News - 15.02.2023

Les polymères super absorbants en agriculture, une solution pour surmonter le stress hydrique?

Les polymères super absorbants en agriculture, une solution pour surmonter le stress hydrique?

Par Ridha Bergaoui - La Tunisie est touchée de plein fouet par le réchauffement climatique. Celui-ci s’est traduit surtout par une augmentation des périodes de chaleur et canicule et une diminution de la pluviométrie. Les mois de juillet et décembre 2022 ont été les plus chauds depuis 1950 avec une augmentation de 2 et 3,4°C par rapport aux moyennes mensuelles de température.

Un déficit hydrique angoissant

Malgré les dernières précipitations, certes bénéfiques, la pluviométrie enregistrée, pour l’année agricole en cours (du 1er septembre au 13 février) n’est que de 68,7 mm contre une moyenne normale de 144 mm (soit moins que la moitié des précipitations normales). Le Centre-Ouest et le Sud-ouest sont particulièrement touchés (26% seulement de la moyenne).

Les barrages sont à 31,3% de leur capacité de remplissage (barrages du Nord 36%; ceux du Centre 12,9% et 13,9% pour ceux du Cap-Bon). Le taux moyen de remplissage des barrages était de 77% le 13 février 2019 et 64,4% le même jour 2020. Le stock d’eau actuel est estimé à 726,603 Millions de m3 contre une moyenne des trois dernières années de 1 257,412m3, soit un déficit de 530,809 Mm3 (Onagri, MARHP).

En cas de prolongement du déficit pluviométrique, la situation risque d’avoir des conséquences graves sur les productions agricoles, l’élevage et les disponibilités en eau potable ainsi que l’importance des réserves et la qualité de l’eau dans les nappes phréatiques déjà sur exploitées. La situation est d’autant plus alarmante qu’elle dure déjà depuis presque 6 ans de suite. Elle aura certes également un impact socio-économique négatif sur la population rurale, un manque et une hausse des prix des produits agricoles et agro-alimentaires, une augmentation de l’inflation et du taux de la pauvreté et du chômage…

Désormais, chaque goutte d’eau compte

Des besoins croissants en eau tant pour l’agriculture (appelée à produire suffisamment d’aliments pour nourrir la population) que pour l’eau potable ainsi que les besoins des secteurs de l’industrie et du tourisme, face à des ressources de plus en plus limitées, nécessitent la mise en place de mesures d’économies d’eau, de lutte contre le gaspillage, de bonne gestion des ressources, d’éducation de la population et s’il le faut de rationnement devient urgente et nécessaire.

L’agriculture étant la plus grande consommatrice d’eau douce (de 70 à 80% des disponibilités), des efforts doivent être menés pour rationaliser l’utilisation de l’eau, réduire les pertes et gaspillages et améliorer l’efficacité de l’eau d’irrigation. Des techniques d’économie de l’eau d’irrigation existent. Le système de goutte à goutte permet de réduire les pertes par évaporation, l’eau prélevée par les adventices et les pertes par infiltration profonde dans le sol.

Le système d’irrigation goutte à goutte enterré (profondeur 30 cm environ) ou SDI (SubsurfaceDrip Irrigation) est actuellement la technique la plus performante et permet d’amener la totalité de l’eau jusqu’aux racines des plantes. Ce système peut être piloté par un ordinateur qui s’appuie sur un ensemble de capteurs. Ceux-ci évaluent le taux d’humidité au niveau du sol et celle au niveau des plantes ce qui permet de détecter tout stress hydrique et de dispenser la quantité d’eau nécessaire. L’inconvénient principal de ce système est le cout élevé de l’installation et les frais de maintenance.

Une nouvelle technique d’économie de l’eau commence à séduire et se développer dans de nombreux pays. C’est l’utilisation des polymères super absorbants (SAP) appelés également rétenteurs d’eau ou hydro-rétenteurs.

Les polymères super absorbants

Les SAP sont connus depuis les années 1960. Ils ont la capacité d’absorber des quantités importantes d’eau pouvant aller jusqu’à 500 fois leur poids. Il semble que les SAP ont été développés pour la première fois par la NASA pour la confection des couches pour les astronautes.

