Trump: le désordre comme un nouvel ordre
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Pr Samir Allal - Université de Versailles/Paris Saclay
• Avec l’élection de Donald Trump, nous bousculons dans un monde irrationnel, soumis aux caprices de la première puissance mondiale avec une accélération des politiques d’extraction dans la direction inverse d’une gestion durable des ressources de la planète.
• L’Amérique de Trump est devenue le nom d’une catastrophe écologique et climatique annoncée. Y a-t-il des sentinelles pour limiter les effets d’une telle catastrophe et peut-on imaginer démocratiquement une réponse collective ?
• Les menaces sur le multilatéralisme et sur le système des Nations Unies sont réelles. Depuis sa réélection le monde est pris d’un vertige et nous nous retrouvons soudainement face à une question existentielle : Où se dirige voire se précipite l’Amérique et le monde ?
• Une question évidente si Donald Trump et JD Vance, son vice-président, mettent vraiment en œuvre ce qui est dans l’air en ce moment. Sommes-nous prêts à affronter Trump et ses oligarques, une question qui nous angoisse tous, quelle que soit notre position sur la planète.
• Est-ce que leurs idées radicales et brute ont recueilli une majorité des suffrages, seulement, parce que leur force brute promettait la fin d’un sentiment d’impuissance publique, qui mine la confiance des citoyens, ou, les Américains ont-ils vraiment voté pour la fin de la démocratie libérale, peut-être même la démocratie tout simplement ?
• Qu’est-ce que ce nouveau libertarianisme, cet anarcho-capitalisme, ce techno-populisme, cet identitarisme autoritaire ?
MAGA «Make America Great Again», un monde en réduction
• 2024 a été l’année la plus chaude de l’Histoire de l’humanité. La première, à dépasser de 1,5 °C les températures moyennes de l’ère préindustrielle. Dans le même temps, un climatosceptique décomplexé a fait son retour à la Maison-Blanche, et le populisme à tendance carbo-fasciste gagne du terrain en Europe et ailleurs. Pas vraiment de bon augure pour la transition écologique et énergétique.
• 2025 une année d’installation politique avec une possible recomposition des dynamiques internationales : «Populisme», «Néolibéralisme», «Nationalisme» «Backlash», «démantèlement des normes environnementales», «relance des énergies fossiles», «assèchement de l’aide au développement»: les mots se bousculent, l’insatisfaction demeure.
• Presque étonné d’accéder au pouvoir en 2017, Donald Trump débute cette fois son second mandat extrêmement bien préparé, avec l’appui et le soutien d’une puissante oligarchie. Tous les grands patrons américains de la tech d'Elon Musk à Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Tim Cook étaient présents à sa cérémonie d'investiture.
• Parmi eux, seul Elon Musk joue un rôle éminent au sein de l'administration Trump. Sans aucun mandat public, l'homme le plus riche du monde est doté de pouvoirs sans précédent au sein du DOGE, le Département de l'efficacité gouvernementale.
• Le projet de ces oligarques, en finir avec la démocratie, imposer leurs technologies au monde entier, et le gouverner par la maîtrise des réseaux digitaux. Une doctrine techno fasciste, séparatiste, et raciste.
• Pour le sociologue Rémy Oudghiri la démocratie est d'autant plus menacée que Donald Trump est lui-même le produit des réseaux sociaux : "Le président américain a un style politique qui n'aurait pas du tout été pensable sans les réseaux sociaux. C'est quasiment le premier homme politique qui sort des réseaux sociaux".
• De Gaza à l’Ukraine en passant par le Groenland, le Canada et le Mexique, Donald Trump piétine avec des manières brutales le principe même de souveraineté, fondement de relations internationales pacifiées.
• Il se prépare à vider Gaza de ses habitants pour en faire une zone de promotion immobilière. Il s’attaque aux fonctionnaires, aux publications scientifiques, aux immigrés. Ses outrances et leur répétition engendrent une forme de sidération partout dans le monde.
• La mise à l’arrêt, par l’administration Trump, de l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID) est une attaque en règle contre la solidarité. Elle a de nombreuses conséquences sur les programmes humanitaires, de nutrition, de traitement du VIH ou d’aide au développement.
• La déstabilisation de l’USAID entraînera, la disparition de nombreuses ressources statistiques démographiques et sanitaires, à une échelle internationale, et l’interruption des enquêtes en cours. Une situation dramatique pour les pays à faible revenu, incapables d’effectuer seuls cette collecte massive de données sans laquelle les politiques publiques deviennent efficientes, voire inexistantes.
