Il y a soixante ans, la deuxième participation du Soldat tunisien aux Casques Bleus de l’ONU, pour le maintien de la paix au Katanga (1er partie)
Par le Colonel (r) Boubaker Benkraiem - Le Zaire, l’ancien Congo- Belge, est situé au centre de l’Afrique. Avec une superficie de 2,3 millions de kilomètres carrés, c’est l’un des plus vastes pays africains. Traversé d’est en ouest par l’immense fleuve qui lui a donné son nom, le Zaire est extraordinairement riche par son sol, ses terres, ses forêts, et surtout par ses ressources minières: en effet, cuivre, cobalt, uranium et diamant entre autres ont fait que ce pays intéressait et intéresse toujours toutes les grandes puissances tant occidentales que de l’ex-bloc de l’Est. Celles-ci et celles-là se sont tellement impliquées dans les affaires de ce pays que les luttes intestines pour le pouvoir ont duré près d’un demi-siècle, depuis son indépendance, le 30 juin1960.
Propriété du roi des belges Léopold II depuis 1876, c’est suite aux pressions extérieures, en particulier celles de la Grande Bretagne, que la Belgique assuma la responsabilité formelle de cette colonie depuis 1908. Mais rien n’a été fait pour l’émancipation des habitants de ce pays dont la population, du fait du manque de recensement viable et sérieux, était estimée à près de 15 Millions en 1960 et de plus de 100 millions aujourd’hui. D’ailleurs le sentiment de nationalisme était absent, ce qui, surtout à l’époque, n’avait rien de surprenant, car la population appartient à plus de deux cents tribus différentes.
Le colonisateur n’a rien fait pour développer le pays et naturellement le niveau de la population a été à l’image de son élite qui était, en fait, inexistante.
Très peu de congolais ont donné à leurs enfants une instruction, généralement en dehors de leurs frontières et la majorité de la population était illettrée. Non seulement l’éducation ou la formation culturelle n’a jamais été le souci du colonisateur, mais encore celui-ci a encouragé le tribalisme, ce fléau et ce clivage destructeurs. Ceux-ci ont fait perdre à ce merveilleux peuple congolais, une bonne partie de sa jeunesse sacrifiée, bêtement et inutilement, dans les guerres tribales entre les différentes ethnies qui composent ce pays et qui duraient parfois des années, avant de reprendre, du fait de l’esprit de vengeance, une décennie plus tard.
Cependant vers les années 1920, et dans les grandes villes du pays, quelques groupes parmi les alphabétisés commençaient à s’unir.
Cette élite naissante ne défiait pas ouvertement le système colonial et leurs doléances étaient essentiellement centrées sur le traitement inégal dont les Congolais éduqués étaient victimes.
Le pays connut des crises sérieuses suite à une mutinerie de la force publique (les forces de sécurité intérieure) à Luluabourg en 1944, à des émeutes à Matadi en 1945 et rien n’a été fait par le colonisateur belge pour préparer et roder une classe dirigeante congolaise à l’exercice d’un pouvoir effectif, ne serait-ce que local.
La population urbaine doubla en quelques années, et en 1956, 22% des habitants vivaient dans les centres urbains. Cette situation bouleversera toutes les données. La scolarisation connut également une expansion très rapide à partir de 1949 et le taux de scolarité qui était de 12% en 1940 atteignit 37% en 1954. L’enseignement supérieur était inexistant et le secondaire, pour les Congolais, commençait à s’organiser en 1956 mais le déchet scolaire était énorme: un élève sur douze terminait le cycle primaire et parmi ceux-là, un sur six seulement accédait au secondaire.
Alors qu’en Belgique, un débat public sur l’évolution politique proposait un plan d’émancipation du Congo en trente ans, ce plan fit au Congo et surtout dans le milieu urbain de Léopoldville, office de détonateur ou de catalyseur.
D’ailleurs, un manifeste fut aussitôt publié à Léopoldville. Il prônait l’indépendance du Congo tout en rejetant comme abusif le terme de trente ans. Cette idée s’accélérera, en 1959, après les émeutes sanglantes de Léopoldville où il y a eu 49 morts et 290 blessés.
