Drame d’Annecy: Les exploitants de l’horreur et la déception des islamophobes
Mohamed Larbi Bouguerra - L’horrible drame d’Annecy est l’œuvre d’une personne déséquilibrée. Horreur à l’état pur. Indicible. Incompréhensible. Un homme âgé de 31 ans, lui-même père de famille, a osé s’attaquer à des bébés et à des enfants faisant ainsi le malheur de six familles. Poignarder l’innocence. Un tel geste ne peut être celui d’une personne raisonnable. Malheureusement de tels actes déclenchent chez certains politiciens français des réflexes pavloviens qui n’ont rien à voir avec la raison.
L’auteur de ce geste atroce est un homme fourbu, battu par les chemins de l’exil depuis sa Syrie natale dont il fuyait le dictateur, son armée et la guerre.
Il a été arrêté et déféré devant la justice. Son procès permettra de faire la lumière et de tordre le cou aux manipulations et aux amalgames. Il montrera sans aucun doute le lien haineux entre droit d’asile et l’acte d’un forcené.
Comme à chaque drame désormais, une clique de responsables politiques français entonne des cris de haine. Cela va d’Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance (le parti de M. Emmanuel Macron) à l’Assemblée Nationale à l’imbuvable Eric Ciotti, président des Républicains, et à l’extrême droite de Marine le Pen et du raciste sans frein qu’est Eric Zemmour. Samedi 17 juin, sur les ondes de France Inter, le secrétaire général adjoint des Républicains, Geoffroy Didier, député européen, invité à décliner le programme de son parti, commence par dire : «voilà longtemps que nous n’avons pas gagné d’élections» et conclut son propos par la séquence devenue classique des immigrés.
Comme des vautours, ce sinistre aéropage s’empare du drame d’Annecy pour déverser les torrents de leur haine et pour remettre en cause le droit international, le droit d’asile et l’immigration.
L’exploitation de l’horreur d’Annecy
Quelle aubaine cependant pour amener sur ce terrain de l’immigré cette France qui ne veut absolument pas oublier la loi sur la retraite à 64 ans et les méthodes antidémocratiques qui ont conduit à son adoption! Quelle aubaine pour capter sur autre chose l’attention de ces Français qui plient face à l’inflation, qui pleurent la dégradation de l’hôpital public et l’extension des déserts médicaux dans le pays!
Immédiatement après l’annonce du drame, Eric Ciotti perd la boussole et veut voir le président de la République toute affaire cessante car «le chaos migratoire» est devenu intolérable. Ciotti ne sait plus où donner de la tête, coincé entre Le Pen et Macron: il surenchérit sans cesse sur les questions migratoires et identitaires. Saisi par la haine et exploitant le filon islamophobe, il annonce même une conférence de presse pour l’après-midi du drame…. conférence que, piteusement, il doit décommander dans la foulée, l’attaquant portant le nom d’Abdelmassih (esclave du Messie) Hanoun n’ayant pas crié «Allah Akbar» mais plutôt (Horreur pour Ciotti and Co) «Au nom de Jésus Christ»! C’est un mauvais chrétien décrète, de son côté, la chaîne de télévision CNews, usurpant le rôle du Vatican.
Marine Le Pen, abonnée à son manque de cœur et à son inhumanité coutumiers, s’enflamme et exige de «rétrécir le droit d’asile».
Quant à Eric Zemmour, fidèle à son image de «vrai citoyen français de souche» et à sa vision d’un monde plein d’adversaires qu’il faut éliminer- même dans le cadre d’une guerre civile-, il éructe: «Il y a plus important que les conventions internationales, il y a la survie du peuple français». Zemmour continue ainsi sur ses obsessions mortifères: ne présageait-t-il pas et n’encourageait-t-il pas une lutte à mort contre «Mohammed Mérah et ses pareils»? Cécile Alduy, professeur à l’Université Stanford aux E.U., commentant ce propos, écrit: «Avec toute l’ambiguïté de cette expression, qui peut s’appliquer autant aux islamistes à strictement parler qu’aux «barbares» au sens grec ancien, où le terme désigne les «étrangers» appartenant à une autre civilisation. Or, Eric Zemmour a prévenu: «Il faut choisir son camp dans cette guerre de civilisation qui se déploie sur notre sol.» Sous-entendu: avec l’islam.» (Cécile Alduy, «La langue de Zemmour», Seuil Libelle, Paris, 2022, p. 46-47).
Une gifle aux racistes et aux haineux
Ces appels racistes, haineux contre les immigrés et le droit d’asile ont reçu une gifle retentissante dimanche 18 juin 2023 lorsque le Président Macron a annoncé le transfert, l’an prochain, des cendres de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée au Panthéon, à côté de Jean Moulin, de Jean-Jacques Rousseau et de tant de grands hommes: Victor Hugo, Marie Curie, le chimiste Berthollet et sa femme….
Qui est Missak Manouchian?
C’est un Arménien, apatride, communiste, antinazi, amoureux de la France des Lumières, celle de la Révolution de 1789 et de la Commune de Paris. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, il est entré dans la Résistance contre l’occupant allemand, lui qui était arrivé à Marseille en 1925. Il a ainsi fait partie des FTP-MOI, groupes de résistants communistes de nationalité étrangère. Pour les occupants allemands, ils formaient «l’armée du crime.» Durant l’été et l’automne 1943, ce groupe de résistants étrangers fit une centaine d’opérations de sabotage et procéda à l’exécution du général allemand SS Julius Ritter. 80 ans plus tard, la France honore donc cet «immigré» résistant, assassiné par les Allemands le 21 février 1944. Manouchian et ses camarades, écrit le poète Paul Eluard «croyaient à la justice ici-bas et concrète, ils avaient dans leur sang le sang de leurs semblables.»
Ciotti, Le Pen, Zemmour admettront-ils ces «exilés» aujourd’hui en France? «Ces derniers contribuent à l’histoire de la France et aux libertés des Français. Ils réactivent les idéaux universalistes de la République» (Editorial, Le Monde, 20 juin 2023). Les petites ses politicardes de Zemmour et de sa clique importent peu devant l’Histoire.
L’exploitation du geste d’Annecy pour mettre au ban les immigrés est injuste et scandaleuse. La preuve par Manoukian et par tous ces étrangers que la France a découverts lors des confinements durant l’épidémie de Covid.
Mohamed Larbi Bouguerra
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