• Les premières actions du DOGE d’Elon Musk ciblent la science, jugée “nuisible à la prospérité des États-Unis”, lorsqu’elle remet en cause la vision affairiste du monde portée par ces milliardaires. Trump (I) s’attaquait aux résultats incommodants de certaines disciplines; Trump (II) déclare une guerre tous azimuts à la science, comme méthode de description et d’objectivation du réel.
• L’administration de Trump met désormais en œuvre une politique qui vise à détruire les instruments permettant de produire des énoncés objectifs. Faire disparaître la réalité pour ne plus laisser les faits porter préjudice à la volonté du chef : c’est exactement ce que l’on attend d’une politique fasciste.
• En supprimant des dizaines de milliers d’emplois et en coupant les financements des recherches qu’ils accusent de « wokisme », le président des Etats-Unis et le milliardaire Elon Musk, mènent une attaque sans précédent contre la production de la connaissance.
• Dès le premier jour de sa prise de fonction, le climat et l’énergie était dans le viseur. La transition écologique et énergétique (TEE) est présentée par Trump comme une contrainte.
• Or, dans le nouveau contexte difficile de bouleversement géopolitique et technologique, l’inaction à un coût et la neutralité carbone n’est plus une option. Comme le souligne le dernier rapport du World Economic Forum qui met en évidence le paradoxe de la transition : une sous- estimation des effets financiers des risques et une sur- estimation du coût de l’action. Le véritable coût de la transition est celui du désinvestissement.
• Les chiffres sont sans appel: 30 milliards de dollars de pertes pour l’énergéticien PG&E après les incendies en Californie et 1,4 milliard d’euros de dommages pour la Deutsche Bahn après les inondations en Allemagne entre autres.
• Avec un prix du carbone à seulement 15 €/t, il serait possible de réduire jusqu’à 50 % des émissions sans impact économique majeur. Plus nos sociétés prennent du retard sur les trajectoires de décarbonation, plus ce coût s’élève.
• Pour une transition juste, il faut massivement redistribuer son produit vers les plus vulnérables. « Ce qui fait baisser les émissions, ce n’est pas d’ajouter du capital décarboné, mais d’enlever celui qui à l’origine des émissions de carbone fossile ». Christian De Perthus (Carbone fossile, carbone vivant, vers une nouvelle économie du climat, septembre 2023).
On s’indigne du backlash de Trump, pourtant, nous sommes en train d’opérer furtivement les mêmes revirements
• Les décisions de Trump peuvent sembler irrationnelles dans un pays qui a souffert dramatiquement des impacts du changement climatique ces derniers mois, avec l’ouragan Hélène en Caroline du Nord qui a tué plus de 200 personnes et dont les dégâts sont estimés à 60 milliards de dollars, ou encore les incendies en Californie qui nécessiteront plusieurs dizaines de milliards de dollars pour la reconstruction.
• Si Donald Trump donne l’impression de prendre des décisions irréfléchies, la réalité est tout autre : les industriels du pétrole et du gaz ont financé à hauteur de 219 millions de dollars sa campagne électorale.
• Dans le premier pays producteur au monde de pétrole et de gaz, ces firmes ont un pouvoir énorme et n’ont pas l’intention de stopper leur expansion. Donald Trump est au service de l’industrie du carbone et des géants du numérique.
• Et tant pis si les Etats-Unis pourraient émettre 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 supplémentaires d’ici 2030 par rapport au précédent mandat, soit les émissions annuelles de l’Europe et du Japon. Tant pis si nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire vers la neutralité carbone. Le mode de vie des Américains, et surtout les profits des milliardaires trumpistes priment.
• On feint d’être surpris de ces reculs démocratiques et on s’indigne de cet incroyable backlash. Et pourtant, ne sommes-nous pas en train d’opérer furtivement les mêmes revirements ? « Quand on n’a qu'un marteau, tout ressemble à un clou », disait l’adage.
• En France par exemple l’Agence de l’Environnement et de Maîtrise de l’Energie (ADEME), et plus encore l’Office français pour la biodiversité font l’objet d’une inquiétante campagne de dénigrement relayée par une partie de la classe politique. Quant aux normes environnementales et sociales sont tout simplement en train d’être abolis.
• Un autre exemple, pour faire face à la tsunami Trump, l’Union européenne pourra s’appuyer sur son Pacte vert, qui porte déjà ses fruits avec une baisse de 59 milliards d’euros du coût des importations d’énergies fossiles entre 2019 et 2024. Mais l’Europe est fragilisée par la montée de discours réactionnaires et peine à définir son objectif pour 2040 et les moyens associés.
