Opinions - 06.03.2011

Pour une relance de la recherche scientifique et technologique de la Tunisie moderne

L’université d’aujourd’hui n’est pas une simple organisation comme les autres ; elle est avant tout une institution qui se définit par ses finalités et non par les moyens mis en œuvre pour les réaliser plus ou moins efficacement. La raison d’être est surtout le lieu qu’elle apporte à l’homme et à la société. L’espace où s’échangent les idées et se diffusent, où on se rencontre pour travailler ensemble s’enrichir, se compléter à travers des projets innovants et porteurs. C’est pourquoi redéfinir les missions de l’université moderne, dans un monde qui subit de plein fouet des mutations qui résultent de l’effet conjuguée de puissants facteurs de changement, s’avère de toute urgence.

 

Dans ce contexte qui se complexifie de jour en jour et où la compétition est de plus en plus vive, quel rôle peut jouer la recherche scientifique dans le développement économique et social qui est tributaire d’une stratégie de recherche avant-gardiste permettant l’investissement dans le savoir et son extension? Comment peut-elle devenir un moteur de recherche, un partenaire vital dans l’évolution de notre pays?

 

Cette problématique appelle à une réflexion profonde sur l’intégration de nos chercheurs scientifiques dans des cadres institutionnels de plus en plus complexes qui risquent d’entrainer l’apparition de divers types de contraintes et d’influencer les choix, les orientations, le fonctionnement et les résultats de la recherche.

 

La compréhension de la recherche passe aujourd’hui par l’analyse critique des pratiques collectives de la communauté universitaire et des représentations qu’elle véhicule. Décrire ces pratiques, analyser ces comportements, déceler ces enjeux, nous paraît une entreprise nécessaire. Nous souhaitons ici continuer à cette entreprise, en commençant une réflexion sur les problèmes suivants :

 

La recherche scientifique est une partie intégrante de la tâche de l’enseignant : Considérée aujourd’hui et plus jamais comme l’une des activités clefs dans l’enseignement supérieur. Des personnes et des équipes assurent sa réalisation et sa production. Des revues spécialisées diffusent ses résultats significatifs et innovants. Des associations scientifiques s’associent pleinement à ses efforts. De plus, qu’on le veuille ou pas, la recherche scientifique est maintenant utilisée en tant que critère d’excellence et vecteur de développement.

 

Etant devenue le lieu et l’enjeu d’une activité institutionnelle en extension, la recherche universitaire loin d’être le fait de personnes isolées, elle doit désormais devenir inséparable d’un ensemble de pratiques, de comportement, d’attitudes des chercheurs et d’agents institutionnels qui veillent à sa production. Portée, reconnue, valorisée et systématiquement entretenue selon certains critères, la recherche doit impérativement dépendre de moins en moins de la bonne volonté individuelle et de plus en plus des actions collaboratives et des décisions concertées par l’ensemble de l’équipe de recherche.


La critique des évidences et l’évidence de la critique 


Il ne saurait être question dans le cadre de cet article d’analyser tous les types de contraintes. Nous nous contenterons de celles afférentes à la déontologie scientifique, aux stratégies méthodologiques et organisationnelles, à la définition rationnelle, à la clarification conceptuelles, génératrices de problèmes influents. Opinions et idées reçues, représentations courantes et apparemment crédibles, évidences du sens commun, préjugés, solutions spontanées, réponses préscientifique. Or le but de la recherche scientifique est de produire des résultats scientifiquement fiables, et ce en relation avec les normes propres au domaine où œuvre le chercheur. C’est pourquoi toute recherche implique d’une façon ou d’une autre des connaissances empiriques qu’on oppose au savoir scientifique. Elle réfute les explications « passe-partout » et lance un défi aux croyances courantes en les assujettissant à une problématisation et à un examen minutieux grâce à l’utilisation de standards objectifs et rigoureux.

