Un programme avec le FMI dans les conditions actuelles ne serait qu’une fuite en avant
Par Rakia Moalla-Fetini, ancienne chef de mission au FMI - Un accord de principe devait être conclu à la mi-octobre entre les autorités tunisiennes et le staff du FMI. Une réunion du conseil d’administration de ce dernier devait sceller l’accord prévu pour le 19 décembre. Cinq jours seulement avant cette date, la réunion a été retirée de l’agenda. Indépendamment des raisons qui ont pu causer un tel revirement, je pense que dans les conditions actuelles, un programme avec le FMI, plutôt que d’apporter le salut que beaucoup de personnes espèrent, ne serait qu’une fuite en avant. Il aggraverait la spirale d’endettement abusif et excessif dans lequel la Tunisie a été engagée depuis le changement politique survenu en 2011, et rendrait toute opération de redressement future plus difficile et plus coûteuse. Il est vrai que sans ce programme, le pays risque de se retrouver dans une situation de cessation de paiement : sans le prêt du FMI et ceux des autres bailleurs de fond qui l’accompagneront, la Tunisie ne pourra pas honorer les payements dus à ses créanciers. Un prêt du FMI repousserait les échéances, mais tant que les conditions actuelles perdureront, tôt ou tard, le pays n’aura d’autre choix que de déclarer faillite.
Je m’explique :
Le noyau de tout programme d’ajustement structurel du FMI est constitué d’une panoplie de mesures d’austérité dont le but est de réduire les déficits publics (augmentation des taxes, réduction de la masse salariale, élimination des subventions, privatisation des entreprises publiques déficitaires) et de freiner la demande privée, essentiellement à travers une augmentation des taux d’intérêt. C’est bien ce que le gouverneur de la Banque Centrale, parlant du nouvel accord avec le FMI, a tenu à rappeler : « La priorité absolue pour la Tunisie est la stabilisation macro-économique ».(1)
Ce qui fait le succès ou l’échec des programmes d’ajustement structurels du FMI est la qualité des réformes structurelles qui accompagnent les mesures d’austérité. En l’absence de réformes structurelles capables de mobiliser les capacités productives de la nation pour propulser la croissance et le développement et, ainsi, contrecarrer les effets négatifs des mesures d’austérité, ces dernières entrainent inévitablement une chute du pouvoir d’achat des ménages, un ralentissement brutal de l’activité économique et une recrudescence du chômage.
La peine que les mesures d’austérité infligent — en l’absence de réformes structurelles appropriées — est si grande que seuls des régimes politiques très forts sont capables de persévérer dans leur mise en œuvre. Mais, dans des contextes politiques fragiles, et lorsque le soutien du FMI (et des autres bailleurs de fonds) est motivé par des considérations géopolitiques, ces mesures sont souvent abandonnées aussitôt implémentées. Les prêts qui sont alors déboursés pour soutenir l’économie n’entraînent pas davantage de sens des responsabilités de la part des autorités politiques. Les prêts sont utilisés pour financer le gonflement de la masse salariale et d’autres dépenses courantes et, comme ils sont en devises étrangères, ils permettent aussi de contenir les pressions inflationnistes dues à l’aggravation des déficits budgétaires. Le gouverneur de la Banque centrale pourra ainsi se féliciter d’avoir maitrisé l’inflation, oubliant le revers de la médaille : la menace que l’endettement étranger excessif pose pour la souveraineté de l’Etat. Une telle dynamique engage, aussi bien le pays que ses créditeurs, dans un chemin sans issue, celui d’un enlisement progressif dans un endettement de plus en plus insoutenable.
C’est sur ce chemin que la Tunisie, avec la complicité de ses bailleurs de fonds, s’est engagée depuis 2011. Et c’est bien pour cela qu’au bout de 12 ans de gestion désastreuse des affaires de l’Etat et d’une expansion sans précédent de la corruption sous toutes ses formes —au vu et au su des bailleurs de fond — la Tunisie se retrouve aujourd’hui dans une situation désespérée, où elle ne sait plus s’il faut utiliser ses maigres ressources pour payer les salaires, rembourser ses créanciers, ou acheter des céréales qu’elle ne sait plus produire, elle qui fut le grenier de Rome.