• Le choc de simplification proposé par la Commission s'avère au mieux un hors sujet, au pire une erreur politique : quand l’État de droit et la science sont attaqués de toute part, on ne participe pas à l’offensive en cours (orchestrée par Trump), en matière de déréglementation.
• A travers l' « Omnibus », c’est bien le Green deal qui est en partie attaqué. Et pour quel résultat ? En effet, les principales préoccupations comme le pointe le rapport Draghi, sont la différence de compétitivité, l’absence de politique industrielle, la concurrence déloyale, venant de Chine et des USA notamment, et de la lenteur de la Commission à y répondre.
• C’est donc bien plus d’un «choc d’anticipation» à travers une stratégie industrielle claire et d’un «choc de réactivité» de la Commission dont l’Europe a besoin aujourd’hui. Retirer quelques règles de reporting environnemental ne changera rien à une stratégie agressive des USA. Il faudrait bien plutôt des mesures de protection de son marché.
• Supprimer le reporting ne permettra pas non plus l’avènement miraculeux de géants du numérique. Sans compter que revenir sur les avancées dans le domaine de la finance durable, met en danger tout un secteur de l’économie qui s’est développé dans ce domaine : on pense notamment aux investisseurs, à la finance responsable, mais aussi aux entreprises qui se sont déjà mises en conformité.
• Ainsi, comme le révèlent de nombreuses études, la plupart des entreprises, moyennant quelques modifications à la marge, se déclarent satisfaites du cadre proposé et ne voient pas d’un bon œil l’instabilité engendrée cette simplification. Ce dont l’Europe besoin aujourd’hui ce n’est pas d’une remise en cause du Green Deal, mais bien de la mise en œuvre d’une stratégie industrielle claire et financée.
• L'écart grandissant de demande entre les États-Unis et la zone euro est largement imputable à la différence budgétaire entre les deux zones économiques. Entre 2009 et 2024, le gouvernement américain a injecté cinq fois plus de fonds dans son économie que ses homologues européens, soit 14 000 milliards contre 2 500 milliards.
• L’Europe a dangereusement oublié la définition de la politique que donnait Raymond Aron, dans son ouvrage Paix et Guerre entre les nations, « la politique est l'art de choisir entre plusieurs inconforts ». Les mois qui viennent diront si l’Europe est capable, cette fois, de repousser ses limites planétaires ou pas.
• Dans un monde où les rapports de force et la puissance semblent primer, seule une alliance solide de plusieurs pays pourra faire pencher la balance vers une accélération de la transition juste, solidaire et soutenable. Les États Unis continueraient, sous Trump comme sous ses prédécesseurs, d’affirmer leur superpuissance et voudraient encore imposer leurs conceptions du monde au reste de la planète.
• Le désordre mondial encouragé par Trump, et ses soutiens, (les géants du numérique et de ceux de « l’économie de la mort) ne favorise pas la transition écologique et aggrave les inégalités. « L’enfer des pauvres fait le paradis des riches ». Victor Hugo
Sommes-nous prêts à affronter l’Amérique de Trump? Attendre le changement ou le faire advenir
• Donald Trump applique une tactique bien huilée : la stratégie du clash permanent. Une succession rapide et incessante de déclarations choquantes. Ses outrances et leur répétition engendrent une forme de sidération dans le monde.
• Le jour de son investiture marque le début d’une nouvelle ère dans laquelle les « démocraties » sont attaquées et le geste de salut nazi d’Elon Musk, est une manière de l’assumer : autoritarisme, stigmatisation des intellectuels, avec tous les dénis de démocratie.
• Je suis atterré de la passivité, proche de la complicité, des institutions internationales, dont les valeurs fondamentales sont pourtant attaquées. Je suis très inquiet, de l’absence de réaction collective et forte, comme si nous étions paralysés par la sidération.
• Il est utile, et peut-être même vital, face à une telle menace du projet de Donald Trump et d’Elon Musk (sans oublier l’ensemble des forces totalitaires, illibérales ou libertariennes qui se développent autour de nous), de relire les propos d’Hannah Arendt : “pour s’implanter, le totalitarisme a besoin d’individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême”.
• Comment ne pas voir le lien entre les propos d’Hannah Arendt et la stratégie des “ingénieurs du chaos” (ces oligarques des réseaux sociaux et les géants du carbone) pour reprendre le titre de l’excellent ouvrage de Giuliano da Empoli, dans cette bascule post-démocratique ?