 

Même si la recherche débute dans un univers de représentations, de symbolismes, de croyances héritées, de savoirs spontanés, nous sommes dans l’obligation de valider, en commun, des jugements pour nous rendre compte que certains d’entre eux étaient des « pré-jugements » factuels et subjectifs. C’est pourquoi, s’interroger sur les conditions de l’objectivité est le point model à partir duquel évoluent réflexions, méthodes, techniques, et efforts conjugués dans leurs raffinements successifs. D’où l’impératif pour tous les chercheurs de toutes les disciplines et de tous les horizons, par référence aux exigences d’objectivités de déployer des efforts continus pour poser des stratégies, des approches et des solutions fécondes à ce problème. Toutefois, l’atteinte de cet objectif dépend surtout du changement qu’on doit opérer au niveau de la mentalité des chercheurs, de leurs attitudes, de leur relationnel pour qu’ils forment des équipes solidaires et réellement complémentaires susceptibles de gérer l’interdisciplinarité et de la maîtriser.


Une stratégie méthodologique intégrant l’interdisciplinarité


Historiquement, l’institution universitaire actuelle se veut l’héritage d’une grande tradition intellectuelle fondée sur la recherche de la vérité. La fonction critique de l’université, précisément parce qu’elle est devenue une fonction institutionnelle, suscite, partout dans le monde et particulièrement en Tunisie, des attentes prévues et prévisibles qui risquent de la désamorcer en la transformant en activité fonctionnelle qui contribue avant tout au « bon fonctionnement » de l’institution.

 

Valorisée, machinalement entretenue, changée en automatisme, la critique ne risque-t-elle pas de perdre tout le pouvoir de contestation qui fait son intérêt ? Ne risque-t-elle pas également de se transformer en rituel probablement utile mais qui n’a plus rien à voir avec la recherche de ce qu’on appelle encore, peut-être faute d’autre mot, la vérité ? 

 

En effet, la spécificité de la recherche contemporaine, interpelle les chercheurs scientifiques sur leur situation, leur participation leur contribution, leurs apports et leurs plus-value. Elle interpelle aussi les institutions sur la complexité croissante de la gestion des programmes et des équipes de recherche.

 

La recherche contemporaine n’est elle pas basée sur un renouvellement accéléré des connaissances, des manières de faire, des investissements humaines et matériels toujours plus élevés qui la transforme quantitativement et qualitativement. Le discours des chercheurs s’adresse jusqu’alors d’abord à une communauté institutionnelle où ceux qui parlent et ceux qui écoutent ont en commun des codes discursifs, des normes professionnelles, des références partagées et partageables un bagage théorique commun, ainsi qu’un ensemble d’intérêts liés au métier, à leur profession, voir à leur passion. Aussi est-ce là que les choix de recherche doivent s’imposer comme choix reconnus et valables? Le chercheur ne s’adresse pas à «Monsieur tout-le-monde», il s’adresse à ses pairs. C’est pourquoi il ne peut ne pas parler leur langage, épouser leurs problèmes, partager en synergie avec eux ou avec une partie d’entre eux un horizon commun. En fait même s’il conteste d’une façon ou d’une autre cette communauté, sa contestation doit emprunter le détour de la complicité ou de la solidarité avec au moins une minorité d’autres chercheurs sous peine d’être perçue comme la manifestation d’un individualisme irrecevable.

 

Quelles conséquences de cette situation ? On peut d’abord souligner que les difficultés que posent le dialogue, la communication, l’échange et la collaboration entre chercheurs scientifiques et utilisateurs des résultats de la recherche tiennent en partie de l’ésotérisme du discours universitaire. Il est temps donc de s’inscrire dans l’esprit de la recherche contemporaine, de prêcher le décloisonnement, l’ouverture, le partage. L’isolement, l’individualisme, la centration sur soi et la monopolisation de la prise de décision ne facilite pas l’adaptation de nos structures de recherche, sa flexibilité et son évolution.


Travailler en équipes dont les spécialisations s’entrecoupent, s’influencent mutuellement, se complètent et s’enrichissent ouvre la voie à des approches innovantes en matière d’enseignement et de recherche favorisant l’interdisciplinarité qui s’impose, comme un impératif incontournable et permettant la réalisation de projets qui incluent des approches développements de compétences plurielles, transversales et mobilisatrices fortement réclamées par le marché de l’emploi et d’autre part d’investissement dans le savoir qui constitue un atout majeur pour la croissance économique de notre pays sur la base de l’excellence et la compétitivité.

