Dar et Borj, mémoire de Sfax: Le nouvel ouvrage de Aida Sellami Zahaf et Samia Smaoui Turki
Emerveillement, nostalgie, motif de fierté et source d’inspiration à la fois ! Du fond des siècles derniers, l’habitat sfaxien révèle sa magnificence. Raffinement du goût des propriétaires, génie des maîtres maçons (les Sta), talent des artisans et beauté des lieux : un enchantement total.
Au gré des alternances saisonnières, les dars, dans la médina, et les borjs, dans des Jnens, de la proche banlieue, constituent une véritable spécificité sfaxienne. Dans aucune autre ville, on ne disposait jadis de deux résidences à la fois. La première, plus restreinte, est habitée en automne et en hiver. La seconde, plus spacieuse et plus aérée, est occupée dès le printemps, puis tout au long de l’été. Les deux types de demeures relèvent d’un patrimoine architectural des plus riches et des plus diversifiés. L’art-déco côtoie l’italien, l’andalou, les céramiques viennent d’Italie, d’Espagne, le fer forgé d’Alexandrie et le marbre de Carrera, en Italie. Dans la médina, l’extérieur des dars est sobre : discrètement une porte cloutée est encadrée de pierre taillée. L’intérieur est riche. Tout se passe à l’intérieur, enveloppé dans le mystère, protégé des indiscrétions. Les souvenirs restent vivaces.
Plus qu’un habitat, dars et borjs racontent un mode de vie, des légendes et des traditions. Ces demeures restituent tout un savoir-faire d’architecture, de construction, de décoration et d’ameublement.
C’est cette mémoire si merveilleuse que restitue un beau livre intitulé Dar et Borj, mémoire de Sfax qu’on doit à Aida Sellami Zahaf et Samia Smaoui Turki. L’ouvrage est abondamment illustré par une écriture photographique de Pierre Gassin (Editions Mohamed Ali Hammi). Sur 400 pages, c’est à un véritable voyage dans le raffinement que nous convient les autrices, avec un message central : préserver ce patrimoine, s’en inspirer et le faire vivre. D’emblée, Ghazi Gherairi soulignera en préface que cet habitat illustre «l’alliance entre le nécessaire et le beau». Aïda Sellami Zahaf rappelle que ce livre est né d’une expérience exaltante à laquelle elle a largement contribué, celle de Borj Kallel. Son propriétaire, Me Abdessalem Kallel, l’a aménagé en espace culturel et confié à une association dédiée. Ce fut un déclencheur. Comme un retour de mémoire, qui sera prolongé par un circuit de visite à d’autres borjs. Et ce fut souvent un constat amer, celui de voir des demeures tomber en péril. Samia Smaoui Turki souligne que le parti-pris est de présenter ces dars et borjs par leurs propriétaires ou leurs descendants, ce qui offre un témoignage précieux. Les textes, écrits en arabe et en français, sont accompagnés de commentaires, de cartes et de plans-types. Un glossaire offre des définitions et indications utiles.
L’ouvrage est soigneusement charpenté en cinq chapitres. On découvre successivement les Diars El Medina (11), les Borjs (21), des édifices d’un patrimoine partagé (7), et des demeures en péril (10). D’illustres Sfaxiens, commerçants, agriculteurs et d’autres professions, y ont laissé leur empreinte depuis le début du XVIIIe siècle. On retrouve les Jallouli, Kamoun, Laadhar, Khlif, Ben Salem, Bellaaj, Khemakhem, Samaoui et Affes. Mais aussi les Kallel, Cheffai, Trifa, Moalla, Mhiri, Chaker, Abid, Kaaniche, Megdiche, Meziou, Ellouze, Krichen, Fakhfakh, Elleuch, Feki, Nouri, Ben Romdhane, Gargouri, Fendri, Aloulou, Ammar, Yengui, Sellami, Keskes, Akrout et autres… Chacun y retrouve aujourd’hui des racines profondes.
Le livre se termine par la présentation de trois initiatives significatives. Le premier est la restitution d’une ancienne maison dans une oliveraie de la région par Sofiène Sellami. Passionné de patrimoine, il a construit la maison de ses rêves en utilisant des matériaux anciens : portes, fenêtres, placards, devantures de lit parterre, céramiques, et autres, leur donnant une nouvelle vie. Le deuxième projet est Arij El Medina porté par une trentaine de jeunes constitués en société, et qui consiste à s’approprier de vieilles maisons pour les restaurer, puis affecter à des projets touristiques. Au bout de trois ans, dix maisons ont été acquises et restaurées. L’une des valeurs ajoutées est de former un noyau d’experts en restauration architecturale et artisanale. La troisième initiative porte sur la création d’une association du patrimoine et des propriétaires des anciennes demeures (Appad) qui s’active pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine.
De nombreuses photos nous lèguent à travers ces magnifiques résidences de véritables chefs-d’œuvre qu’on ne visite et revisite jamais assez. Chaque détail raconte un savoir-faire, un talent et un raffinement. L’ensemble, si harmonieux, invite l’imaginaire à restituer la vie qui y régnait. Le livre devient alors un ouvrage de référence, un manuel d’architecture et de décoration, une source d’inspiration. Lieu de mémoire, célébration de patrimoine, consécration de tant de corps de métiers, son édition était nécessaire. Il devient précieux à conserver et à transmettre aux nouvelles générations.
Dar et Borj, mémoire de Sfax
De Aida Sellami Zahaf et Samia Smaoui Turki.
Photos de Pierre Gassin
Editions Mohamed Ali Hammi, 2022, 400 pages
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Je n'ai pas encore lu le livre mais je tiens dare dare à féliciter les deux auteures du livre qui est un signe de leur amour pour leur joli bled. Jevoudrais seulement signaler que la feue Chams Al Janoub a il ya mault années publié une série d'articles sur les borjs de Sfax. J'ai moi même consacré dans mon livre en arabe intittulé" Sfax propos du coeur"un chapitre aux borjs et Jnens sfaxiens.Merci Mmes