Leila Chikhaoui-Mahdaoui: De Kalaâ Djerda à la passion pour l’environnement
Les Tunisiens commencent à la reconnaître parmi les femmes membres du gouvernement Bouden : «celle qui porte sur les épaules une écharpe en hiver et un foulard le reste de l’année». Leila Chikhaoui-Mahdaoui a toujours été dans la discrétion, protégeant sa vie familiale, laborieuse, productive. Sa biographie est la plus courte de toutes celles des autres membres du gouvernement.
Tout ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle est professeure agrégée en droit public, docteure en droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où elle a soutenu en 1996 une thèse sur «Le financement de la protection de l’environnement». Spécialiste des questions de droit public financier et de droit de l’environnement (interne et international), la professeure Leïla Chikhaoui-Mahdaoui a dirigé de 2013 à 2021 le mastère en droit de l’environnement à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale (FSJPS) de Tunis et y a enseigné divers modules. Elle a été nommée en 2014 membre de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (IPCCCPL), mise en place sur la base de la nouvelle Constitution, où elle a poursuivi ses activités jusqu’en 2021, parallèlement à sa mission pédagogique.
Il faut creuser davantage pour en savoir plus.
De la Faculté au Ministère
Pour Leila Chikhaoui-Mahdaoui, tout a commencé un matin de fin septembre 2021, lorsqu’elle a reçu un coup de fil de Najla Bouden-Romdhane. Elles se connaissaient depuis longtemps dans le cadre de leur collaboration au titre de la mise en oeuvre des programmes d’amélioration de la qualité universitaire (PAQ) au Ministère de l’enseignement supérieur. Sans détours, la future Cheffe du gouvernement lui a dit : «On a besoin de vous pour l’environnement» et sans hésitation, la réponse a été : «Oui !».
Elle précise : «Je ne pouvais pas refuser cette occasion qui m’était ainsi donnée, dira-t-elle, de passer de la théorie à la pratique, compte tenu de ma passion pour la protection de l’environnement. Des motivations du même ordre, à savoir la réponse à un appel et le sentiment du devoir - surtout ne pas laisser de chaise vide - comme me l’ont ont appris mes aînés, m’avaient également poussée à accepter de faire partie de l’équipe des 10 experts ayant contribué à la dernière ligne droite de l’élaboration de la Constitution du 27 janvier 2014 (mai à décembre 2013), puis de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (IPCCPL), dont j’ai été membre pendant toute la durée de sa brève existence (2014-2021) et dans le cadre de laquelle j’ai énormément appris».
Des considérations personnelles s’y sont ajoutées : «Je connais et apprécie les compétences de Mme Bouden-Romdhane», dit-elle. En outre «j’ai toujours été édifiée par la droiture et les capacités du président Saïed. Depuis de longues années, vers la fin des années 1980, au Campus universitaire, puis à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales, nous avons souvent échangé à propos de divers sujets et j’apprécie sa vaste culture et ses compétences. Ce sont là deux facteurs essentiels qui m’ont encouragée à accepter. Je crois en la bonne volonté, la mienne et celle de tous les membres de ce gouvernement atypique. Nous formons une équipe très soudée et, à ce titre, absolument inédite dans l’histoire, tant ancienne que récente du pays, et œuvrons à être le gouvernement de tous les possibles. Notre ambition est de redonner aux Tunisiennes et aux Tunisiens le goût du travail bien fait, du respect mutuel, du savoir et de la connaissance éclairés, de la tolérance et de la solidarité, toutes ces valeurs que nous ont inculquées nos parents et qui nous rassemblent au-delà de nos différences ...»
Mines, nature et fierté en ADN
Au cœur du Nord-Ouest de la Tunisie, dans Le Keffois, non loin de la frontière avec l’Algérie, Kalaâ Djerda, ville minière jadis riche en phosphate, était le terminus du chemin de fer. Une citadelle érigée sur les hauteurs surplombe la vallée riche en arbres fruitiers et diverses autres cultures. Après la fermeture de la mine, le petit village, gardant tout son charme et la citadelle, toute sa fierté, a changé de nom, à l’initiative de Bourguiba, pour devenir Kalaâ Khasba (la citadelle fertile). Il a relancé son agriculture, comptant sur le labeur de ses habitants. C’est à Kalaâ Khasba que remontent les origines de la famille de Leila Chikhaoui. Bercée par les récits de son père au sujet de ce petit village idéalisé où il vécut son enfance, elle y puise une partie de son ADN…
Son père, fonctionnaire, est dépêché en tant qu’expert en coopération technique, en Afrique subsaharienne, au début des années 1970. De retour à Tunis, il rejoint un cabinet ministériel, puis des organismes publics. Sa mère a exercé jusqu’à sa retraite le métier de professeure de français, longtemps au lycée technique de Radès. Leila Chikhaoui accomplit la fin de son cycle primaire et quasiment tout son cycle secondaire au lycée Carnot de Tunis et l’achève au lycée de Mutuelleville où elle décroche son baccalauréat série B (économie) en 1984. Lorsqu’elle a fait son choix d’orientation, son amour pour la littérature lui suggérait d’approfondir sa connaissance des lettres françaises, mais une raison pragmatique, ainsi que les conseils de ses proches, l’ont finalement amenée à cocher la case de la Faculté de droit et des sciences politiques. La proximité du campus d’El Manar l’a emporté sur l’éloignement de la faculté des Lettres (la Manouba) par rapport à son domicile d’alors (Radès-Forêt) …
En flux tendu
Dès sa première année au Campus, Leila Chikhaoui est émerveillée par l’érudition de ses éminents professeurs qui, d’ailleurs, ne manquent pas de l’apprécier. Les Mohamed Charfi et Abdelfattah Amor, mais aussi bien d’autres, tels Slim Chelly, Zouheïr Mdhaffar, la fratrie Ben Achour (Yaadh, Rafâa et Sana), Habib Ayadi, Hafedh Ben Salah, Lazhar Bououny, Amel Aouij-Mrad, lui font aimer le droit et ne cessent de l’encourager, elle et ses camarades de promotion, Chafik Sarsar, Raya Choubani, Selma Houissa, Rym Hammami…Elle obtient sa Licence en droit public en 1988, décrochant le prix présidentiel. Dans la foulée, elle réussit son certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et commence son stage au cabinet de Maître Mohamed Mahfoudh.
