Mohamed Salah Ben Ammar - Immigration Clandestine: Frères Humains
La saison du Hajj bat son plein, le 28 juin sera le jour de l’Aid El Kebir, Tabaski en Afrique de l’Ouest. Une période particulière pour les musulmans du monde entier. Pas pour tous malheureusement. Mes pensées vont aux mères qui souffrent et qui sont sans nouvelles de leurs enfants depuis des mois et qui à chaque naufrage se demandent si leur petit y était ou non. Mes pensées vont à ces naufragés anonymes enterrés à la sauvette loin de leurs proches.
La dernière tragédie s’est déroulée dans une indifférence choquante. Il y a 48 heures une quarantaine de migrants (Burkinabés, Ivoiriens, Maliens…) ont disparu au large de Lampedusa, en Italie (située à 145 km des côtes tunisiennes) avec notamment un nouveau-né. Le bateau en fer est parti de Sfax avec 46 personnes à son bord. Le souvenir du naufrage au large de la Grèce d’un bateau de migrants, mercredi 14 juin, qui a coûté la vie à 78 personnes (on parle de 600 disparus) est encore vifs.
Méditerranée: un cimetière à ciel ouvert, les morts aux portes de l’Europe… Les titres et autres effets de manchette ne font plus recette, à peine une brève aux informations. Chez nous l’encombrement de nos morgues semble plus inquiéter les responsables que le sort réservé à des milliers d’êtres humains.
Évidemment quand le drame touche nos compatriotes, l’émotion est un peu plus vive mais cela ne change rien à réalité et la vérité promise sur les responsables du naufrage le 21 septembre 2022 à Zarzis ne viendra probablement jamais.
Le silence est complice
Le problème est complexe. A ce stade et pour pouvoir continuer à écrire me vient à l’esprit ce Hadith du Prophète MOHAMED (SAWS): من رأى منكم منكرا فليغيره بيده، فإن لم يستطع فبلسانه، فإن لم يستطع فبقلبه، وذلك أضعف الإيمان. رواه مسلم
L’indifférence devant le décompte macabre quasi-quotidien des naufragés est une forme de complicité. Se taire c’est laisser faire et ce n’est pas nos valeurs.
Chaque année, des milliers de personnes périssent ou disparaissent en mer sans laisser de trace, dans une indifférence simplement inhumaine.
Raphaël Glucksmann, homme politique et député européen vient de déclarer «Je rêve du jour où nos dirigeants feront preuve de la même détermination pour sauver des centaines d’exilés de la noyade en Méditerranée que pour sauver dans un sous-marin parti observer l’épave du Titanic». Il ne s’agit pas de se réjouir de la disparition des cinq touristes mais d’illustrer la disproportion du traitement réservé aux deux détresses. La disproportion entre les moyens utilisés pour sauver le sous-marin et ceux disponibles en Méditerranée pour venir en aide aux réfugiés est simplement indécente.
Selon le Haut Comité aux Réfugiés (HCR) sur les 105 000 immigrants arrivés en Italie en 2022 par la mer, 46 000 personnes ont débarqué à Lampadusa.
Combien ont péri avant d’atteindre les côtes européennes?
On pourrait passer des journées à énumérer les motivations des jeunes et moins jeunes qui prennent la mer, chaque aventure est unique. C’est un projet de vie, l’espoir de réussir et d’aider les siens. America, America…
On pourrait mobiliser toutes les forces et lois pour les empêcher cela n’y fera rien, il y aura toujours des migrants. C’est propre aux humains. Depuis la nuit des temps, ils se sont toujours déplacés à la recherche d’une vie meilleure.
Les paroles de ce jeune tunisien, qui a failli perdre la vie lors de deux tentatives d’immigration, et qui s’apprêtait, au péril de sa vie, à prendre la mer une troisième fois résonnent encore dans mes oreilles: Je n’ai pas peur de mourir de toutes les façons, ici je suis un mort-vivant!
Il est difficile pour un esprit sain de l’admettre mais cette situation profite à beaucoup.
La détresse des gens du sud a donné des ailes à la frange la plus détestable du monde politique, celle qui prône, la haine, l’exclusion, le racisme, la ségrégation, des idées d’extrême droite sont à nouveau présentes aussi bien au nord qu’au sud et dans les mêmes proportions...
Je ne trouve pas de qualificatifs à ceux qui exploitent politiquement la détresse de leur semblable pour attiser les sentiments les plus bas chez leurs compatriotes. Ils sont simplement méprisables car ils ont fait de l’étranger un fonds de commerce.
Ils profitent de la force de travail des immigrés, les exploitent mais n’expriment aucune empathie envers eux.