• Nous ne manquons pas de savoirs pour décrire ce qui nous arrive. La crise de la démocratie fait l’objet de diagnostics récurrents. De plus en plus d’historiens et de spécialistes (comme Johann Chapoutot) établissent des parallèles entre notre période et celle du fascisme des années 1930.
• Dans son livre (Récidive, Ed PUF), Michaël Fœssel, n’entonne pas le couplet du retour des années 30. Pour ce philosophe inquiet du présent : « les années 1930 nous éclairent sur l’actualité (...) non sur les événements, mais sur la manière de les interpréter systématiquement dans le sens du pire ».
• Pour Michaël Fœssel, les événements ne se répètent pas, mais, la manière de les interpréter traverse la différence des temps. Nous sommes dans une époque fragile, dans laquelle les équilibres mondiaux s’effritent et le climat se dérègle. L’incertitude semble être la seule constante.
• Se présentant comme les défenseurs de la liberté d’expression, Donald Trump et son acolyte Elon Musk sont en train de mettre en place une censure inédite: suppression de la mention du changement climatique sur les sites Internet de la Maison-Blanche et de ministères américains, consigne donnée à des employés fédéraux, de l’agence fédérale américaine qui surveille et modélise les océans et l’atmosphère (NOAA), de cesser temporairement de communiquer avec les ressortissants étrangers et de participer à des commissions internationales etc.…
• Les attaques contre les faits scientifiques, contre les médias, les libertés associatives et syndicales, les droits humains se multiplient. Les éléments d’un pouvoir totalitaire à la tête de la première puissance sont en train de se mettre en place à une vitesse surprenante.
• Cette montée de l’autoritarisme est malheureusement mondiale. S’attaquer aux scientifiques, aux ONG pour leurs activités de plaidoyer pour la transition écologique, est un moyen de museler tout contre-pouvoir. Il serait tellement plus simple de laisser faire les puissants lobbys industriels sans contradiction !
• Face aux choix rétrogrades et suprématistes de Donald Trump, face aux attaques sans précédent qui arrivent de toutes parts et semblent dépourvues de toute rationalité, il serait légitime de se sentir tétanisé, mais il ne faut pas se résigner.
• L’indignation est une réaction contre-productive. Elle n’a aucune chance d’influer le cours des choses outre-Atlantique. Pire, elle détourne notre regard d’une lame de fond qu’il est urgent d’endiguer : la trumpisation à bas bruit de nos politiques publiques.
• Pour continuer à croire dans la transition écologique et énergétique, la question n’est plus de savoir si nous devons défendre nos fondamentaux démocratiques face à une attaque d’une ampleur et d’une brutalité sans précédent, mais plutôt de savoir si nous en sommes encore capables.
• Le Capitalocène, est une nouvelle ère oligarchique qui menace la démocratie et la paix dans le monde : le vieux monde néolibéral refuse de mourir. L’idée d’en construire un autre apparaît… mais lequel ? Là débutent les difficultés
• La raison économique gouverne comme jamais notre débat public, mais elle n'a rien de réaliste : notre système économique néolibéral aggrave d'une main les chocs écologiques et de l'autre affaiblissent les institutions sociales qui pourraient nous en protéger. D'un côté le chaos grandit, de l'autre on sape la solidarité.
Dans ce monde invivable que nous bâtissons, perclus d'inégalités et de privilèges, seul le ressentiment prospère. Il y a donc urgence à nous désintoxiquer des mythologies économiques.
• Comment? D'abord, en mettant clairement au jour la croyance qui colonise nos imaginaires pour la regarder bien en face. La chimère économique a trois têtes. La première: réformer pour performer. La deuxième, ressasser le passé et cracher son venin nostalgique. La troisième : il nous faut consommer, en nous consumant.
• Trois têtes - le néolibéralisme, la social-xénophobie, l'écolo-scepticisme - tenues ensemble par un même corps : la « raison » économique.
Quand cesserons-nous de croire en la chimère économique ? Quand voudrons-nous ensemble un autre récit ? Un récit alternatif au projet de Trump et ses oligarques.
Alors que l’économie capitaliste est vouée à avancer de manière chaotique à travers la « destruction créatrice » des marchés, la planification permet d’assujettir le développement économique aux objectifs politiques, écologiques et sociaux établis démocratiquement.
• En planifiant l’économie de manière démocratique, on peut imaginer arrimer l’établissement de grands objectifs, l’investissement et la production de manière cohérente et éviter les dérégulations annoncées.
Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris Saclay
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