Khadija Taoufik Moalla : Carte postale de Shanghai

La semaine dernière, Shanghai m’a tendu les bras et offert l’occasion rare de plonger au cœur d’une des plus grandes métropoles du monde. Dès les premières heures, la magie opère: ici, tout semble orchestré, vivant, agile. Impossible de ne pas être frappée par la démesure: plus de 30 millions d’habitants, rien de moins que la ville la plus peuplée de Chine. Mais Shanghai, c’est aussi une fascinante mosaïque humaine, culturelle et religieuse, croisée entre histoire et ultra-modernité. La ville vit à un rythme effréné, portée par une économie qui a généré en 2024 un PIB de 5 390 milliards de yuans (environ 740 milliards de dollars) et enregistré une croissance de 5%.
En parcourant ses grandes avenues d’une propreté inimaginable, je n’ai pas vu un seul sac en plastique voler dans les airs, pas de mégots de cigarettes par terre ni la moindre trace d’incivilité. L’air respirable, allégé par 80% de voitures électriques (reconnaissables grâce à leur plaques vertes), m’a surprise dans une grande mégapole. Quant à la misère de rue, ô combien visible dans de nombreuses capitales, ici, elle parait avoir été éradiquée. De plus, je n’ai vu aucune personne obèse, les gens de Shanghai semblent s’être donné le mot pour être en excellente forme physique. Cette organisation sociale, presque irréelle à mes yeux d’habituée de l’Occident, a bouleversé mes repères sur la définition du développement et de la gouvernance. Shanghai attire, inspire, et interroge. Comment une simple municipalité parvient-elle à gérer une aussi grande population? Comment cette municipalité a réussi à convaincre sa population de respecter et protéger l’environnement?En prenant l’ascenseur de l’hôtel pour aller à ma chambre, j’ai été accompagnée, deux fois, par un robot, silencieux et discipliné qui semblait prendre son travail à l’hôtel très au sérieux. Et je me suis sentie soudain plongée dans le futur. J’avoue ne pas avoir eu le courage de le saluer car j’ai eu peur qu’il entame une conversation avec moi!
Et si la fameuse prophétie d’Alain Peyrefitte – “Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera” – se révélait aujourd’hui, discrètement, mais sûrement? La Chine est devenue un pivot de l’économie mondiale et un acteur incontournable de la géopolitique, récoltant les fruits d’un développement pensé et basé sur l’inclusion et la justice sociale.
De retour en Tunisie, le “mystère chinois” me hante littéralement, et comprendre ses clés est devenu une obsession.
Déjà en 1973, Alain Peyrefitte, visionnaire, pressentait la montée en puissance chinoise le jour où la modernité serait à sa portée. Aujourd’hui, avec une population qui pèse le quart de l’humanité, la Chine ambitionne sans complexe la première place mondiale. Les chiffres de 2025 parlent d’eux-mêmes: 5,3% de croissance sur le semestre, rivalisant avec les grandes puissances malgré les tensions commerciales.
Ce qui m’a marquée à Shanghai, c’est cette modernisation placée sous le signe du peuple. Le 14e Plan quinquennal (2021-2025) fixe la “prospérité commune” comme cap stratégique, ce qui se traduit concrètement par la réduction des inégalités, l’accès équitable à l’éducation et à la santé, et la revivification du monde rural. Des transferts budgétaires ciblés, une réforme profonde de la protection sociale, tout est orienté vers une croissance plus juste, au service de tous.
Autrefois, la prospérité commune était synonyme d’éradication de la pauvreté: plus de 850 millions de Chinois en sont sortis en 40 ans. Aujourd’hui, il s’agit d’élargir la classe moyenne et de consolider la solidarité nationale. Travail, innovation, redistribution fiscale et engagement philanthropique – notamment des titans du numérique – s’unissent pour faire reculer les inégalités tout en dynamisant l’ascension collective.Les priorités sont claires: encadrer la croissance par la redistribution, investir dans l’humain et moderniser la gouvernance. En fait, en Chine : “La modernisation ne se résume pas aux progrès matériels, elle doit aussi se mesurer à l’équité sociale et à l’enrichissement culturel”. Cette nouvelle phase place la gouvernance, l’expansion des droits sociaux et des réformes fiscales ambitieuses sur le devant de la scène, pour irriguer plus largement tous les pans de la société.
Le modèle chinois, ce n’est pas que pour les Chinois. Depuis 2013, grâce à l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie (BRI), la Chine a investi plus de 1 000 milliards de dollars pour connecter l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Ports, lignes de train: en dix ans, cela a permis d’augmenter de 4,1% en moyenne les échanges commerciaux des pays partenaires, preuve que la croissance chinoise exporte aussi ses bienfaits. Les changements inédits depuis un siècle forcent la Chine à se réinventer en permanence.
Quitter Shanghai m’a laissé une conviction forte: la Chine s’est bel et bien ‘réveillée’. Plus qu’une simple puissance économique, elle incarne un modèle où la justice sociale, l’innovation et l’ouverture rivalisent pour dessiner une alternative crédible à l’ordre mondial en crise. Les dividendes de ses investissements redessinent dès aujourd'hui la carte du pouvoir international, dans un environnement où l’interconnexion et la concurrence n’ont jamais été aussi vives et les partenariats vertueux aussi indispensables.
Khadija Taoufik Moalla
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