Révolution tunisienne : Où en est-on?
Sur le plan métrique, 147 jours après la révolution et à 137 jours des élections de l'assemblée constituante, il s'en est passé et s'en passera sûrement des choses au cours de cette période de l'histoire contemporaine de ce cher pays. Des choses ou le vrai et le faux, la grandeur et la décadence, l'excellence et la médiocrité, la sincérité et la fourberie, le doux rêve et l'âpre réalité ce sont étroitement mêlés et se mêleront encore. Il n'est certes pas le moment pour faire des bilans mais il est utile de faire le point et de s'arrêter sur l'audit révolutionnaire permanent que les tunisiens sont en train de pratiquer chacun à sa manière, chacun selon ses convictions et ses aspirations personnelle et collective.
On en est aussi et surtout à se poser des QUESTIONS, beaucoup de questions légitimes et bien fondées mais aussi graves et vitales pour l’avenir de la Tunisie et des Tunisiens.
Où en est-on dans le domaine politique ? A ce niveau, on est passé d'un état de privation chronique à un état d'excès avec le risque inhérent de la difficulté de gestion de l'abondance. A ce jour nous comptons plus de quatre vingt dix partis politiques, phénomène postrévolutionnaire normal nous disent les spécialistes des révolutions, ceci n'empêche pas de penser que ce phénomène ne peut pas être politiquement productif dans le sens positif. Cela peut aussi témoigner du fait que la capacité de dialoguer et de s'organiser efficacement n'est pas encore bien entré dans les mœurs mais on ne peut pas blâmer les Tunisiens pour cela. Il ne faut pas perdre de vue que pendant plusieurs décennies on a activement développé chez eux la méfiance et le doute. Cette fraiche volonté de s'impliquer dans l'exercice politique organisé est louable mais elle pose le problème épineux de la transparence du financement des partis qui est un peu le talon d'Achille même des démocraties bien établies. Le problème devient encore plus aiguë quand on se retrouve dans la situation postrévolutionnaire de la Tunisie où les institutions sont provisoires et souffrent d'un manque de légitimité. La question qu'on se pose est : qui va contrôler le financement des partis et comment se fera ce contrôle? Il faut rapidement pallier l'insuffisance juridique pour être à même de s'acquitter le plus tôt possible et au mieux de cette tâche vitale pour notre révolution et notre démocratie naissante. Je dis cela parce que contrairement à l'art, la littérature ou la science, en politique le mécénat n'est jamais désintéressé. En politique, les mécènes sont plus des commanditaires que des bienfaiteurs. S'ils payent c'est uniquement dans la perspective d'un bon retour sur investissement. Les payeurs peuvent même aller jusqu'à tenir les partis politiques en otage de leurs idéologies et de leurs intérêts. Selon les observateurs, en Egypte une manne financière pour les partis politiques semble venir de l'Iran qui s'active à tirer profit de la nouvelle donne politique qui se dessine dans les pays arabes. En Tunisie des rumeurs similaires ont circulé et la vigilance doit être de rigueur pour éviter toute incursion idéologique extérieure ou influence partisane intérieure, dans la gestion future de notre pays à travers le financement illicite des partis politiques. Rappelons-nous la règle d'or qui s'est dégagée dans les années 70 après le scandale politique qui a causé la démission du président américain du moment Richard Nixon, après l'affaire de Watergate: "Il faut toujours suivre l'argent".
Un autre constat fait par les Tunisiens est que nos politiciens chevronnés [les vieux et les moins vieux, la majorité et même l'opposition d'hier] ne sont pas habitués à ce que la politique se pratique sur la place publique et ils découvrent consternés la contestation et la contradiction publique; d’où les reflexes malsains de manœuvres florentines aiguisés pendant plus de 50 années d'autoritarisme qui sont toujours de mise, faisant craindre un retour de la dictature sous un nouveau visage. Quant aux jeunes révolutionnaires et aux silencieux [je ne peux pas dire la majorité silencieuse parce qu'il semble que cela n'est plus vrai], ils découvrent la partie cachée de l'iceberg: le cynisme ainsi que les affaires de la politique et la politique des affaires [affaires Seriati, Rajhi, Letaief, Miled et j'en passe et des meilleures]. De l'observation et de l'analyse de ces événements politiques par les Tunisiens, une question gênante a vu le jour: Ya t-il vraiment un gouvernement de l'ombre? Même s'il existe des présomptions en faveur de cette hypothèse, la réponse définitive reste en suspens faute de preuves convaincantes. Il y aurait de quoi perdre son latin et aussi la "face". Mais heureusement pas "facebook", le ou les gouvernement(s) du peuple, cyber gouvernement(s) bien au soleil [quoique parfois il ne brille pas]; avec quelques leaders encore anonymes, au charisme indéfini et surtout beaucoup, beaucoup de bonne volonté.
