Ahmed Ounaïes: La portée et la légitimité de la résistance palestinienne
Pour pouvoir qualifier la nature de la violence qui s’exerce dans les territoires occupés, il faut réaliser le caractère discriminatoire de la législation qui privilégie statutairement le colon au détriment de l’indigène.
L’inégalité institutionnalisée atteint l’équilibre profond de l’individu et du groupe. Il faut également réaliser l’impact des provocations et des brimades où le zèle des forces d’occupation et l’humeur des colons font loi. Quelle capacité de défense ou de recours peuvent opposer les victimes, individuellement ou collectivement, aux cas d’abus et de violation de leurs droits? Dans ce tête-à-tête où la présence d’observateurs internationaux est formellement refusée, le déséquilibre est écrasant entre les institutions et les capacités de l’Administration militaire et celles du peuple victime de l’occupation et de la colonisation. Aucune autorité impartiale, ni locale ni internationale, n’existe pour témoigner, ou pour juger et sanctionner les abus commis par les colons, les institutions et l’appareil militaire. C’est à cette violence réelle, dans toutes ses composantes, que répond la résistance nationale palestinienne.
La doctrine de paix. Pour éliminer les fondements de la violence et instaurer les conditions de la paix, un consensus international existe, fondé sur le respect de la légalité internationale. Les résolutions du Conseil de sécurité et les avis de la Cour internationale de justice déterminent en dernier ressort les droits du peuple palestinien et les limites indépassables de la puissance occupante. Sur cette base, le Conseil de sécurité déclare que ‘’les politiques et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans les territoires occupés constituent une violation flagrante de la Convention de Genève’’ et demande à la puissance occupante de ‘‘rapporter ces mesures, démanteler les colonies de peuplement existantes et, en particulier, de cesser d’établir, édifier et planifier des colonies de peuplement dans les territoires occupés en juin 1967, y compris Jérusalem’’ (Résolution 465 du 1er mars 1980).
Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice déclare dans son Avis consultatif: ‘‘L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international.’’ Israël est tenu, ajoute la Cour, ‘’de cesser immédiatement les travaux d’édification de ce mur, de démanteler l’ouvrage et d’abroger les actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent.’’ Elle confirme que ‘’les colonies juives en territoire occupé sont contraires au droit international.’’ Or, Israël a poursuivi l’édification du mur et continué à ce jour de développer les colonies et de les multiplier en usant de violence et de contrainte.
Un lien existe entre l’activité de colonisation, le blocage du règlement négocié et la montée de la résistance. Au cours des négociations de Camp David en juillet 2000, la délégation israélienne tirait argument de l’existence de colonies pour revendiquer la souveraineté sur les territoires correspondants. Au cours des négociations consécutives à la Conférence d’Annapolis, commencées le 12 décembre 2007, la même revendication est reprise à nouveau. Dès lors, et tant qu’aucune autorité ne garantit l’invalidation de la colonisation comme base d’acquisition de territoire, la résistance nationale palestinienne ne saurait se limiter à contester le principe des colonies, elle est acculée à s’attaquer à leur viabilité et à leur sécurité.
Violer délibérément le droit et refuser la paix fondée sur la légalité internationale revient à perpétuer indéfiniment l’occupation. Cette politique n’a d’autre finalité que de contraindre le peuple palestinien par l’intimidation et par la terreur à concéder telles parts de ses droits politiques et territoriaux qu’Israël choisit de spolier.
C’est cette politique de terrorisme d’Etat qui constitue le fond du débat, non la violence qui en est la conséquence. Quand les décisions du Conseil de sécurité ne sont pas mises en œuvre, que les mêmes violations sont répétées par la puissance occupante dans l’impunité totale, l’enjeu dépasse le seul peuple victime, c’est le fondement même de la paix et de la sécurité internationales qui est en cause.
Le principe de la résistance et l’ordre international. Juger la violence palestinienne en la dissociant de l’occupation confine à la complicité. Cette attitude est inexplicable quand on la rapporte à l’héroïsme des peuples européens sous l’occupation, aux actes de la résistance, aux chants des partisans. Les Européens libérés ont élevé des monuments à la gloire de la résistance et pérennisé l’épreuve dans la littérature et dans les arts. Les alliés mûris par la tragédie européenne se sont hâtés d’en prévenir la répétition dans l’ordre politique de l’après-guerre en édifiant un système de paix et de sécurité internationale garanti par les Nations unies. Ils se sont empressés de hâter la révision des Conventions applicables aux conflits armés et de conclure des Conventions nouvelles (les Conventions de Genève du 12 août 1949 et les Protocoles additionnels) afin de développer et de perfectionner les normes du droit à la lumière des souffrances subies par les victimes du conflit. Or, dans le contexte des territoires arabes occupés, la puissance occupante jouit toujours d’une impunité parfaite, en dépit des violations du droit dénoncées par des résolutions formelles des Nations unies et de la Cour internationale de justice.
