Sport d'hiver: Poudre blanche au royaume de l’or noir
Par Mohsen Redissi - Le monde arabo-musulman est en effervescence extrême. Les pays du golfe Arabique viennent d’inventer un nouveau concept, le concept de la fête longue durée. Le Qatar qui organise de novembre à décembre, considérée propice par des experts en climatologie, la phase finale de la Coupe du monde de football; la première coupe dans un pays richement et mondialement connu mais pas pour son football.
Dernièrement, le Conseil Olympique d'Asie avec ses 45 comités olympiques nationaux a attribué à l’unanimité à l’Arabie Saoudite le soin et le grand souci d’organiser les Jeux Asiatiques d'hiver de 2029. Elle était la seule nation en lice. S’enlisera-elle dans ses propres sables mouvants?
Avoir froid au dos
La décision d’accorder à l’Arabie Saoudite le privilège d’organiser les jeux d’hiver a secoué les milieux sportifs sur la finalité du choix, milieux habitués à des opérations frauduleuses grotesques. Des questions restent en suspens sur la justesse du choix et sur la transparence de la transaction.
Neom, la ville qui organise les jeux d'hiver de 2029 est une ville fantôme, n’existant sur aucune carte. Elle a vu le jour sous les tracés des planches des architectes. Une ville futuriste projetée le long du littoral de la Mer rouge avec des plages phosphorescentes, des taxis volants, ou encore une attraction de type Jurassic Park avec des lézards géants animés. Sa raison d'être est d’abord d’arracher l’accord d’organiser les jeux, ensuite de la voir sortir du sable fin du désert Arabique. Aux pétrodollars de faire de ce rêve saoudien une réalité.
Sans preuve aucune, les sceptiques crient au scandale, c’est compréhensible! Les jeux d’hiver dans un pays où il neige une fois tous les vingt ans et où l’on enregistre des températures étouffantes même pendant les mois les plus froids. Le changement climatique dont on parle souvent sera-il aussi grave et complexe pour changer radicalement la face du monde si vite?
Le doute frappe souvent les esprits et l’on accuse les autres de tricherie quand le vote ne plaît pas à certains pays et aux organisations internationales. Les prétextes sont multiples et divers. Certains pays ont organisé deux fois les JO et deux fois une phase finale de la Coupe du monde de football; certains coup sur coup les JO et la Coupe du monde comme le Brésil et la Russie. Personne n’a crié gare. Une fédération contre un Comité.
Chaque pays membre peut prétendre organiser une compétition internationale. Certains oublient le forcing et la pression que mettent les pays organisateurs. Ils jettent dans l'arène leurs meilleurs atouts, leurs anciennes gloires et leurs médaillés olympiques… Nelson Mandela s’est rendu lui-même en Suisse pour plaider la cause de l’Afrique du Sud. Son héritage carcéral, le respect que doit le monde à sa personnalité et sa charge de président ont eu raison de l'hésitation de certains représentants réunis en conclave.
Passe ton chemin ou fait comme ton voisin
Le petit pays qui est le Qatar, rival du royaume, arrache l’organisation de la phase finale de la Coupe du monde, la plus grande et la plus prestigieuse manifestation sportive et économique connue. Ses retombées sont incalculables sur le court et le long terme. Un coup de poker à l’époque. L’Arabie Saoudite, plus riche, est restée souvent à la traîne sur son propre sol, la péninsule Arabique et la scène internationale. BeIn Sports, un réseau qatari de chaînes de télévision créé en 2011, a mis depuis main basse sur toutes les activités sportives à sa tête à l'époque Nasser Al-Khelaïfi, l’actuel président du club de la capitale française le PSG.
La fierté nationale saoudienne a pris un grand coup. Les esprits s’échauffent, il faut frapper fort et faire d’une pierre deux coups, rattraper le retard et prendre une longueur d’avance sur les pays de la région, une région riche et toujours en effervescence.
Vive le sport
Le sport, sous toutes ses formes, est devenu un excellent agent de publicité, un accélérateur de visibilité et le meilleur agent d'aménagement du territoire. Le soleil ne se couche jamais sur la planète Sport.
Pour sortir de la grisaille et de l’anonymat, l’Arabie Saoudite essaye d’occuper la case restée vide, celle des activités sportives à très grande échelle. Les émirats du Golf se sont attaqués à l’immobilier du luxe. Le royaume des Al-Saoud s’est offert une équipe britannique prestigieuse, Newcastle. Désormais, le vrombissement des bolides de la Formule1 se fait entendre sur le circuit de la corniche de Djeddah, une étape de transition. Qiddiya, le circuit d’automobile construit initialement pour la F1 en plein désert, vient d'être achevé. L’Arabie Saoudite s’adjuge deux circuits et deux Grands prix de F1 dans l’année, Djeddah et Qiddiya.
