Habib Touhami: L’état déplorable de l’administration régionale tunisienne
Sous «l’ancien régime», l’opposition tunisienne avait condamné sans répit l’interventionnisme partisan des gouverneurs et des délégués. Arrivée au pouvoir après le 14 Janvier 2011, elle nomma gouverneurs et délégués de son obédience et leur demanda de faire voter la population en sa faveur ; sans jamais se soucier des principes qu’elle défendait par le passé, de la continuité de l’Etat ou des critères objectifs de recrutement. Douze ans après la révolution, gouverneurs et délégués continuent majoritairement à être désignés pour des raisons obscures. Cela révèle l’inconséquence endémique de la classe politique tunisienne qui professe de belles intentions quand elle est dans l’opposition et fait exactement le contraire quand elle est au pouvoir.
Malgré tout et compte tenu des circonstances et des moyens disponibles, le bilan de l’administration régionale tunisienne entre 1956 et 2010 est honorable, sinon remarquable. Certes, gouverneurs et délégués firent voter les électeurs en faveur du régime en place, mais si l’on analyse les choses avec distance, on découvrira que l’épine dorsale du pays a été construite, pendant cette période, autour et par l’administration régionale. En plus de leur tâche proprement administrative, gouverneurs et délégués s’étaient mobilisés sur d’autres fronts : édification de services publics et d’infrastructure de base, création d’emplois, arbitrages communautaires et sociaux, etc. La valeur des gouverneurs se mesurait alors au nombre de leurs réalisations sur le terrain même si le maintien en fonction de certains d’entre eux avait obéi manifestement à des motifs de contrôle et d’endoctrinement de la population. Aujourd’hui, aucun gouverneur ne peut se targuer de produire un bilan comparable.
Sous «l’ancien régime», gouverneurs et délégués s’investissaient au-delà la fonction elle-même pour agir en patriotes-bâtisseurs. Pour les encourager, Bourguiba leur conféra une autorité sans nul pareil et traita les gouverneurs comme ses représentants personnels dans les régions. En vérité, les gouverneurs sous l’ancien régime avaient plus de pouvoir de décision et de réalisation dans les régions que les ministres eux-mêmes. Après le 14 janvier 2011, l’ancien système s’écroula d’un coup, sans qu’un autre plus conforme à la donne démocratique ne soit mis en place.
Pour apporter sa contribution à la désagrégation de l’administration régionale telle qu’elle était auparavant, la Constituante vota un texte volontairement ambigu et inapplicable. Ce texte remit en cause l’autorité habituelle des gouverneurs et divisa le pouvoir dans les régions entre deux entités sans que la seconde ne soit jamais créée. Depuis, les régions sont restées sans autorité décisionnaire, sans esprit d’initiative et sans projet porteur. Le vide et les manquements se sont d’autant plus installés dans les régions qu’aucune réserve de hauts fonctionnaires «spécialisés» formés à l’ENA et ailleurs n’a été constituée pour les combler. En attendant, l’administration régionale continue à mourir lentement sans que le régime ne prenne les mesures nécessaires.
Habib Touhami
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