Les économies de l’ASEAN-6 peuvent-elles résister aux nouvelles guerres tarifaires?

Les six plus grands pays de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN-6), à savoir l’Indonésie, la Thaïlande, Singapour, la Malaisie, le Vietnam et les Philippines, comptent parmi les économies à la croissance la plus rapide au monde depuis plusieurs décennies. Une grande partie de leur succès repose sur leur intégration aux marchés mondiaux grâce au commerce international. Ainsi, toute menace ou perturbation de leurs flux commerciaux peut avoir un impact significatif sur leur performance macroéconomique.
Depuis l'investiture de Donald J. Trump en tant que président des États-Unis en janvier de cette année, les guerres commerciales ne cessent de faire la une des médias internationaux. La vision mercantiliste de Trump privilégie l'autosuffisance nationale et considère les importations comme un facteur nuisible à la richesse nationale, plutôt que comme un élément contribuant à une dynamique économique saine. Par conséquent, les pays affichant d'importants excédents bilatéraux persistants avec les États-Unis risquent davantage de devenir la cible de tarifs douaniers.
Les tensions commerciales ont commencé par des menaces directes des États-Unis d'imposer des droits de douane de 25 % sur le Canada et le Mexique, ainsi que de 10 % sur la Chine. Ces menaces ont ensuite été suivies d’avertissements concernant des tarifs « universels » et « réciproques » sur tous les pays et tous les produits, ainsi que des taxes ciblées sur toutes les importations d’acier et d’aluminium. En réponse, d'autres nations évaluent leurs propres contre-mesures, augmentant ainsi le risque de protectionnisme et d’escalade des guerres commerciales.
Cependant, malgré un environnement commercial mondial difficile, les économies de l’ASEAN-6 sont bien positionnées pour résister à ces turbulences. Trois éléments clés soutiennent cette évaluation.
Tout d'abord, il est peu probable que les pays de l'ASEAN-6 deviennent des cibles directes des tarifs douaniers de Trump à court terme. Parmi ces pays, le Vietnam et la Thaïlande affichaient l'année dernière les plus importants excédents commerciaux bilatéraux avec les États-Unis, respectivement 125 milliards USD et 35 milliards USD. Toutefois, ces pays attirent moins l'attention que d'autres partenaires commerciaux des États-Unis, qui présentent des excédents bilatéraux bien plus élevés, notamment la Chine (300 milliards USD) et le Mexique (172 milliards USD). De plus, les pays d'Asie du Sud-Est sont perçus comme un contrepoids à l'influence chinoise dans la région, ce qui leur confère une position favorable dans les négociations commerciales et leur permet d'atténuer les menaces tarifaires potentielles.
Excédents commerciaux des pays avec les États-Unis
(En milliards USD, 2024 ou dernière donnée disponible) Source: Haver Analytics, QNB Economics
Ensuite, les tensions géopolitiques et commerciales entre les États-Unis et la Chine entraînent des évolutions des flux commerciaux et d'investissements qui profitent aux économies de l'ASEAN-6. Les exportateurs de la région, qui concurrencent les producteurs chinois, bénéficient des droits de douane américains sur la Chine, rendant ainsi leurs produits relativement moins chers sur le marché américain. Indirectement, les entreprises de ces pays jouent un rôle d'intermédiaire en facilitant l'entrée des produits chinois aux États-Unis afin de contourner les barrières tarifaires. De plus, les économies de l'ASEAN profitent des investissements de multinationales, y compris des entreprises chinoises cherchant à établir des unités de production en dehors de la Chine. De nombreuses entreprises occidentales adoptent une stratégie de « tout sauf la Chine » pour réduire leur dépendance à ce pays et limiter les risques liés aux tensions géopolitiques. Ainsi, les pays de l’ASEAN-6 tirent avantage de la réorientation des flux commerciaux et d'investissement au détriment de la Chine.
Enfin, malgré la dégradation du climat commercial international, l'impact sur les prévisions de croissance des économies très intégrées au commerce mondial de l’ASEAN-6 reste limité. En effet, les prévisions de croissance du PIB réel pour 2025 sont restées inchangées, voire ont été revues à la hausse au cours de l'année écoulée. Après avoir maîtrisé l'inflation, les banques centrales de la région adoptent des politiques de baisse des taux d'intérêt ou les maintiennent à des niveaux « neutres », c’est-à-dire ni restrictifs ni stimulants pour l'activité économique.
Prévisions de croissance du PIB réel de l’ASEAN-6 pour 2025
(En %, croissance annuelle du PIB réel) Source: Bloomberg Consensus, QNB Economics
Dans plusieurs pays, les gouvernements mettent en place des programmes ambitieux d’infrastructures et d’investissements en capital qui attirent également des capitaux privés et soutiennent la croissance économique. Des projets majeurs sont prévus dans les secteurs du transport, de la logistique, des mines et des infrastructures nécessaires aux nouvelles usines de production. Bien que les moteurs de croissance varient selon les pays de l'ASEAN-6, la dynamique globale de croissance devrait rester robuste en 2025.
Dans l’ensemble, la détérioration du climat commercial mondial n'a pas compromis les perspectives de croissance des économies de l’ASEAN-6. Grâce à une dynamique de croissance toujours solide, une position favorable pour éviter ou atténuer les menaces tarifaires, et des bénéfices issus des évolutions des flux commerciaux et d'investissement, ces économies restent résilientes face aux tensions commerciales internationales.
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