La seule issue serait donc d’accompagner les mesures d’austérité par des réformes structurelles indispensables. Or, dans les conditions actuelles de chaos politique où la Tunisie se trouve, ces réformes ne sont ni envisageables ni envisagées. Pourquoi ?
D’abord, parce que la croissance et le développement ont besoin d’un régime constitutionnel stable et d’une vision stratégique de long terme, cohérente et inclusive, à laquelle l’ensemble des acteurs politiques adhéreraient. Ensuite, parce que l’ingénierie de la croissance et du développement ne peut être conçue et pratiquée que par une administration publique(2) compétente, intelligente, agile, souple, imaginative, et engagée dans la lutte pour le développement.(3) Une telle administration est seule capable de connaître non pas les grands contours de toutes les contraintes au développement mais le détail de celles qui importent le plus. Elle seule pourra identifier les secteurs et les marchés où les monopoles, la corruption, et les défaillances règlementaires causent le plus de dommages, et saura trouver des solutions pragmatiques pour combattre de façon efficace les dysfonctionnements. De même, elle pourra commencer à faire face au problème de l’évasion fiscale et celui, plus général, des défaillances du système de taxation et de règlementation qui ont poussé la moitié de l’activité économique vers les réseaux parallèles. Une fois identifiées, les mesures devront être mises en œuvre avec vigilance et un souci constant de suivi et d’évaluation. L’administration devra veiller à ce que les sacrifices consentis soient répartis équitablement entre l’ensemble des partenaires sociaux.
Le chaos politique qui règne dans le pays depuis 2011 a réussi à vider l’administration tunisienne de ses meilleures compétences et à démobiliser celles qui sont restées. Ce n’est pas dans ces conditions que la Tunisie pourra identifier et mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires. Dès lors, les longues matrices de réformes structurelles collées au dos des lettres d’intentions envoyées au FMI sont futiles : elles ne valent même pas l’ancre et le papier qui servent à les imprimer.
A la lumière de ce qui précède, il est clair qu’aujourd’hui « la priorité absolue pour la Tunisie »(4) est la réforme du système politique. Un retour à la constitution de 1959 pourrait être un bon point de départ pour reconstruire ce qui a été détruit, étant donnée la légitimité historique dont jouit cette constitution(5). Celle-ci peut servir à rétablir les structures de base de l’Etat. Elle pourra être amendée ultérieurement par le parlement nouvellement élu, à la lumière des leçons apprises pendant ces douze dernières années.
Rakia Moalla-Fetini, ancienne chef de mission au FMI
1) Propos recueillis lors d'un panel sur la souveraineté budgétaire, tenu le 10 décembre durant les Journées de l'Entreprise.
2) Ministères et Banque Centrale inclus.
3) Les leçons tirées par la Banque Mondiale de l’expérience réussie de certains pays ne sont,hélas, que d’une utilité très limitée, et la science économique n’a point trouvé encore le Saint Graal du développement.
4) Pour reprendre l’expression du Gouverneur de la Banque Centrale.
5) Voir mon article à ce sujet : https://www.leaders.com.tn/article/33417-rakia-moalla-fetini-non-a-la-troisieme-republique-pretons-serment-a-nouveau-a-la-constitution-de-1959
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I have 2 comments: - I do not think that we have a choice regarding an IMF program. The country is facing an acute liquidity problem and, if not resolved, could lead to a solvability problem. Under the proposed program, donors are not willing to support the country because of KS and also because the program is weak on reforms. As far as I know there is basically nothing at this stage to contain spending, excepts the increase in energy prices. It is unfortunate to say, but the proposed program ( like that of Argentina) was basically designed to keep Tunisia current with its obligations to the Fund and other creditors rather than to address Tunisia's structural problems. - I don't think that it is feasible/reasonable to ask for a return to the 1959 Constitution. People are tired. What's next? Frankly I do not know. KS will not budge and there is no credible opposition, as long as political parties continue to fight each other. Another July25 shock! Will it be peaceful?