Le 13 janvier 1959, un message du Roi des belges reconnut le droit des congolais à l’indépendance. Il demanda que cela soit fait sans précipitation inconsidérée. Le gouvernement belge appela, en novembre 1959, les leaders politiques congolais à une table ronde belgo-congolaise. Celle-ci eut lieu à Bruxelles en janvier 1960.
C’est d’ailleurs à cette conférence que fut décidée la date de l’indépendance, soit le 30 juin 1960. Bien que la Belgique ait souhaité une période transitoire dans laquelle elle maintiendrait, pour un certain temps, les postes-clés de la Défense nationale, des Affaires étrangères et de la monnaie, le Front congolais en décida autrement: l’indépendance ne devait souffrir d’aucune limitation et devait être complète et totale. Mais ce Front se disloqua dans la suite du débat sur les institutions à créer et le compromis trouvé était très mince.
Au parlement, nombreuses furent les demandes et tentatives de démembrement du système provincial: Les Balubas d’un côté, les Luluas de l’autre, exigeaient leur province propre et une tentative de sécession du Katanga, préparée par des colons et des membres du parti Conakat, a été déjouée de justesse par les services belges avant même le jour J du 30 juin 1960.
Le Congo, malheureusement, ne devait jamais connaître de transition graduelle et pacifique au cours de laquelle un programme de formation accélérée eût pu préparer une élite d’administrateurs civils, capables de prendre en main les destinées de leur pays.
Un tel délai eût été inappréciable parce que ce pays, divisé en six provinces, dépendait entièrement pour son administration, sa sécurité intérieure et sa prospérité économique de la compétence technique et de l’expérience des Belges. Ceux-ci avaient tenu à conserver tout le pouvoir entre leurs mains, mais la roue était sur le point d’accomplir un tour complet. Ils possédaient ou contrôlaient toutes les richesses minérales.
Les premières élections donnèrent une position forte au Mouvement National Congolais (M.N.C.) de Patrice Lumumba et à ses alliés directs.
Les partisans des candidats à la présidentielle de toutes les tendances et de la plupart des partis politiques qui ont proliféré très rapidement ont perturbé l’ordre public; des formes de violence et des sévices contre les européens ont justifié l’intervention militaire belge au Katanga et au Kassaï et tout cela déclencha une catastrophique escalade des événements:
1- Proclamation de la sécession du Katanga par Moïse Tshombé,
2- Rupture des relations entre la Belgique et les autorités centrales congolaises,
3- Et menaces sérieuses d’intervention étrangère et risques pour la paix internationale.
La nouvelle République avec Joseph Kasavubu comme président et Patrice Lumumba comme premier ministre, connut très vite des troubles. En moins de quarante-huit heures, des émeutes tribales se produisirent dans la capitale et en divers endroits du pays. La «Force Publique», comptant vingt-cinq mille hommes, se mutina en de nombreux points, chassa ses officiers blancs, se mit à piller et à détruire les propriétés européennes. Elle maltraita ou tua beaucoup des cent mille belges qui étaient restés pour assurer l’administration ou s’occuper de leurs affaires. Devant cette situation catastrophique, la Belgique envoya malgré l’opposition du gouvernement congolais, des parachutistes et d’autres unités d’élite qui rétablirent la situation en certains des points les plus chauds et protégèrent l’exode d’une masse de civils terrifiés. En peu de temps, il y eut dix mille soldats belges dans le pays, la Force Publique cessa virtuellement d’exister et Moïse Tshombé, président de la riche province du Katanga, proclama l’indépendance de celle-ci.
Le Katanga fournissant la moitié des revenus du Congo, cette sécession constituait une véritable catastrophe pour le pays. Le gouvernement central ne pouvait faire grand-chose pour forcer Tshombé à revenir dans le giron national. D’ailleurs, le 11 juillet 1960, Lumumba demanda à Mr Ralph Bunche, représentant de Mr Dag Hammarjshoeld, à l’époque Secrétaire Général des Nations Unies, l’aide onusienne pour rétablir l’ordre dans l’Armée Nationale Congolaise (A.N.C.), nouveau nom donné à la Force Publique, soulignant l’incapacité de l’ANC, commandée par l’ex adjudant Lundula, promu Général, à ramener l’ordre à Léopoldville et encore moins dans le reste du pays.
