Quitter Psagot ou l'impasse des colonies en Cisjordanie (2ème partie)*
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Yonatan Berg donne à voir, dans ce récit autobiographique «Quitter Psagot» (Edition de l’Antilope, Paris, 2021), la vie dans «l’implantation» (il ne dit jamais «colonie») de Psagot construite sur les hauteurs de Ramallah face aux ruines de l’antique Aï, à la Mer Morte et au désert de Judée.
Une tranche de vie révélatrice. Cette colonie a été bâtie en 1981 sur les terres du village palestinien d’Al Bireh en Cisjordanie, à 2 km de Ramallah par des juifs ultraorthodoxes aux pratiques religieuses hassidiques strictes étouffantes. Le jeune Yonatan est arrivé dans ce quasi ghetto à quatre ans, fils d’un père russe qui finira par divorcer de sa mère.
La religion a toutes les sauces!
Berg écrit qu’il s’était construit un monde «qui tournait le dos à l’implantation et à son arrogante rigidité, aux incessants discours religieux et idéologiques.» La religion finit par devenir «fardeau qui génère la révolte».
Il affirme pourtant que le système éducatif à Psagot ne lui a pas transmis de haine mais qu’il cherchait à imposer une différence fondamentale absolue entre les Palestiniens et nous, les juifs de la colonie. Il n’en demeura pas moins que l’auteur confesse que «la peur fait partie intégrante de ce que je suis.»
Les Palestiniens sont si près et si loin: «Je me souviens qu'enfant, j'avais envie de m'asseoir à côté des ouvriers palestiniens, d'arracher des morceaux de pain avec eux, de boire leur café turc dans les tasses minuscules qu'ils utilisaient. Je ne l'ai jamais fait.»
En relatant son enfance et son adolescence à Psagot, colonie juive de Cisjordanie peuplée de colons juifs orthodoxes ashkénazes, Yonatan Berg nous fait pénétrer dans un lieu peu visité, à la fois protecteur et angoissant, campagnard et violent, ouvert et fermé, constamment nourri par la peur et où la vie tourne autour d’une synagogue du style tapageur «nouveau riche.». Derrière ce bâtiment massif sans grâce, se trouve la modeste synagogue séfarade, «lieu hors de portée de l’auteur, étranger et donc aussi mystérieux qu’attirant… les fidèles qui s’y s’engouffraient entraient dans un monde que nous ne connaissions pas et qui nous était interdit.»
Césure béante entre Israéliens ashkénazes et séfarades ! Discrimination et hiérarchie. Jamais un séfarade n’a occupé le poste de premier ministre ni celui de président depuis les sept décennies d’existence de l’Etat d’apartheid. Silvan Shalom, ancien ministre des Finances et des Affaires Etrangères natif de Gabès, a dû quitter la vie politique en décembre 2015, accusé de harcèlement sexuel.
En réalité, Israël n’est qu’une mosaïque d’ethnies, ceux qui habitent de part et d’autre de la Ligne Verte, de sectes (comme les Dordaïm yéménites), de langues (russe, yiddish…) et de chapelles et dont les disparités économiques notamment viennent juste après celles du Mexique.
Ce que dit Berg sur la société israélienne est très intéressant. Ainsi, écrit-il, «vue de Tel Aviv, la population des colonies apparaissait toujours démoniaque et obscure, repliée sur elle-même, portée à la violence, obsédée par sa propre existence… elle rappelait à la société israélienne les traits de caractère qu’elle voulait effacer de sa personnalité: nationalisme, communautarisme, traumatisme et volontarisme.» Yitzhak Rabin ne qualifiait-il pas les colonies de «cancer»? Berg finira par s’écarter du «bruit et la fureur» de «l’implantation» et à «remettre en cause l’autoritarisme du judaïsme.»
Les palestiniens… si proches et si lointains
Les colons «veulent à tout prix s’affranchir de la menace» palestinienne car «l’autochtone» est devenu l’étranger, l’élément illégitime, le différent» écrit Berg. Ils finissent par considérer ces derniers comme polluant «l’espace vide, juif et propre» grâce aux routes de contournement qui ont effacé les villages arabes. C’est ainsi que l’auteur nous narre la vie dans la colonie, avec ses règles oppressantes et des cours à la yeshiva qui commencent à sept heures du matin pour finir à huit heures du soir, son idéologie exclusive des Palestiniens et des juifs orientaux, mais aussi sa promiscuité, ses menaces et sa radicalisation, à l’ombre de «l’agglomération» fermée côté palestinien. Il ne veut pas dire «la colonie», cela semble écorcher sa bouche peut être parce que l’injustice infligée aux habitants originaux de cette terre est si flagrante et si pénible à reconnaître. Ces derniers, les Palestiniens, vivent à présent de l’autre côté de la barrière «aux piques blessantes», scrutés et surveillés par l’armée, gardienne en continu de la colonie. Berg écrit: «Les accords d’Oslo et les changements qu’ils entraînèrent, loin de faciliter les contacts avec nos voisins palestiniens, nous en écartèrent davantage.» Pourtant les Palestiniens sont là. C’est «l’enfance d’en face» qui joue à faire voler ses cerfs-volants que les gamins aux kippas suivent en courant et qu’ils essaient de réparer quand ils en attrapent un. «Nous n’étions que des hôtes dans un territoire habité de longue date par cet oiseau et, même si entre nous il n’était jamais question de savoir qui avait précédé qui sur cette terre, quelque chose dans les cerfs-volants palestiniens fournissait la réponse», écrit honnêtement Yonatan Berg.