Outre la mobilisation des moyens de sauvetage en mer, la solution passe par la lutte contre la traite humaine. Qui tirent profits de ce trafic? Des réseaux mafieux qui bénéficient de complicités à tous les niveaux et des deux côtés de la Méditerranée. Une sorte d’opération mani puliti internationale contre les têtes de ces réseaux et leurs complices est nécessaire.
On entend parler des naufrages mais sachez qu’ils ne touchent que les moins fortunés, les paumés, ceux qui embarquent sur des rafiots surchargés, mais on n’entendra jamais parler des harguas cinq étoiles, rapides, confortables et sûres. Quotidiennement les nombreux bateaux qui partent vers l’Europe, pleins d’êtres humains ne reviennent jamais vides, ils reviennent pleins de cigarettes de contrebande, de drogues, de divers produits qui sont revendus au marché informel. L’argent coule à flot et arrose à grande échelle.
Tout mettre en œuvre pour sauver des naufragés
En attendant de proposer des solutions, illusoires pour le moment et pour longtemps, pour arrêter ou freiner les flux migratoires, n’est-il pas du devoir des pays riverains de la Méditerranée, qui observent depuis des années avec une certaine indifférence ces drames, de respecter leurs engagements internationaux et de mobiliser les moyens nécessaires pour venir en aide aux naufragés? Les États sont-ils en train de respecter les conventions internationales qu’ils ont votées?
• La Convention internationale pour la Sauvegarde de la Vie Humaine en Mer (SOLAS) signée par 121 États et en vigueur depuis 1980. Elle impose d’importantes obligations aux États en matière de recherche et de sauvetage.
• La Convention sur la recherche et le sauvetage maritime (SAR) en vigueur depuis 1985.
• La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) signée par 168 États.
• Le Règlement de l’Union européenne n° 656/2014 de 2014 à propos de l’obligation de secourir des personnes en détresse quels que soient leur statut ou leur nationalité́, conformément au droit international.
Parler de non-respect des engagements des États est un euphémisme. Le souvenir des errances répétées en 2018 de l’Aquarius, navire civil de sauvetage est parlant? Ce navire a erré entre l’Italie, Malte, la France et l’Espagne avec plus de 600 migrants à bord. Le retirait pour ce navire du pavillon par Gibraltar et le Panama pour l’empêcher de naviguer et porter assistance à des naufragés a été le comble du cynisme. Depuis 2018 combien de milliers de personnes ont péri dans cette mer faute de sauveteurs?
Diderot dans Addition aux pensées philosophiques a écrit: «Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir.».
S’il nous arrive de désespérer des États qui sont des monstres froids, nous pouvons toujours espérer que la grandeur qui est en chacun d’entre nous finira par mobiliser la société civile pour que d’autres approches à ce drame humain soient trouvées.
Aidekoum Mabrouk
Mohamed Salah Ben Ammar
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La disproportion des moyens mobilisés pour les cinq personnes (Dieu ait leur âme) disparues avec le sous-marin comparés aux moyens mobilisés pour les "damnés de la mer" traduit tout simplement une autre disproportion, plus patente : celle de la " média-tisabilité " de l'entreprise car tout est affaire de communications donc de médias : le sous- marin avait plus d'un atout médiatique :le mystère qui plane sur l'épave du "TITANIC" n'en est pas le moindre et il y a fort à parier que s'il avait réussi,i'on aurait publié des films, des clichés et autres reportages aussi exclusifs les uns que les autres tous très monnayables par delà le prestige de "l'expédition scientifique" rehaussée de la présence de milliardaires- Les immigrés irréguliers véritables "damnés de la terre puis de la mer" ont le "tort" d'être déjà des pauvres fuyant la misère-Le sujet est éculé depuis le temps et n'est plus mobilisateur médiatiquement parlant :il y a des modes dans les médias il faut que le message, ou le cliché soit "vendable" au sens de pouvoir toucher un public réceptif: dans les années 60 la campagne pour protéger les bébés-phoques , ou celle des dames bienfaitrices pour les orphelins de la guerre des sécessionnistes du Biafra avait chacune son arrière-boutique médiatisable : promotion du plastique imitant la peau du bébé phoque qui poussait ou tendait à pousser à l'apitoiement sur les bébés-phoques sacrifiés pour obtenir du cuir au prix d'une destruction de la faune: le motif est louable s'il était le seul mobile- Pour la guerre du Biafra sécessionniste à l'égard du Nigéria alors (fin des années 60) tout un mouvement de dames bénévoles se dévouaient pour convoyer les orphelins de la guerre vers l'Europe à la recherche d'une famille adoptive-Un seul hic :une panne avait bloqué les opérateurs de télé, et l'on a vu ces dames annuler le tout en l'absence de la télé: on peut les comprendre ou les juger plus sévèrement selon ses options;il n'empêche que la médiatisation, voire la médiatisabilité a une place non néglideable dans la motivation de plusieurs personnes, il ne faudrait ni l'oublier, ni jouer les naïfs-