Par ailleurs, les associations scientifiques déploient des efforts louables se traduisant par un foisonnement d’activités, d’une variabilité thématique et d’un encadrement rapproché des jeunes chercheurs dans leurs projets de recherche, mais les efforts fournis ne corroborent pas l’adéquation entre l’offre et la demande en matière de compétences aux attentes des entreprises.


Que conclure ?


En premier lieu, nous pensons qu’il est nécessaire de laisser ces questions ouvertes afin qu’elles rejoignent ceux ou celles qui se sentent ou se savent concernés par elles. En second lieu, il nous semble évident que la recherche scientifique exige aujourd’hui une approche épistémologique interdisciplinaire et systématique élargie susceptible d’intégrer dans son horizon d’interpellation des disciplines voisines, complétives et explicitatives car le chercheur ne doit plus être isolé, il doit se rendre visible, participatif et produire avec ses pairs, publier, inventer ou découvrir. La recherche est un sujet social, inter relié à une communauté, à une institution. Il doit donc, agir pour son bien et œuvrer pour son développement.

 

Entreprise collective, complexe, la recherche scientifique contemporaine appelle désormais une communication, une collaboration entre les chercheurs et les équipes. Communiquer veut dire mettre en commun, en complémentarité, mais quoi ? Certes les résultats de la recherche mais aussi les réflexions sur les contraintes des chercheurs, leurs attitudes et leurs mentalités.


Samir HAMZA, Ph.D. Biomécanique et Biomatériaux

Enseignant chercheur à l’INSAT de Tunis

 

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4 Commentaires
Les Commentaires
gaha chiha - 07-03-2011 07:23

Belle analyse qui touche à la fois la recherche comme processus; une quête réflexive et opératoire et les conditions de réalisation dans l'Université. J'appuie l'idée de l'auteur que l'interdisciplinarité serait indispensable pour mieux penser, voir et produire autrement. Aujourd'hui, pour favoriser la recherche, l'Université tunisienne doit réviser ses enseignements et surtout permettre le partage, l'esprit critique et le mélange. L'enseignement de la philosophie, des lettres et des sciences humaines en général serait aussi d'un apport certain.

Ben taher - 07-03-2011 13:00

Les choses sont beaucoup plus simples que cette longue et confuse présentation. La recherche scientifique ne peut se concevoir que si elle engendre un ou des bénéfices humains ou financiers concrets. La recherche scientifique faite dans notre pays jusqu'à ce jour a eu pour principal but de faire croire qu'il y a recherche, faire croire aux chercheurs et à leur étudiants qu'ils font de la recherche. En fait la majorité de la recherche actuelle est fictive engloutissant plusieurs millions de DT avec une rentabilité quasi nulle. Une réelle recherche scientifique productive nécessite un établissement préalable des besoins de notre pays en besoins de développement (agriculture, santé, sociologie, culture .....) puis l’établissement d'un appel d'offre auquel répondrait toute personne ou groupe de personnes à qualification attestée et l'exécution du programme de recherche inclurait obligatoirement une rémunération des chercheurs. Notre pays ne peut plus se permettre le simulacre.

Mabrouk - 08-03-2011 08:51

Je cautionne les idées et la stratégie de l’auteur pour la juste orientation que penser en interdisciplinarité s’avère une des solutions adéquates au système tunisien et conduira sans doute vers des résultats en adéquation avec les attentes du secteur. Si nous sommes entrain de vivre aujourd’hui une rêverie en recherche scientifique, ce que les budgets alloués aux structure de recherche sont transformées avec désagrément vers une exploitation inadaptée pour l’achat des équipements sans utilités et financer les agences de voyages en faveur des responsables des structures de recherche. Donc l’argent ne pas un vecteur de la réussite de la recherche, mais juste un moyen qui ne pas forcement essentiel.

MASTOURI - 22-03-2011 13:52

Un excellent article sur la recherche scientifique! Nous avons beaucoup d'estime envers notre professeur à l'INSAT. Nous gardons des beaux souvenirs lors des enseignements en Biomatériaux.

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