Parmi les SAP les plus utilisés on trouve le polyacrylate de sodium qui est employé dans de nombreux domaines (produits d’hygiène comme les couches pour bébé, dans les câbles pour lutter contre l’humidité, l’étanchéité des bâtiments, l’épuration des eaux usées, les industries du plastique etc.). Quoique peu couteux, le polyacrylate de sodium n’est pas utilisé en agriculture du fait que, lors de sa dégradation, il libère des ions sodium qui risquent de saliniser le sol. C’est surtout le polyacrylate de potassium qui est de plus en plus utilisé en agriculture.

Le polyacrylate de potassium (ou K-polyacrylamide ou K-PAM) est un hydro-rétenteur très puissant. Il fonctionne comme une éponge. En présence de l’eau, il gonfle et absorbe de très grandes quantités. Placé autour des racines des plantes, il est capable de libérer, par osmose, son eau en fonction des besoins de la plante. Avec la pluie ou un arrosage-irrigation, il se gorge de nouveau d’eau qu’il pourra de nouveau céder à la plante. Sa durée de vie est théoriquement estimée à 4 ou 5 ans. Il n’est pas toxique, non polluant et parfaitement biodégradable dans le sol. Il se présente sous forme de granulés, poudre ou gel.

Utilisation du polyacrylate de potassium en agriculture

En mettant l’eau à disposition, le K-PAM maximise la croissance et la production des plantes et réduit le stress et les risques de flétrissement. De petites quantités du K-PAM (variable selon la culture et l’objectif visé) sont placées près des racines qui vont croitre en s’accrochant à ces petits réservoirs d’eau pour en puiser en fonction de leurs besoins. Le système racinaire des plantes sera beaucoup plus développé et la plante plus vigoureuse. On peut mélanger le K-PAMavec le terreau dans les pépinières ou tremper les racines des plants à repiquer pour améliorer l’enracinement des boutures ou la reprise des plantes. Il est également possible d’injecter, avec des sondes appropriées, le produit directement au niveau des racines des arbres fruitiers ou des vignes déjà en place.

Le produit est utilisable sous tout type de climat, quel que soit le type du sol et les cultures envisagées. Intéressant particulièrement dans les sols sableux avec une amélioration importante de la capacité de rétention de l’eau. Le produit est autorisé pour les cultures en mode biologique.

Les avantages sont nombreux: économie d’eau d’irrigation, amélioration de la production, amélioration de la qualité du sol suite à une amélioration de sa porosité, des fruits plus beaux et plus gros…

Pour les cultures irriguées et en pots, les pertes d’eau par évaporation et percolation sont réduites. Les plantes auront besoin de moins d’eau et des arrosages moins fréquents ce qui entraine des économies des frais d’eau mais également au niveau de la main d’œuvre et de l’énergie. Pour les cultures pluviales, les plantes seront à l’abri des caprices du climat, de la variation de la pluviométrie et des épisodes de sécheresse. Les rendements seront plus homogènes et plus importants. Pour le jardinage, l’utilisation du K-PAM est même recommandée puisqu’il permet d’espacer les arrosages et de partir en vacances sans trop se soucier de l’état de ses plantes.

Les fabricants avancent une économie d’eau de 50% et une augmentation des productions au moins de 20%.De nombreuses marques existent sur le marché et les produits sont commercialisés dans de nombreux pays aussi bien ceux qui souffrent d’un déficit pluviométriques qu’en régions plus favorisées en Europe ou en Amérique. Certains fabricants proposent l’hydro-rétenteur associé à des engrais NPK et oligoéléments (hydro-rétenteurs fertilisants) pour une meilleure croissance et production des plantes.

Les limites du polyacrylate de potassium

L’efficacité du K-PAM semble aujourd’hui bien reconnue et de nombreux pays autorisent et encouragent son utilisation pour améliorer l’efficacité de l’eau et la production. Son intérêt pour lutter contre la désertification et la reforestation semblent acquise. Les industriels qui se lancent dans la production du K-PAM sont de plus en plus nombreux.

Le principal inconvénient du K-PAM est certainement son prix. En France le prix varie de 25 à 40 Euro/kg. A raison seulement de 30 à 70 kg/ha, selon la culture, l’investissement serait très important. Par ailleurs les fabricants assurent que la durée de vie du produit est de 4 ou 5 ans. Cette affirmation n’a pas été toujours confirmée.