Où en est-on sur le plan économique et social ? Sur ce plan on navigue dans plusieurs courants ; Il y a celui du réalisme et pragmatisme technocrate [Notre économie a perdu 5 milliards de dollars, nous avons plus de 700,000 chômeurs, Il faut à tout prix redresser l'économie et rapidement sinon c'est la faillite de la révolution]. Il y a le courant du conservatisme et de l'immobilisme voire de l'action contre révolutionnaire [je ne commenterai pas ce courant, il me répugne]. Il y a aussi les courants islamophiles et islamophobes [qu'il faut amener à débattre du comment ils peuvent enrichir de leurs convictions les intérêts nationaux et du danger d'essayer d'imposer une quelconque façon de voir en bloc, dans un pays aussi pluriel que la Tunisie]. Enfin, nous avons le courant révolutionnaire avec ses rêves légitimes de tout changer [C'est grâce à ce courant que la Tunisie est sorti des ténèbres. Au nom de la légitimité, du devoir de reconnaissance et de la démocratie, c'est ce courant qu'on doit écouter et avec lequel les autres courants doivent instaurer un dialogue constructif pour œuvrer au développement d'un consensus autour du modèle socio-économique le plus adapté possible aux ressources naturelles et humaines ainsi qu'aux réalités historiques et culturelles de notre pays et non pas un quelconque modèle utopique et démagogique qui nous mettrait en marge des sociétés contemporaines]
La pluralité de la Tunisie s'est même enrichie, à l'occasion de la tenue récemment de la réunion du G 8 à Deauville en France, par l'apparition de l'action altermondialiste qui est en passe de devenir un mouvement, sans oublier les minorités de tout bord qui expriment d'autres points de vue, y compris des points de vue fantaisistes.
Alors, la question qu'on se pose entre craintes et espoirs c'est : Est-il possible de faire émerger de cette immense pluralité une Tunisie unie, sereine et efficace, ancrée dans ses traditions et dans des valeurs démocratiques tout en étant tournée vers le modernisme?
Où en est-on sur le plan de la sécuritaire? Depuis le pic des répressions policières du mois de janvier 2011 et de l'assassinat par des snipers de citoyens tunisiens il n'y a eu que des dérives, beaucoup de dérives, et encore des dérives. Un régime policier soigneusement mis en place et habitué à réprimer en toute impunité pendant des décennies ne peut pas disparaître de sitôt. Bien que s'étant améliorée, la sécurité demeure bien fragile. Depuis la molestation de quelques journalistes jusqu'aux événements de Metlaoui en passant par l'affaire du jeune homme qui affirme avoir été violé dans l’enceinte de ministere de l’intérieur ainsi que de la criminalité rampante; il est clair que l'état est encore profondément marqué par le régime policier et que la sécurité est bien influencée par les agents les plus zélés de l'ancien régime. Et il ne peut pas en être autrement jusqu'à que ce que cet appareil soit réellement assaini, que les coupables soient écartés et jugés et que le pays se dote d'un système de sécurité responsable et libéré de tout réflexes mafieux.
La question qui se pose à ce sujet est de savoir si on doit sacrifier la justice au nom de la sécurité. Autrement dit doit-on laisser les criminels d'hier être responsable de notre sécurité d'aujourd'hui et nous la monnayer?
Par ailleurs et dans ce dossier sécuritaire, la saisie de drogue et d'énormes sommes d'argent liquide dans la résidence de Ben Ali, le passé de narcotrafiquant notoire du frère décédé de l'ex président, la condamnation pour consommation de drogue de membres de la famille en plus de la saisie quasi journalière de quantités de drogue par les agents de la sécurité à travers le pays depuis quelques temps, suggère fortement l'implication du clan Ben Ali dans le trafic de drogue; surtout que rien, absolument rien n'a été épargné par ces vautours à qui rien n'échappait. Noriega aurait ainsi fait des émules. Ici se pose des questions graves mais malheureusement encore soigneusement éludés. Est-ce que les Ben Ali ont fait de la Tunisie une plaque tournante du trafic de drogue? Est-ce que les narcotrafiquants ont prospéré et continuent à le faire dans notre pays? Il est primordial de mettre tout les moyens pour rompre définitivement avec le fléau du commerce de stupéfiants si on veut espérer donner un avenir prospère à nos enfants. Va-t-on pouvoir juger comme il se doit le clan Ben Ali pour toute la panoplie de ses crimes? Telle est la question que se posent les Tunisiens, c'est aussi une de leurs revendications majeures.
Où en est-on de la constituante, des élections et de la loi électorale ? Sans revenir sur la polémique à propos de la date des élections, beaucoup sont encore à se demander si la voie choisie pour ériger la deuxième république est bien la bonne et les arguments avancés méritaient qu'on prenne le temps nécessaires pour les discuter. Ceci n'a malheureusement pas été fait. Alors que le choix de la voie d'une assemblée constituante semble définitif, pour beaucoup de gens pour ne pas dire la majorité, la période charnière d'après la constituante demeure floue dans sa durée et dans son fonctionnement. Il nous faut impérativement une feuille de route claire pour les dix à venir au moins. Par ailleurs certains spécialistes nous disent que la loi électorale décrétée est biaisée et quelle favoriserait les supposés grands partis par rapport aux petits [rien n'empêche les petits de s'unir pour inverser la donne si l'ego politique le permet]. De plus on n'a pas assisté, du moins pas jusqu'à maintenant à une dénonciation active de cette loi de la part des premiers concernés que sont les partis politiques. Est-ce que certains de nos spécialistes se trompent? Ou est-ce du à une mauvaise lecture de cette loi par les partis politiques de la place ? A moins qu'on réserve la contestation à l'après-élections pour ceux qui auront perdu bien sûr.
Enfin, on pourrait argumenter qu'il est plus facile de poser des questions que d'y répondre. Cependant, il est tout aussi important de poser les bonnes questions; parce que ce sont les bonnes questions qui suscitent les bonnes réponses. Et ce sont les bonnes réponses qui sont les meilleures voies pour arriver aux solutions qui remportent la plus grande adhésion. De ce fait, c'est ce processus qui nous fera gagner un temps précieux, de l'énergie et des ressources et qui nous permettra de bénéficier de notre grande pluralité pour bien progresser dans la construction de la nouvelle démocratie tunisienne.
Dahmani Fathallah
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pour les dix ....?????...........à venir au moins. jours, semaines, mois annees, siecles ?