C’est pourquoi le Secrétaire général des Nations Unies, Mr Dag Hammarskjoeld, en accord avec le Conseil de Sécurité, répondit favorablement et décida une action de grande envergure des casques bleus. Une demande urgente a été faite à plusieurs pays, neutres et non-alignés, pour l’envoi de troupes au Congo, dont la Tunisie.
Le représentant de la Tunisie aux Nations Unies feu Mongi Slim, compagnon de lutte de Bourguiba et très fin politique, candidat à la présidence de la 16° session de l’Assemblée générale des Nations Unies et qui la présidera deux mois plus tard, se fit un point d’honneur pour que le contingent tunisien soit le premier à fouler le sol congolais.
Le gouvernement tunisien donna son feu vert à la participation de l’Armée Tunisienne à cette mission de maintien de la Paix au Congo. C’est alors qu’une course contre la montre s’engagea pour l’Etat- Major tunisien. Celui-ci doit, en quelques jours, former, en agissant par prélèvement sur les Unités existantes et par voie de volontariat, deux bataillons d’infanterie qui prirent l’appellation de 9° et 10° bataillon. L’Etat- Major fonctionna sans discontinuer, jour et nuit : il fallait, en très peu de temps, créer, organiser, équiper, armer, et préparer deux mille cinq cents hommes à déployer sur * un théâtre d’opérations spécial* se trouvant à plusieurs milliers de kilomètres de notre pays.
Les volontaires affluèrent de partout. Les Unités implantées sur la frontière ont été très peu mises à contribution et pour cause, la guerre d’indépendance de l’Algérie étant à nos frontières ouest. Quant à nous, jeunes officiers, de vingt-quatre à trente ans d’âge, forts de notre petite expérience des frontières, légèrement aguerris, portés par le goût du risque et de l’aventure, animés par l’esprit de curiosité et de découverte, nous étions tous volontaires pour encadrer les unités partantes. Nonobstant les dangers d’une mission nouvelle que nous allons accomplir pour la première fois de notre carrière, nous voulions surtout découvrir cette belle et mystérieuse partie de notre continent africain.
En effet, le 15 Juillet 1960, les premiers Casques Bleus du premier contingent tunisien commandé par le Colonel Lasmar Bouzaiane partaient pour Léopoldville pour vivre une belle épopée qui durera treize mois mais sera interrompue d’urgence en août 1961, du fait de la guerre de l’évacuation de la base de Bizerte.
Les forces des Nations-Unies qui se rassemblaient à Léopoldville avaient quatre missions principales:
1- Remplacer rapidement les unités belges qui maintenaient l’ordre,
2- Prendre la place des troupes incertaines de l’A.N.C., réprimer leurs activités indésirables et, par la suite, essayer d’en faire une force sûre,
3- Établir la liberté de mouvement des forces de l’ONUC dans tout le pays, et
4- Se tenir prêts à empêcher toute intervention unilatérale de l’extérieur.
Je reviendrai, dans un prochain article sur le séjour du premier contingent tunisien dans la province du Kassai et dans la capitale Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa.
Une fois la bataille de Bizerte terminée, laissant la place à la diplomatie, l’ONU, satisfaite du rendement du 1er contingent, demanda à la Tunisie, l’envoi d’un deuxième contingent au Congo. Le Gouvernement tunisien répondit favorablement à cette demande et un pont aérien, démarrant le 28 décembre 1961 permit au 14° bataillon d’être, en totalité, à Léopoldville, le 4 janvier 1962. Quelques semaines ont été nécessaires pour les formalités d’usage et la perception des équipements spécifiques avant notre mouvement vers notre destination finale.
Arrivé au Katanga vers la fin du mois de janvier 1962, le 2ème contingent tunisien a été chargé de la protection et de la garde du camp des réfugiés Balubakat, c’est-à-dire, les Balubas du Katanga, une tribu hostile à Tshombé, le président du Katanga....
À suivre
Boubaker Benkraiem
Ancien Sous- Chef d’Etat- Major de l’Armée de Terre,
Ancien Gouverneur--Ancien Casque Bleu au Congo et au Katanga.
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