Parallèlement, elle obtient son diplôme d’études approfondies (DEA) en droit public en juin 1990.
Dès l’obtention de son DEA, Leila Chikhaoui-Mahdaoui commence à enseigner au Campus à la rentrée 1990-91 et passe le concours d’assistanat en février 1991. Elle y enseigne jusqu’en 2002. Férue de finances publiques et de fiscalité (elle a soutenu en 1990 un mémoire sur la réforme fiscale), elle s’intéresse rapidement au financement de la protection de l’environnement, dont elle fait le sujet de sa thèse de doctorat. Pour pouvoir s’y consacrer à plein temps, elle demande et obtient un congé d’études (1993-1996), puis achève son parcours à la Sorbonne, où elle soutient sa thèse sous la direction de la professeure Jacqueline Morand-Deviller, Michel Prieur, Yves Jégouzo, Hafedh Ben Salah et Laurent Lucchini étant membres de son jury.
De retour à Tunis, Leila Chikhaoui-Mahdaoui reprend l’enseignement au Campus, tout en assurant des cours en mastère de droit de l’environnement, alors nouvellement créé par la professeure Soukeina Bouraoui, à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. En 1996, un nouveau dispositif d’habilitation universitaire, permettant au titulaire de son attestation de postuler au grade de maître de conférences de l’enseignement supérieur, est introduit dans le système universitaire tunisien. Elle y postule et devient la première juriste à l’obtenir, après soutenance devant un jury.
Dans le même élan, elle se présente au concours d’agrégation en 1999, mais rate la marche. Ce n’est que partie remise: elle obtient son agrégation, sur leçon, en 2002. Leila Chikhaoui-Mahdaoui est alors affectée à la Faculté de droit de Sfax où elle passe deux ans (2002-2004), avant de demander sa mutation à la Faculté des sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba (2004-2009) où elle affirme avoir passé «les plus belles années de sa carrière», tout en poursuivant la dispense de quelques cours à la Fsjps de Tunis. Elle finit, en 2009, par revenir à temps plein à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, où elle dirige, de 2013 à 2021, le mastère en droit de l’environnement.
Parallèlement, elle a abordé l’enseignement virtuel à l’Université virtuelle de Tunis (UVT), en collaboration avec l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), et a participé à la conception, puis au déploiement d’un mastère à distance en écotourisme, en concevant et en dispensant un cours sur les Aspects juridiques de l’écotourisme (2010-2012), tout en assurant également le tutorat des apprenants à distance.
Outre son parcours académique, l’expertise de Leïla Chikhaoui-Mahdaoui en tant que juriste environnementaliste a été sollicitée à maintes reprises dans le cadre de la réalisation de plusieurs études dans ce domaine (gestion intégrée des ressources hydrauliques, tarification de l’eau d’irrigation, biodiversité marine et côtière, gestion des déchets, sécurité environnementale dans l’espace méditerranéen…).
À l’échelle internationale, Leïla Chikhaoui-Mahdaoui fait partie du Groupe de 40 experts internationaux ayant contribué à l’élaboration d’un projet de Pacte mondial pour l’environnement, en discussion au sein de l’ONU depuis 2017. Elle est également membre de la Chaire Normandie pour la Paix, du Centre international de droit comparé de l’environnement (Cidce) et du Réseau des juristes africains de droit de l’environnement (RAFJE).
Au sixième étage du nouveau siège du ministère de l’Environnement, tout près de l’Insat, au Centre Urbain Nord, Leila Chikhaoui-Mahdaoui s’est rapidement sentie dans son élément. Géographiquement, elle est à quelques encablures de sa chère Faculté et de l’Arboretum de Tunis, jardin botanique sous le Protectorat (début des années 1900), longtemps affecté au ministère de l’agriculture avant d’être transféré au département chargé de l’environnement en 1996, lieu symbolique relié à la Cité des sciences par un pont aérien, victime d’une période d’abandon et de délaissement post-2011 et qui va être bientôt rouvert au public sur son initiative... Les équipes sont enthousiastes. Maintenant, il faut assurer. Les Tunisiens sont impatients et la cause écologique n’attend pas...
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