Solidarité Tuniso-franco-italienne ou à chacun ses réalités… et ses intérêts…
Il m’est revenu à l’esprit l’heureuse journée qu’avait vécue en ces années 80, la ville de Mazzara dell vallo en Sicile, lorsque plus de vingt chalutiers italiens regagnèrent l’Italie après un arraisonnement en Tunisie de plusieurs mois pour activités illégales de pêche dans les eaux tunisiennes. La libération de ces chalutiers, qui n'était assortie d’aucune amende ou saisie à l’encontre des armateurs ou des capitaines italiens était avant tout l'expression d'un geste éminemment politique.
Le principal artisan de cet accord du côté tunisien était M. Béji Caid Essebsi, alors Ministre des Affaires Etrangères. Dans un élan de relance de la coopération tuniso- italienne, Iil convenait avec son homologue italien, M. Renato Colombo de transcender les intérêts à court de terme au profit de relations de bon voisinage,d’amitié et de coopération mutuellement profitables alors même que les deux pays connaissaient des problèmes de politique intérieure non négligeables !
Cet épisode me propulsa au fond des remous que suscitèrent ces dernières semaines les mouvements migratoires des côtes sud méditerranéennes vers l’île de Lampedusa où une majorité de tunisiens étaient accueillie certes dans des conditions visiblement critiques mais par une large majorité de la population avec une certaine solidarité…
Convenons que la petite île italienne avait ses contraintes mais la grande affluence qui résultait d’une conjoncture humanitaire à caractère Régional suite à la révolution en Tunisie et aux soulèvements populaires en Libye et qui devrait être normalement perçue et comprise comme faits exceptionnels - non dirigés contre quiconque - devrait être traitée dans un esprit de solidarité et d’entraide par les pays voisins de la rive nord méditerranéenne que seule la profonde croyance en une coopération internationale pouvait engager.
La Tunisie qui a eu à faire face et continue à l'afflux de milliers de réfugiés et de blessés sur son territoire, s’est mobilisée spontanément comme elle l’a fait parce qu’Elle a toujours cru à la solidarité et à la coopération internationale particulièrement dans le cadre du Système des Nations Unies et cela sans attendre le déclenchement apprécié des aides bilatérales et multilatérales.
Alors même que les tunisiens constituaient l’essentiel des migrants à Lampedusa , il ne devrait échapper à personne que de probables incitations au départ résulteraient de calculs extérieurs à la volonté tunisienne tendant à amplifier les problèmes locaux que la Tunisie s’efforçait avec toutes ses composantes à maîtriser - certes avec le concours des organismes onusiens spécialisés et des pays amis – qu’émergea ce fameux accord tuniso – italien de délivrance par les Autorités italiennes de 22000 permis de séjours temporaires aux tunisiens leur donnant des perspectives assorties en fin de parcours par cette grande concession de solidarité que la Tunisie avait acceptée le principe de la reconduite….
Solidarité, calculs politiques ou avenir commun différencié vivement recherché se seraient ainsi croisés autour de la solution de la question d’immigration que le Secrétaire Général de l’ONU considérait devant le Parlement Européen comme « la santé du continent européen. »
Si tout un chacun avait saisi que les tenants et aboutissants de cette acceptation par la Partie Italienne étaient entre autre motivés par des considérations de politique intérieure qu’imposaient d’ailleurs des courants reconnus pour leur position xénophobe à l’égard de tous les problèmes d’immigration, cela n’a pas empêché la Tunisie de faire un geste hautement significatif en direction non seulement de l’Italie voisine mais de la Politique que l’Union Européenne proclamait depuis quelques semaines. D’ailleurs, la dernière illustration émanait du Président de la Commission Monsieur BARROSO à l’occasion de sa récente visite à Tunis et pour lequel la Tunisie devra être « l’exemple premier de la nouvelle génération de notre partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée »
Le Geste tunisien n’a pas été perçu de la même façon à Paris et à Rome qui n’ont pas manqué de s’échanger des déclarations tout à fait en marge de l’importance stratégique qu’auraient dictées les circonstances et les perspectives de l’émergence d’un Partenariat que ne cessent d’appeler de leurs vœux des dirigeants européens emballés par ce courant de vague démocratique en Afrique du Nord et au Moyen Orient, courant qu’ils considéraient comme une opportunité historique pour les rapports euroméditérranéens en particulier et pour la stabilité de la Région en général.
Que les politiques intérieures s’y mêlent de telle question, cela aurait été compréhensible dans le contexte antérieur aux bouleversements déjà survenus et à venir dans la Région mais que les orientations et déclarations officielles se démarquent de la réalité en s’exerçant à rechercher des subtilités juridiques pour revenir à la case départ, se pose véritablement un problème politique lié à la Nature de la Solidarité que l’Union Européenne préparerait et voudrait instaurer avec ces futurs partenaires auxquels Elle annonce et promet à grand fracas des traitements innovants,substantiels,expression d’une coopération soucieuse du développement, du respect des droits de l’homme et de la bonne Gouvernance.
Est venu le temps de s’interroger sur la nature véritable de ses relations de bon voisinage et de prospérité partagée européennes que l’on entend fuser de toutes parts pour que ces pays de la rive sud de la Méditerranée en particulier s’interrogent à leur tour sur leur approche de Solidarité Stratégique que ni les faits ni les prémisses d’un avenir autrement démocratique ne laissent présager…
Que la visite annoncée pour les prochains jours à Tunis du ministère des affaires étrangères puisse consacrer cette solidarité véritablement recherchée de part et d’autre ou confirmer – ce que personne ne souhaite - ce qu’on a vécu longtemps comme un corollaire de la légitime protection d’ intérêts dans leur acception classique à savoir…..à chacun ses réalités… à chacun ses intérêts…. !
Salem FOURATI
Ambassadeur de Tunisie à la retraite
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Merci Si Salem pour cette analyse fine de la politique ambiguë de nos voisins du nord sur cette question cruciale de la migration et pour cet appel plein de sagesse à transcender les égoïsmes étroits et à faire preuve de solidarité seule à même de faire prévaloir les intérêts à long terme des deux parties. Car en effet, nos voisins du Nord ont tout à gagner à ce que la Révolution réussisse dans notre pays. Son échec, la kaddara Allah, signifierait des flux incontrôlables et incompressibles de migrants vers leurs côtes et l'installation durable de l'anarchie et du terrorisme à leurs portes sud. Et c'est maintenant ou jamais qu'ils doivent faire preuve de solidarité, en encourageant notamment les investissements, surtout dans les régions déshéritées de notre pays, de quoi retenir chez eux les éventuels candidats à la "harga". A bon entendeur salut!