Gaza, Palestine - Mahmoud Darwich: «Passants dans une parole passagère»
Qu’aurait dit le grand poète palestinien Mahmoud Darwich (1941-2008), s’il était encore parmi nous ? Quel cri aurait-il lancé, de sous les bombes israéliennes meurtrières, des décombres de Gaza, des camps de réfugiés, de la résistance d’un peuple ciblé par l’extermination, resté debout face au carnage ?
Sa voix nous manque aujourd’hui. Son œuvre immense reste pour nous un refuge, un ressourcement, un motif de réconfort et d’espoir. Chaque ligne de ses écrits s’incruste dans les cœurs.
Que mieux, pour exprimer aujourd’hui cette colère qui nous envahit que de rappeler l’un de ses poèmes. Le professeur Abdelaziz Kacem a porté son choix sur عابرُون في كلام عابِر
«Passants dans une parole passagère», qu’il a traduit lui-même en langue française. Hymne à la Palestine.
Mahmoud Darwich
Passants dans une parole passagère
Vous qui passez entre les mots qui vont passant,
Ramassez vos noms, allez-vous-en !
Retirez vos heures de notre temps, allez-vous-en !
Servez-vous à loisir du bleu de la mer et du sable de la mémoire,
Volez plein de photos dans l’espoir de savoir
Mais jamais vous ne saurez
Comment une pierre de notre sol en arrive à plafonner le ciel
Vous qui passez entre les mots qui vont passant,
Vous disposez de l’épée ; nous avons notre sang
Vous disposez de l’acier et du feu ; nous avons notre chair.
Vous disposez d’un char de plus ; nous avons la pierre.
Vous disposez d’une bombe à gaz ; nous avons la pluie
Et nous tous, au même vent, au même ciel, sommes redevables
Prenez donc votre part de notre sang, allez-vous-en !
Un dîner dansant vous attend, entrez-y, allez-vous-en!
C’est à nous de garder les rosiers des martyrs
Et c’est à nous de vivre à tout loisir
Vous qui passez entre les mots qui vont passant
Telle une âcre poussière, passez à votre guise,
Mais non parmi nous, pareils aux insectes volants.
Car nous avons une terre à travailler
Du blé à cultiver, à arroser de la rosée de nos corps
Ce que nous avons là n’est pas à vous plaire
Pierre ou pudeur
Libre à vous d’aller vendre le passé à la brocante;
Libre à vous de ramener le squelette de la huppe,
Sur un plateau de céramique.
Ce dont nous disposons n’est pas à vous plaire
Nous avons l’avenir
Et sur nos terres, nous avons une œuvre à accomplir
Vous qui passez entre les mots qui vont passant,
Empilez vos illusions dans un trou abandonné et allez-vous-en !
Ramenez l’aiguille à l’heure légale du veau sacré
Ou au tic-tac de la musique d’un pistolet
Ce dont nous disposons ici n’est pas à vous plaire. Allez-vous-en!
Nous avons ce dont vous êtes dépourvus : une patrie qui saigne, un peuple saigne.
Une patrie apte à l’oubli comme au souvenir.
Vous qui passez entre les mots qui vont passant,
Il est temps de vous en aller.
Séjournez là où vous voudrez, mais loin de nous.
Il est temps de vous en aller.
Trépassez là où bon vous semble, mais ne mourez pas chez nous.
Car nous avons sur nos terres une œuvre à accomplir.
Ici, le passé nous appartient.
Nous détenons le cri initial de la vie,
Nous avons le présent, le présent et le futur,
À nous l’ici-bas et l’au-delà,
Sortez donc de notre sol,
De notre terre, de notre mer,
De notre blé, de notre sel, de notre plaie,
De toute chose, sortez des vocables de la mémoire,
Vous qui passez entre les mots qui vont passant !
Mahmoud Darwich
Traduit de l’arabe par Abdelaziz Kacem
أيُّها المارون بيْنَ الكلماتِ العابرةْ
احْمِلوا أسماءَكمْ وانصرفوا
واسْحبوا ساعاتِكمْ منْ وقْتِنا، و انصرفوا
وخذوا ما شِئتُمُ منْ زرْقةِ البحْرِ و رمْلِ الذاكرةْ
واسرقوا ما شئتُمُ من صورٍ، كيْ تعْرِفوا
أنَّكمْ لن تعْرِفوا
كيْفَ يبني حجرٌ منْ أرْضِنا سقْفَ السَّماءْ
أيُّها المارون بين الكلماتِ العابرةْ
منكمُ السيفُ ومنَّا دَمُنا
منكمُ الفولاذُ والنارُ- ومِنَّا لحْمُنا
منكمُ دبابةٌ أخرى- ومنَّا حجرُ
منكمُ قنبلةُ الغازِ - ومنَّا المطرُ
وعليْنا ما عليْكمْ من سماءٍ وهواءْ
فخذوا حصتَكُمْ من دمِنا وانْصَرِفوا
وادْخُلوا حفلَ عشاءٍ راقصٍ وانصرفوا
وعليْنا ، نحْنُ ، أن نحرسَ ورْدَ الشُّهداءْ
و علينا ، نحنُ ، أن نحْيا كما نحنُ نشاءْ
أيُّها المارون بين الكلماتِ العابرةْ
كالغُبارِ المُرِّ مُرُّوا أيْنما شئتمْ ولكنْ
لا تمرُّوا بيننا كالحشراتِ الطائرة
فلنا في أرضِنا ما نعملُ
و لنا قمْحٌ نرَبِّيه و نسقيه ندَى أجسادِنا
و لنا ما ليس يُرْضيكُمْ هُنا
حجرٌ.. أو خجلٌ
فخذوا الماضي ، إذا شئتمْ إلى سوقِ التُّحَفْ
وأعيدوا الهيكلَ العظْمِيَّ للهُدْهُدِ ، إن شئتمْ
على صحنِ خزَفْ
فلنا ما ليس يُرْضيكمْ ، لنا المستقبلُ
ولنا في أرضِنا ما نعملُ
أيها المارون بين الكلماتِ العابرةْ
كدِّسوا أوهامَكُمْ في حُفْرَةٍ مهجورةٍ ، وانصرفوا
وأعيدوا عقربَ الوقتِ إلى شرعيةِ العجْلِ المُقدَّسْ
أو إلى توقيتِ موسيقى مُسَدًّسْ
فلنا ما ليس يرْضيكم هنا ، فانصرفوا
ولنا ما ليس فيكمْ : وطنٌ ينزفُ، شعبٌ ينزفُ
وطنٌ يصلحُ للنسيانِ أو للذاكرةْ
أيها المارون بين الكلماتِ العابرةْ
آنَ أنْ تَنْصرفوا
وتقيموا أينما شئتُمْ ولكنْ لا تقيموا بيننا
آن أن تنْصرفوا
ولتموتوا أينما شئتمْ ولكن لا تموتوا بينَنا
فلنا في أرضنا ما نعملُ
ولنا الماضي هُنا
ولنا صوتُ الحياةِ الأوَّلُ
ولنا الحاضرُ، والحاضرُ، والمستقبلُ
ولنا الدنيا هنا .. والآخرة ْ
فاخرجوا من أرضِنا
من برِّنا .. من بحرِنا
من قمْحِنا .. من مِلْحِنا .. من جُرْحِنا
من كلِّ شيءٍ ، واخرجوا من مُفْرَداتِ الذاكرة
!أيها المارون بين الكلماتِ العابرة
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