Habib Touhami: La démocratie tunisienne, des alternances sans alternative
La démocratie tunisienne est à un point d’inflexion de son histoire. Elle n’a pas basculé dans le camp liberticide, du moins pas encore, mais elle pourrait s’y résoudre si la situation socioéconomique dégénérait ou si l’alternance en cours ne réussissait pas à proposer au pays une alternative politique et socioéconomique viable. Depuis 2011, la Tunisie a organisé trois élections législatives et deux présidentielles. Pas moins de dix gouvernements ont été formés et le parlement tunisien a accueilli en son sein une myriade de représentants du peuple balayant la totalité du champ politique tunisien ou presque. Mais ces alternances devenues redondantes et stériles n’ont pas conforté le régime démocratique, au contraire.
L’organisation régulière d’élections libres est le critère le plus souvent utilisé, à l’échelle internationale, pour évaluer le caractère démocratique d’un régime politique, mais tenant compte des faits, ce critère ne suffit plus. Deux autres entrent en considération. Le premier concerne l’existence en permanence d’une solution d’alternance démocratique en réserve. Sa mission est de suivre de très près l’action gouvernementale, lui apporter contradictions et contre-propositions et préparer la relève putative à exercer le pouvoir. Si ce critère n’est pas rempli, les élections perdent tout sens. A quoi bon aller voter s’il n’y a pas de vrai choix. Le second tient à la distinction entre alternance et alternative. Si l’alternance reconduit la même gouvernance et la même politique socioéconomique malgré leur échec, il ne s’agit alors que d’une alternance sous forme de piège «démocratique » et non d’une véritable alternative. Une démocratie qui se résume à l’organisation régulière d’élections libres est une démocratie qui se réduit à un changement des équipes dirigeantes.
Telles ont été les conséquences politiques de toutes les élections tunisiennes organisées jusqu’ici. Les circonstances sont-elles seules en cause, alibi souvent avancé, ou le problème est endémique? Il serait évidemment injuste de nier l’impact du terrorisme et de l’explosion des revendications sociales sur la production, les grands équilibres ou les finances publiques après 2010; mais il serait tout aussi injuste de tout mettre sur le dos des circonstances. Le fait est que l’opposition n’était pas prête à gouverner le pays en 2011, et ce parce qu’elle ne s’était pas préparée sérieusement à le faire ; par paresse, bêtise ou inconséquence. Cette thèse a été défendue en juin 2011 lors d’une conférence donnée à l’hôtel El Mechtel. Elle s’appuyait sur le constat flagrant selon lequel l’opposition politique d’alors était «culturellement» une opposition de protestation, pas une opposition de gouvernement.
Hélas, cette culture politique particulière, surannée et absurde, perdure malgré l’expérience malheureuse d’une décennie et un passif socioéconomique lourd et désastreux. Ainsi et hormis ses diatribes verbales sur l’illégalité du régime instauré le 25 Juillet 2021, l’opposition actuelle à Kaïs Saïed ne propose rien de concret ou de signifiant sur le plan socioéconomique, l’emploi, les revenus, les prix, la compensation, la répartition primaire et secondaire, la protection sociale, etc. Elle ne peut donc pas assurer l’alternance si besoin est ou se présenter comme une alternative démocratique crédible. Au vide, elle n’oppose rien d’autre que le vide, et c’est précisément là que réside le danger qui menace la démocratie enTunisie.
Habib Touhami
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