En Tunisie, quelques petits travaux ont été réalisés et le produit est actuellement peu connu et les quantités commercialisées très faibles. Compte tenu d’une part de la diminution sérieuse des ressources hydriques face à l’augmentation continue de la demande, il serait nécessaire d’envisager toutes les techniques pouvant conduire à une diminution des pertes en eau et améliorer son efficacité.

Le K-PAM, utilisée avec succès dans de nombreux pays, semble une piste intéressante. Son utilisation pour diminuer la consommation d’eau tout en améliorant la production agricole est très importante surtout dans un contexte de réchauffement climatique et d’instabilité des marchés mondiaux des produits alimentaires. Pour les forêts d’oliviers et amandiers ainsi que nos oasis de palmiers, menacés par la sécheresse, son utilisation serait fortement intéressante pour tirer un maximum profit du peu de pluie reçue tout en améliorant la production d’olives et d’huile et assurer, en cas de fortes sécheresses, au moins la survie des arbres.

Pour un programme d’action et de recherche sur le K-PAM

Avant de se lancer dans une introduction massive du K-PAM et ses dérivés, il serait nécessaire de mettre en place un programme de recherche, d’expérimentation et d’action bien établi où l’administration, les établissements d’enseignement et de recherche et de développement ainsi que les représentant des fabricants de ces produits soient associés et consultés.

La recherche et l’expérimentation sont nécessaires pour confirmer l’intérêt de tels additifs et répondre aux nombreuses interrogations comme la durée réelle d’efficacité du produit, l’incidence de la qualité et du type de sol et la qualité de l’eau d’irrigation, la dose appropriée en fonction de la culture… L’intérêt économique et la rentabilité, tenant compte de tous les effets sur le rendement de la culture, l’économie d’eau, de main d’œuvre et d’énergie, l’effet sur la structure et l’aération du sol…sont des aspects forts importants à connaitre.

Dans le cas où l’intérêt du K-PAM est confirmé, un plan de communication et de vulgarisation serait nécessaire pour encourager les agriculteurs, moyennant subventions si nécessaires, à l’utilisation de ce produit au même titre que les engrais chimiques.

Pour faire face à la raréfaction des ressources tout en améliorant les productions agricoles et à côté de l’utilisation des SAP développée précédemment, de nombreuses autres solutions existent. Le semis direct, l’apport du fumier pour améliorer la structure du sol et sa capacité à retenir l’eau, la rotation des cultures et l’assolement, l’utilisation raisonnée des engrais et pesticides pour ne pas polluer les nappes, l’agriculture durable, la permaculture… sont autant de possibilités qu’il s’agit de développer et de vulgariser.

Enfin, en Tunisie, heureusement que tout le monde s’accorde, de nos jours, à admettre que le problème de l’eau est crucial et que l’agriculture est le pilier fondamental pour l’économie nationale, le développement et le bien–être de la population. Le Président de la République en est bien conscient puisqu’il vient de nommer une compétence nationale dans le domaine de l’eau, Secrétaire d’Etat aux Ressources hydrauliques. Hier, le mardi 14 février 2022, lors d’un entretien avec le Ministre de l’Agriculture, accompagné du nouveau Secrétaire d’Etat, le Président de la République a insisté sur l’importance de l’eau et la nécessité de bien gérer cette ressource ainsi que les infrastructures. Désormais, il n’est plus permis de gaspiller l’eau, cette ressource devenue rare et vitale.

Ridha Bergaoui


 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Rigoletto - 15-02-2023 18:13

] capacité d’absorber des quantités importantes d’eau pouvant aller jusqu’à 500 fois leur poids.[ Oui, et d’où va provenir l’eau? Cela ne résoudra pas le problème de fond. De plus, pouvez-vous nous rappeler combien de temps est-il nécessaire pour dégrader la pollution du polymère ? La nature non biodégradable des polymères synthétiques en fait un déchet permanent. Les produits polymères utilisés comme les sacs et les bouteilles en plastique ne peuvent pas être jetés dans des décharges sanitaires. Ces déchets synthétiques sont ensuite brûlés dans les incinérateurs, ce qui entraîne la libération de gaz nocifs et provoque la pollution de l'air.

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