Quand les puissances mondiales se dérobent à leur obligation de faire respecter la légalité internationale, quand les structures régionales s’abstiennent de tirer les conséquences de cette défaillance, la résistance des peuples opprimés ne saurait ni se dérober ni s’abstenir : elle reste la garantie ultime de la justice, de l’intégrité des valeurs et de la force du droit. Quand le peuple victime de l’agression est résigné, lâche et finalement complice, la loi de la jungle menace. La résistance maintient l’agresseur sous pression et reste la seule force en mesure d’assumer la sanction des abus et de sanctionner le dépassement des limites indépassables. La résistance rappelle, à la face du monde, la limite du tolérable et le sens du juste et de l’injuste. Si elle exige des sacrifices immenses, du moins, à ce prix, contribue-t-elle à préserver au-delà de la dignité de la victime, la défense des valeurs universellement défendables. C’est ainsi que la résistance se substitue aux puissances mondiales défaillantes pour assumer, à sa mesure, une telle obligation.
Au Maghreb, c’est la résistance nationale qui a mené le combat pour la reconquête de la liberté, pour la fin du colonialisme et pour le respect de nos droits et de notre intégrité. Il est vrai qu’une élite clairvoyante, au sein des Métropoles européennes, avait compris le sens de nos sacrifices et soutenu notre combat qui était devenu son combat ; son action était décisive contre la prépondérance coloniale, contre la désinformation et contre la diabolisation de la résistance. Aujourd’hui, la résistance palestinienne reste, à la base, la garantie de toutes les garanties, en espérant que les élites israéliennes éclairées lui feront écho et que la solidarité internationale, en toute responsabilité, soutiendra son combat et validera sa légitimité.
Le débat qui nous retient illustre en fait le malaise des Etats collectivement responsables d’un ordre mondial défaillant et qui, à défaut de trancher, préfèrent noyer le débat dans une spéculation indécise sur le thème du terrorisme.
La portée de la résistance transpalestinienne. Dans le contexte présent du déséquilibre qualitatif des forces, une guerre conventionnelle entre Israël et les pays arabes n’est plus concevable. Pour Israël, l’alliance stratégique avec les Etats-Unis et la faculté de bénéficier des technologies avancées lui confèrent une domination militaire presque totale et expliquent sa propension à défier le droit, à oser annexer d’autorité des territoires au détriment de ses voisins et à ignorer les offres de règlement négocié sur la base du droit. Ce même déséquilibre explique l’impuissance des armées arabes à se porter au secours des peuples voisins victimes d’exactions flagrantes.
Ce déséquilibre s’aggrave. A moins d’une alliance régionale, quelle armée nationale pourrait s’opposer efficacement à une offensive israélienne ? Seul subsiste le recours à l’arme non conventionnelle ou à la résistance populaire. Les guerres du Liban ont illustré la pertinence de la résistance populaire qui avait réussi à défier le surarmement israélien et à empêcher, non pas certes les destructions, mais la victoire de l’armée d’invasion israélienne. Pour l’ensemble des pays voisins d’Israël, ce précédent dicte la nécessité de repenser la doctrine militaire et, à défaut, d’induire l’arme non conventionnelle, de revaloriser la stratégie de résistance et de poser l’objectif de l’alliance régionale, soutenue par une puissance dotée, à l’égal d’Israël, de l’arme nucléaire. Telle est l’exigence du principe d’équilibre. Dans ce contexte, la confusion que les Etats occidentaux s’attachent constamment à entretenir entre terrorisme et résistance nationale prend une portée plus vaste et une signification stratégique plus profonde.
Ahmed Ounaïes
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Une analyse pertinente. Cependant interrogation et malaise pour l'attaque de Hamas le 7 octobre hors du cadre de l'OLP . Un acte spectaculaire qui va aboutir à des dégâts et des meurtres dix, vingt, cent fois pires pour le peuple Ghazzouis. Pire les colons israéliens vont en profiter pour occuper une partie de la bande de Gazza. Au total quel bilan pour la cause palestinienne ?