse.
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