Aïssa Baccouche: A fleurets mouchetés (II)
Avec un thuréfaire de l’Union pour le Méditerranée
Je m’excuse. Je vais ramer à contre-courant.
J’étais déjà sceptique vis-à-vis de la proposition de l’Union de la Méditerranée. J’ai écrit à ce propos un article paru dans la revue de l’association des relations internationales qui porte un titre à connotation giscardienne «l’Union Méditerranéenne: oui, mais » dans lequel je relevais la célérité du Président Sarkozy à enclencher un processus qui rappelle à bien des égards, les fameux projets de l’Unité Arabe, mort-nés.
Mme Merkel, la chancelière allemande a dû mettre un bémol à un enthousiasme décidément méditerranéen.
Une union, nous a-t-on dit, de projets, projets avec un petit «p» et avec un s, comme sous!
Cela ne me semble pas répondre aux attentes des riverains du Sud de ce lac au-dessus duquel temps n’a pas suspendu ni son vol ni ses vicissitudes.
Ce dont nous sommes demandeurs c’est d’un Projet avec un grand P, un projet de civilisation puisqu’ainsi parle M Sarkozy avec les relents d’un Edgar Morin.
En paraphrasant le discours des urbanistes qui parlent de projet de ville, on pourrait parler en l’occurrence de projet d’espace, d’un espace de prospérité partagée, plutôt de l’extension de l’espace dont ont profité, en leurs temps, deux des voisins de la péninsule ibérique, qui, ne l’oublions pas, faisait partie, il y a quelques siècles, du Maghreb arabe.
Alors, permettez-moi de faire un rêve, ressouder des aires de la civilisation qui avaient marqué l’Univers depuis Carthage, Rome et Cordoue avec comme liant l’inspiration des penseurs français du 18ème siècle qui ont illuminé, au délai de Seine, la terre entière.
Les ressouder dans une aire géographique bien plus modeste que toute la Mare nostrum.
Le bassin occidental me semble offrir un terrain, si j’ose dire, plus perméable, ou à tout le moins, moins accidenté pour y jeter les bases de notre maison commune.
En attendant que l’Orient, déjà si compliqué, puisse transcender ses fractures, attelons-nous à construire des ponts, non point de soupirs, mais d’espérance comme le chantait le regretté Abdelmajid Houssi, le poète méditerranéen dont le corps repose précisément du côté de Venise mais dont la voix se fait toujours entendre dans chacune de nos traversées, d’une rive à l’autre.
Avec Monsieur Juppé
Je voudrais m’adresser à vous et vous dire, Monsieur le premier ministre, entre nous, c’est d'ailleurs le titre de l’un de vos livres, ne pensez- vous pas que l’élargissement de l’Europe en direction des pays de l'Est va immanquablement gêner quelque peu le développement de nos pays au Sud de la Méditerranée puisqu’il y aurait un tarissement de l’investissement extérieur donc un effet immédiat sur la croissance et sur la création d’emplois. S’y ajouterait probablement le renforcement des flux migratoires des pays nouveaux membres de l’Union vers ceux de la vieille Europe.
Notre pays qui a été le premier à croire aux vertus de la coopération avec l’ancienne CEE et qui a de surcroît signé en premier dès 1995 un accord de partenariat avec l’Union Européenne n’a-t-il pas le droit d’espérer en retour un comportement solidaire qui se traduirait par une meilleure prise en compte des besoins réels pour la réalisation de nos objectifs nationaux.
C’est vrai, l’élargissement est une affaire Européenne. Elle est d'ailleurs inscrite dans l’histoire qui prend du coup une sacrée revanche sur la géographie politique de l’après-guerre.
Désormais, la fameuse envolée lyrique mais oh combien prémonitoire du général de Gaulle «L'Europe de l’Atlantique jusqu’à l’Oural» revêtirait une réalité palpable.
Mais c’est vrai aussi que concomitamment, l’approfondissement si cher au Président Chirac est l’affaire de cet ensemble Euro- méditerranéen qui nous englobe et qui, me semble-t-il, constitue par excellence un espace de progrès si par ailleurs on réussissait à construire un climat de détente et de paix sur la rive Est de notre mer commune, naguère berceau des civilisations et carrefour des cultures mais foyer de tensions depuis bientôt un siècle.
