Mohamed Aït Mihoub*: Le vieil homme et la tentation
Nouvelle traduite de l’arabe par Tahar Bekri - Voici sa maison. Il ne reste que quelques mètres. Il se mit à marcher lentement. Ses regards en arrière et autour de lui se multiplièrent, bien qu’il n’y ait rien d’inquiétant, la rue était déserte. Même les chats, à force de la pluie, furent contraints de se retirer dans leurs coins inconnus. Il a bien choisi le moment. Sept heures du matin. Par cette pluie, aucun curieux ne pouvait s’intéresser à celui qui passe ou entre dans ces maisons.
Voici la porte. Est-ce bien la maison? Et s’il entrait dans une autre maison et trouvait une femme en train de faire sa prière de l’aube ? Non, non, c’est bien la maison, c’est sûr. Malgré la faiblesse de sa vue et de sa mémoire, il se souvenait très bien comment il l’a vue hier soir. C’est le même seuil sur lequel il l’a vue, jambes écartées, mâchant un chewing-gum avec une sensualité d’enfer. Il s’arrêta devant la porte, l’a trouvée entrouverte. Elle est toujours prête. Il respira. Mais par habitude, il fit deux pas en arrière, hésitant. Il aperçut un jeune homme au bout de la rue. Il lui faut entrer tout de suite ! Il se dépêcha vers la porte, tout troublé. Son pied se posa dans une flaque d’eau, son long parapluie cogna contre le mur. Il murmura : Et si l’un de mes fils me voyait ! En une seconde, il poussa la porte. La vieille porte fit un grincement au bruit entrecoupé. La voix d’un enfant lui parvint: «Qui est-ce? Qui est-ce?». Comment va-t-il passer ? L’entrée, derrière ses lunettes, lui parut sombre. Il cria: «Ta mère est là?» Une voix féminine répondit: « Entrez, je vous en prie».
Il ferma la porte puis ferma son parapluie, le prit comme canne. Comme cette entrée est longue! Comme elle est sombre ! Il évita de cogner contre des paquets et des morceaux de bois parsemés. Il se rapprocha du mur pour se diriger. En s’appuyant contre, des bouts de terre tombèrent et réveillèrent le chat de la maison qui courut entre ses pieds. Il se mit à marcher prudemment. Quand il parvint à la porte principale, sa voix s’éleva: «Bienvenue! L’oncle El Haj est chez moi? Comme je suis heureuse! Bienvenue». Elle était dans un habit blanc, transparent. Il ajusta ses lunettes. Fut étonné par ses seins bien en point. Il les vit en train d’exploser. Ils enlevèrent le voile sur l’habit transparent, se rapprochèrent, enjoués sans s’interrompre, il lui serra la main en regardant ses seins:
- Bonjour, comment vas-tu?
- Bonjour, Amm El Haj, comment vous-êtes-vous souvenu de moi ce matin? Bienvenue…
Il jeta un coup d’œil discret rapidement sur l’intérieur de la chambre, il vit avec difficulté l’enfant sur le lit et ressentit un écœurement.
- Est-il possible que …ou non?
- Elle passa sa main sur son visage, en riant;
- Comment est-ce possible? Si je ne vous sers pas Amm El- Haj, qui le fera? Je vous en prie…
Elle le laissa près de la porte puis se dépêcha vers son fils. L’enfant la remarqua et se mit debout, elle l’entoura de ses bras puis elle le posa sur le sol:
- Adel, oncle El Haj est venu pour un sujet important, va dans la chambre de ta grand-mère et prépare-toi pour l’école.
L’enfant ne sembla pas d’accord, fixa du regard le vieil homme et n’hésita pas à protester. :
- Non, je voudrais rester au chaud.
- Aie un peu de pudeur, Amm El Haj est notre invité, il a de l’affection pour nous et il t’aime beaucoup. N’est-ce pas Amm El Haj?
Le vieux murmura avec dégoût : Mm. Mm… oui.
- Tu as vu ? Alors dépêche-toi Adel et va vers la chambre de ta grand-mère.