«Comment expliques-tu que les gens d’ici passent tranquillement en voiture malgré le camp de réfugiés qu’ils ont sous les yeux?» interroge un ami de l’auteur. Ce qui le laisse «stupéfait» de comprendre qu’il «n’avait jamais pu se dire qu’il y avait là un camp de réfugiés tout en le voyant quotidiennement». Ceci étant, Berg ne veut pas être pris pour un colon car «les colons constituent le pôle sauvage, rebelle et anarchiste du monde national religieux». Ses parents l’ont éduqué chez les ultraorthodoxes nationaux religieux qui se situent aux antipodes des colons et privilégient la retenue et la discipline. Mais, précise Berg: «On vit dans le mépris fondamental de toute pensée qui ne serait pas pénétrée de théologie juive.»
Il raconte que les actions de la résistance palestinienne mettaient en furie la synagogue: «Obéissant à l’impératif de préserver l’équilibre de la peur, on voulait riposter: un coup porté sur nous valait deux coups à porter à nos voisins- telle était l’équation de base face à la population palestinienne.» D’ailleurs, le grand bassin d’eau potable alimentant Ramallah se trouve au centre de la colonie. «Nous détenions la source de vie de la ville arabe» s’étonne Berg.
A Naplouse, raconte l’auteur, un enfant palestinien l’avait désarçonné par son regard chargé d’accusation et de colère, et sur lequel il pointa son fusil. «Ce souvenir porte en lui le visage de la population du camp des réfugiés, le regard de tous nos voisins qui ont grandi à Ramallah, de tous les enfants que je voyais jouer au foot de l’autre côté de la clôture de sécurité.»
Traumatismes à la pelle
L’auteur parle de son service militaire comme conducteur de tank, un lieu étouffant qui lui donne des crises de nerfs qui lui vaudront parfois des sanctions disciplinaires pour «débordements incontrôlés». Ambiance à l’intérieur des unités combattantes de l’armée d’occupation - «la plus morale du monde» d’après la propagande - «rapportée par Yonatan Berg: «Le chaos ambiant et la confusion, les erreurs qui engendraient la violence, les ordres gratuits, la cruauté des anciens envers les nouvelles recrues, l’indifférence des gradés pour les combattants sur le terrain, à tout cela, une seule réponse était adéquate: la crise de nerfs… qui m’évitait de chercher de la logique et de la clarté.» dans ce que décidaient les chefs.
Il décrit les opérations d’agression anti-palestiniennes à Hébron et à Naplouse et la mort de ses camarades de combat au cours de ces incursions barbares où il menace même les enfants de son fusil. Pénible alors est la reconnaissance de camarades tués par la résistance palestinienne et recouverts d’un châle de prière.
Lors d’une opération militaire, il découvre «le visage déformé de la foi religieuse, sa violence et sa dérision, son mépris pour autrui» et la duplicité de Psagot avec laquelle il prend une distance plus grande.
Après le service militaire, «entre l’implantation et moi s’était creusé un fossé net et lourd de sens. Total.» Fracture fondamentale due à «l’Etat» accuse Berg.
Suivront trois années d’errance en Amérique latine et en Inde ponctuées par beaucoup de drogues: ecstasy, MDMA, cannabis, cocaïne, «la drogue planant autour de moi depuis l’âge de 16 ans» reconnaît notre homme. Une fuite en avant pour oublier Psagot et son judaïsme rigide, pour oublier cette peur lancinante, l’échec du divorce des parents, l’armée et ses opérations traumatisantes au cours desquelles meurent des amis, pour oublier les Palestiniens, leurs camps et le regard de leurs enfants.
En guise de conclusion
Non! L’occupation ne sera pas éternelle. Surtout maintenant, en 2023, que les Palestiniens font des actions de résistance quotidiennes et en dépit des minables Accords d’Abraham portant le sceau de Trump. Pas avec cette peur qui colle à la peau de l’auteur et son mal de vivre tant à Tel Aviv qu’à Psagot où dans les paradis artificiels indiens ou boliviens. Non !
L’occupation ne sera pas éternelle avec ce sentiment d’exil et celui de se sentir toujours dans «un territoire hostile, source de violence et d’angoisse qui imposent la présence de soldats en armes» comme elle ne peut être éternelle avec le constant décalage de l’auteur et de sa société «sur une terre où son statut sera toujours bancal, où sa présence géographique n’a aucune légalité.»
Le poète national palestinien, Mahmoud Darwich (1941-2008) invitait déjà les intrus à partir pour éviter tout ce que ressent Yonatan Berg et par extension la société israélienne:
«Vous qui passez parmi les paroles passagères
Portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez
Extorquez ce que vous voulez
Du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
Que vous ne saurez pas
Comment les pierres de notre terre
Bâtissent le toit du ciel»
En Palestine, l’occupation ne sera jamais éternelle malgré les efforts des criminels de guerre Netanyahou, Gans, Ehud Barak ou des haineux et des racistes de l’acabit de Ben-Gvir, Liberman ou Smotrich. Regardons l’Algérie. Malgré les enfumades et la Main Rouge, l’occupation a pris fin en dépit de la baignoire et des corvées de bois de Le Pen, Massu et consorts.
Mohamed Larbi Bouguerra
* Première partie publiée le 11 juillet 2023 sur le site de Leaders.
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