Rap avec Mladic
Ratko Mladic est ce général serbe de sinistre mémoire qui a conduit l’épuration ethnique en Bosnie, en vue de tailler le pays en pièces et d’en annexer la plus grande partie à la Serbie. Au nombre de ses titres de gloire, il y a eu le long siège de Sarajevo, au cours duquel ses snipers ont semé la terreur dans la ville pour obliger ses habitants musulmans à la quitter. Et surtout le massacre de Srebrenica en 1995. Des milliers de musulmans avaient été soigneusement regroupés, filmés et interviewés pendant que Mladic leur distribuait des chocolats, avant que 8100 d’entre eux – des hommes et de jeunes garçons – ne soient froidement abattus et jetés dans des fosses communes. Mladic y a gagné son surnom de boucher des Balkans.
Seize ans après le massacre, le boucher est arrivé à La Haye pour y répondre de ses crimes. De ses crimes de guerre, nous dit-on. Mais cette «guerre» ne l’a jamais opposé, il faut le souligner, qu’à des civils sans armes. C’était plus prudent en effet, la suite ayant prouvé que le général était beaucoup moins brillant face à une armée, celle de l’OTAN en l’occurrence. Pour les extrémistes serbes, le boucher des Balkans n’en reste pas moins un saint : «C’était le sauveur des Serbes. S’il n’avait pas été là, nous n’existerions plus aujourd’hui». Lui-même se présente volontiers comme le bouclier de son peuple, le protecteur de l’identité serbe menacée par les «hordes islamiques» qui auraient envahi la région… en 1465 ! Identité: voilà le mot lâché, qui justifie toutes les exactions, tous les crimes.
Plus près de nous, un autre «général», un rappeur celui-là, a récemment témoigné sur nos écrans de sa sympathie envers son collègue «Psyco M». Lequel ne proposait ni plus ni moins que d’en finir avec Nouri Bouzid à la kalachnikov. Selon «El Général», cette pulsion meurtrière répondait à la menace que le cinéaste ferait peser sur l’identité culturelle arabo-islamique de notre pays. Venant de chanteurs de rap, ce genre musical né dans le ghetto noir américain et qui constitue – comme chacun sait – l’essence de notre identité culturelle, l’accusation pourrait ne prêter qu’à sourire. Si elle n’était assortie d’un appel au meurtre. Et même s’il est peu probable que celui-ci soit suivi d’effet, «El Général» n’étant pas – contrairement à son collègue des Balkans – à la tête d’une armée, un appel au meurtre reste un appel au meurtre. Et un crime punissable par la loi dans tout pays démocratique qui se respecte.
Mais nos deux «généraux» ont précisément en commun leur ignorance des règles de la démocratie. Ils sont nés et ont grandi sous des dictatures, où les différends se règlent par la violence. Des dictatures qui, en pourchassant toute expression libre, ont fini par en légitimer les plus inacceptables. Et à faire accroire que la loi de la jungle serait la démocratie, puisqu’elle est contraire à la contrainte.
Il aura fallu vingt ans à la Serbie pour qu’elle s’en sorte, et tourne la page noire écrite par ses mauvais génies. Ses politiciens, Milosevic et Karadzic notamment, qui ont substitué à la dictature communiste leur propre dictature nationaliste, chauvine et raciste. Et ses militaires, Mladic et consorts, qui ont transformé l’armée yougoslave de Tito et des partisans anti-nazis en armée criminelle d’épuration ethnique. Vingt ans – et une guerre perdue – pour reconnaître enfin tous ses citoyens, quelles que soient leurs religions et leurs opinions, pour punir le crime quels qu’en soient les auteurs et les victimes. En un mot, il lui aura fallu vingt ans pour rejoindre le concert des nations civilisées. Saurons-nous faire mieux? S’il n’y avait qu’un enjeu au scrutin du 23 octobre, ce serait celui-là.
Mohamed Jaoua
Universitaire
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