L’enfant regarda autour de lui, inquiet, puis sortit.
Elle ferma la porte et se mit à ranger le lit pendant que le vieil homme se défaisait de ses vêtements. Elle fit le lit une seconde fois :
- Excusez-moi Haj, la chambre n’est pas de votre rang, mais que puis-je faire? C’est ainsi.
Et bien qu’il fût dégoûté de l’odeur du lit, il dit:
Le lit n’est pas important, ce qui m’intéresse est ce qui est sur le lit.
Elle fut convaincue de ses propos, cessa de ranger le lit, le regarda, le trouva prêt. Elle ôta son habit transparent et s’allongea.
- Allons y Am El Haj, dépêchez-vous, c’est l’heure de l’école pour mon fils.
Quelques minutes et le vieux se mit à râler comme pour des pleurs, il ne voyait plus rien, se mit à chercher ses lunettes. Quant à elle, elle jeta l’habit rapidement. L’état du vieux, essoufflé, la fit rire.
- Votre femme ne vous suffit plus Amm El Haj?
- Oh ! Elle est devenue vieille.
- Et vous? Vous aussi, vous êtes vieux.
- Mais je suis un homme et l’homme ne manque jamais de désir.
L’enfant coupa leurs propos en criant: «J’ai froid, je vais être en retard pour l’école»; Elle lui répondit: Arrête, j’arrive!
Elle ouvrit la porte. Il mit dans sa main quelque argent; «Mais tout reste secret». Elle répondit, en riant: « Je sais, j’ai l’habitude, nombreux sont ceux qui comme vous viennent ici».
Il ouvrit son parapluie, se mit à marcher vers la porte. La pluie était trop forte et elle pensa à son fils.
- Amm El Haj, je vous en supplie, prenez Adel avec vous sous le parapluie, il se fait très tard.
- Est-ce qu’il va à l’école?
- Oui, il est tout mon espoir.
Il fut embêté par l’idée mais il acquiesça.
- Pourquoi pas, allons y.
Tout le long du chemin, il essayait de garder une distance qui le sépare de l’enfant afin qu’il paraisse comme un petit qui s’est imposé, fuyant la pluie et s’est mis sous le parapluie du monsieur. Mais cela ne pouvait mettre fin à une peur inconnue au fond de lui: Et si ma fille enseignante, me voyait? Et si l’un des voisins me voyait? Qui ne la connait pas et ne connait pas son fils ? C’est sûr, si quelqu’un me voyait, son esprit se mettrait en marche très rapidement et son soupçon le mènerait vers la bonne explication de la raison pour laquelle l’enfant est avec moi.
Il marcha tête baissée, essayant de se cacher de n’importe quel souvenir, chaque fois que la route tournait d’une rue à l’autre. Il espéra que l’enfant le laisserait de lui-même et courrait vers n’importe quelle ruine, peu importe si elle était son école. L’important est qu’il s’éloigne de lui et c’est tout. Sa nervosité augmenta quand il s’approcha du café, bondé d’amis, vieux, comme lui. Sans hésiter, il s’écarta de l’enfant et lui dit, je suis pressé, dis bonjour à ta mère puis il se protégea avec le parapluie et se dirigea vers le café.
Pendant que l’enfant marchait vers l’école sous la pluie battante, le vieux prit une chaise parmi ses amis. Après avoir pourchassé dans leurs regards et leurs salutations un sentiment qui aurait pu lui faire peur et qu’il ne trouva point, il demanda au serveur un café et reprit peu à peu sa tranquillité.
De temps à autre, il fermait ses poignées et y soufflait, il faisait froid le matin, très froid.
Nouvelle traduite de l’arabe par Tahar Bekri
* Mohamed Aït Mihoub: Né en 1968 à Bizerte. Nouvelliste, romancier, traducteur, Professeur d’Université, enseigne aux Emirats. A publié en arabe des essais ainsi qu’un recueil de nouvelles «Roses et cendres» et un roman «Lettres de sable».
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