Le pays est devenu actif sur le plan international et sur le sol saoudien en organisant des événements de grande envergure. Il a pu ainsi organiser ou programmer:
• Le premier combat de boxe féminine au mois de mai de cette année à Riyad,
• Un combat de boxe entre deux titans Fury-Usyk le 17 décembre, la veille de la finale de la Coupe du monde de football 2022 pour concurrencer la finale du Mondial au Qatar,
• La prochaine édition des Jeux mondiaux des sports de combat en 2023,
• Le dépôt d’une candidature conjointe Arabie Saoudite-Grèce-Egypte pour le Mondial 2030, avec l’engagement de Riyad de financer et de prendre à sa charge les travaux nécessaires en Grèce et en Egypte.
Le ministre saoudien des Sports a également exprimé le désir de voir un jour son pays organiser les Jeux olympiques. Justice lui sera-elle rendue? L’Arabie Saoudite veut entrer dans la modernité de plain pied sans toucher aux valeurs morales ni déstabiliser le régime en place. Ces événements font partie d'un processus d'ouverture sur le monde extérieur.
Pour que tombe la neige au Sahara
La condition sinequanone pour organiser les jeux d’hiver, un long hiver avec un manteau neigeux et des températures très basses, est devenue caduque dans les villes et pour les jeux du futur. Les professionnels du ski ont souvent recours aux canons souffleurs pour créer de la neige artificielle quand la neige tarde à tomber. A Dubaï, slalomer et remonter la piste en télésiège se fait à longueur de l’année dans un vase clos.
Seul manque au décor, le reflet des rayons du soleil sur la neige par beau temps.
Neom, la ville rêvée et projetée par les saoudiens sera dotée d’infrastructures nécessaires pour créer une atmosphère hivernale en plein cœur du désert. Les Jeux d'hiver de 2029 seront un événement mondial sans précédent d'après le pays organisateur. Les athlètes de l’Asie, venus chercher l’or et une gloire éphémère, disputeront les pistes et les descentes en ski avec les premiers habitants du désert, les animaux emblématiques de la Péninsule arabique comme le lévrier, le chien le plus rapide au monde, le chat des sables, l’oryx, le caracal, le loup d'Arabie, l’hyène, la mangouste, le babouin…Ce n’est pas un mirage, c’est la pure réalité.
Le projet se décline en plusieurs pistes de ski, un lac artificiel d'eau douce, des chalets et des hôtels de luxe. Son atmosphère feutrée ferait d’une région désertique un endroit béni, l’Eden sur terre où il fait bon y vivre et où l’on peut y passer les longs mois de la canicule dans un climat maîtrisé grâce aux nouvelles technologies. A couper le souffle.
Les installations de sports d'hiver resteront sur place. Le but principal des concepteurs et surtout des investisseurs est d’attirer à longueur d’année les classes aisées locales et les obliger en quelque sorte à consommer saoudien au lieu de sillonner les capitales occidentales à la recherche d’extase. Les curieux et les touristes du Moyen-Orient, du Japon, de la Chine, etc. qui veulent vivre une expérience unique, se promener en doudoune dans un désert des plus arides sont les bienvenus. Le projet est initialement conçu pour "redéfinir le tourisme de montagne dans le monde", tout en respectant les principes de l'éco-tourisme de l’avis du prince héritier Mohammed ben Salmane.
Tempête du désert
Les populations autochtones avec la faune et la flore sont les premières victimes dans ce genre de projet partout dans le monde. L’espace consacré au projet est le plus souvent occupé ou utilisé pour d’autres activités. Les tribus, nomades ou sédentaires, refusent la délocalisation ou l'expropriation. Les hommes sont attachés à leurs terres, leurs racines et leurs moyens de subsistance. Ils y pratiquent l’agriculture et l'élevage. Ils cèdent rarement, même sous la menace. Trois membres d’une des tribus qui peuplent ces provinces désertiques ont été condamnés à mort début octobre. Ils refusent l’expulsion de leur tribu.
Les populations sont harcelées continuellement; les descentes musclées des agents de police sont leur pain quotidien pour les faire revenir sur leur décision de rester. Les autorités saoudiennes ont recours à d’autres méthodes de dissuasion comme les coupures d’eau et d'électricité. Les personnages corriaces et récalcitrants sont accusés de terrorisme. Leur tête est vite mise à mort.
La faune et la flore ne seront pas épargnées. Le ballet incessant de gros camions et des bulldozers pour les travaux de terrassement puis de construction auront raison d’un écosystème fragile. Le désert se dérobe sous le poids et son sol est meuble. L'habitat naturel de milliers de petites bêtes sera couvert d’une chape de béton.
L’Arabie Saoudite a été pendant longtemps accusée de soutenir le terrorisme et d’être un havre de paix pour les gropuscules violents.
L’enfant du pays Oussama bin Laden colle encore à sa peau. Elle est en train de se faire une virginité en cherchant à investir dans le domaine des sports et des attractions sportives. Neom est un espace gigantesque de loisirs avec des valeurs beaucoup plus libérales que sur le reste du territoire.
Mohsen Redissi
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