Alors je vous demande Mr Juppé, vous qui êtes à la tête du premier parti en France, parti aux commandes à l’Elysée comme à Matignon, est-ce que la Tunisie au regard de ses performances que certains de vos amis n’hésitent pas à qualifier d’impressionnantes ne mérite pas non point tant qu’on renforce les relations - au demeurant exemplaires- mais qu’on lui épargne de devoir pâtir d'un quelconque transfert -fût-il momentané d’intérêt.
Car justement l’intérêt bien compris des deux partenaires ne réside-t-il pas dans l’élévation constante des paramètres et indicateurs de notre tableau d’échanges économiques, sociaux et culturels qui comme vous le savez est orienté, tel l’aiguille de la boussole, vers le nord.
Nous, on veut bien garder le cap. Mais est-ce que nos amis d’outre méditerranée sont prêts à renforcer les amarres avec la rive d’en bas?
Avec un écrivain d’outre-mer
Au moment où le bruit des armes se fait de plus en plus assourdissant, allons-nous cesser de donner de la voix? Oh que nenni!
Les écrivains et les journalistes du monde, qui sont la conscience du l’Humanité, devront garder la foi en un monde meilleur.
Par ces temps de tempête, je saurai élever le verbe haut et fort. A l’instar d’Aristide Briant (1862-1932), chacun de nous clamera face à l’adversité : « Je vous déclare la paix ».
Oui, l’écrivain est bel et bien un messager de paix. Aller vers l’autre, connaître puis aimer: voici son credo!
Mais, déjà, depuis l’antiquité l’homme est féru de découverte. “Rappelons-nous d’Ulysse, d'Homère et d’Elyssa dont nous revendiquons l’héritage.
Les civilisations hellénique et carthaginoise naquirent de ces déplacements qui s’inscrivirent aussi bien dans le temps que dans l’espace. Bien qu’elle nous en coûtât, la civilisation romaine a participé elle aussi à ce remodelage de l’Histoire et de la Géographie.
L’armistice -symbolique- signé à Carthage en 1983 mit fin à toutes les guerres puniques qui avaient assombri la Méditerranée, foyer des lumières des temps modernes.
Parce que nous sommes tous les disciples d`Ibn Batouta, fils de Tanger carrefour de l’Univers, nous osons appeler comme le fit du haut de la tribune des Nations-Unies le leader Palestinien Arafat qui vient de disparaître, à mettre bas le fusil et à brandir haut le rameau d’olivier.
Avec un va-t-en guerre
Au moment où les canons tonnent et où les sirènes hurlent il faudrait avoir des cordes d’acier pour faire entendre sa voix et crier: «nous sommes tous Irakiens». Face au rouleau compresseur d’une guerre dévastatrice, que puissions-nous, «vox-populi» d’un monde atterré devant cet Himalaya d’arrogance, sinon exprimer un ressentiment empoignant et en même temps un fol espoir que demain la raison l’emportera comme ce fut toujours le cas à travers l’histoire tumultueuse de l’humanité.
Oui, nous sommes solidaires d’un peuple en souffrance comme nous n’avons jamais cessé de l'être aux côtés du peuple palestinien et de tous les autres enquête de liberté.
Mais nous sommes plus que jamais convaincus que, grâce à une opinion mondiale unanime et grâce au peuple américain lui-même qui abhorre cette guerre, l’Irak renaîtra à la vie et les fleuves du Tigre et de l’Euphrate charrieront de nouveau les eaux de la paix et de la prospérité.
Avec un économiste orthodoxe
La croissance, ce n’est pas le développement, Si la croissance est quantifiable, puisqu’elle se définit comme l’augmentation du produit national, le développement ne l’est point.
Il exige, certes, une croissance au sens ainsi défini; mais il exige surtout l’accomplissement d’autres conditions dont, en particulier, la couverture de ce que François Perroux appelait « les coûts de l’homme », c’est-à-dire l’alimentation, la santé et l’éducation. Ce sont les investissements réalisés par et dans l’homme, investissements «à ras de terre», selon Pierre Moussa qui créent de tels changements mentaux au sein de la population qu’il devient aisé d’employer la croissance au service du progrès.
Tant et si bien qu’on peut dire que le développement, c’est une métamorphose engendrée par la combinaison de mutations psychosociologiques que seuls les hommes authentiquement progressistes peuvent réaliser. Et 1'on est tenté, pour clore ce propos, d’employer un aphorisme inspiré d’une sentence fort célèbre: Croissance sans progrès n’est que ruine du développement.
Aïssa Baccouche
Lire aussi
- Ecrire un commentaire
- Commenter