De l'identité tunisienne
Mais qui sommes-nous culturellement parlant ?
D’abord nous sommes à deux mois des élections de la Constituante dans une période de transition qui a du mal à calmer les esprits. Le consensus nécessaire se fait attendre pour que la stabilité et la sécurité du pays s’instaurent afin de redémarrer l’économie et parvenir au développement durable. Une effervescence dans les débats opposant islamistes et démocrates, fanatiques et laïcs, ce qui bafoue les Tunisiens de l’intérieur comme de l’extérieur. La parole libérée se déchaîne, les surenchères montent au plafond de l’indécence, les innombrables partis politiques se jugulent dans une course effrénée au pouvoir ! Oh ce Kursi tant envié, cette chaise que tout un chacun veut occuper ! Même par ceux et celles qui ne sont ni préparés, ni équipés pour mener à bien les objectifs de la «Révolution du jasmin », à savoir une démocratie participative qui devrait nous faire honneur.
Dans ce brouhaha infernal, les oppositions d’idées sont salutaires si elles ne tournent pas à l’imposition de ses propres pensées dogmatiques sur l’ensemble des prétendants. En réalité, les partisans du régime dictatorial sont sortis par la porte ! D’autres aussi passéistes et rétrogrades insistent pour rentrer par la fenêtre ! Ici je ne me réfère pas seulement aux anciens membres du RCD, mais à tous ceux qui tiennent coûte que coûte à parvenir à des postes de pouvoir sans jamais penser à le lâcher un jour !
L’impatience fait rage et personne ne peut deviner sa résolution !
En suivant de près les programmes politiques des partis, les tenants et les aboutissants des débats, je remarque que dans cette profusion cacophonique de positionnements, personne ne semble parler, ni se pencher sur la dimension culturelle de notre pays. Et pourtant, la Tunisie possède un héritage culturel des plus prestigieux du monde. Sinon le plus prestigieux ! Notre culture est souvent délaissée pour l’adoption d’une culture extérieure. Tape-à-l’oeil qui ne correspond pas toujours à nos valeurs ! Je n’oublierai jamais mon jeune frère qui tenait à acheter « Halwat el Kharej », alors que nous produisons d’excellents bonbons chez nous ! L’étranger est toujours surévalué par rapport au national. Et ceci est un de nos talons d’Achille !
Qui sait que l’Ifriqiya, notre Tunisie actuelle, a donné son nom à tout le continent ? Que le fossé de Scipion marquait le lieu de démarcation entre l’Afrique nouvelle au sud et l’Afrique ancienne au nord de Thyna, à onze kilomètres de Sfax ? Que Carthage et les Carthaginois régnaient sur la Méditerranée deux cents ans avant la fondation de Rome ? Bien sûr, the happy few ! Et nous n’en manquons pas ! Dieu merci !
On peut nous rétorquer : A quoi sert cette connaissance au commun des mortels ? Peut-être à pas grand-chose ! Mais quand on sait que notre terre a accueilli différentes races, religions, croyances, coutumes… alors on saura qu’il faut cultiver la tolérance envers la diversité pour vivre ensemble dans la paix et la prospérité. Le différent n’est pas rejeté ; il fait partie de nous !
Beaucoup de personnes pensent que la culture est l’apanage des riches, un vernis produit et apprécié uniquement des artistes et des intellectuels. Et l’on bascule de ladite haute culture des arts et des lettres à la culture populaire, l’artisanat… Pour cette raison, j’ai créé le mot-concept de Créaculture car l’interaction de l’homme / femme et son milieu sont à la source d’une perpétuelle création de valeurs culturelles vivantes assumées par toute la nation ! Ainsi l’être humain façonne son milieu comme son milieu le façonne. Vue sous cet angle, nous sommes tous créateurs de culture dont la spécificité est fonction du pays (de l’espace ?) où nous vivons. Le Tunisien est différent de l’Algérien, celui-ci du Marocain même si nous avons tous une base commune qui est le Maghreb dont les valeurs sont distinctes du Machrek… Encore une fois, même si nous avons des affinités avec cette région du monde. De nation en nation, aux frontières dites naturelles et qui sont en réalité tracées par des hommes, nous nous acheminons vers les valeurs universelles. J’avoue que je n’aime pas beaucoup le télescopage abstrait de l’universalité. Je préfère mettre l’accent sur la spécificité qui dialogue avec la différence en empruntant les chemins ardus de l’humanisme.
Quelle est alors l’identité tunisienne ? Ou qu’est-ce qui fait de nous des Tunisiens ?
L’Identité est une notion très complexe contenant tellement d’ingrédients agglomérés qu’on ne peut les séparer ! Ses éléments tirent leurs composantes de tellement de domaines: l’anthropologie, l’histoire, la géographie, les coutumes, les mentalités, la religion, la linguistique, le droit, les sciences naturelles, politiques, humaines… Tous ces facteurs sont sous l’égide de la conscience individuelle et de l’inconscient collectif. Ce tout confère des traits caractéristiques à la population d’une nation. Les savants se sont penchés pour la définir sans jamais épuiser ses strates significatives.
Pour ma part, je donnerai quelques exemples concrets qui révèlent notre façon de penser et d’agir en tant que Tunisiens. Et ceci en toute modestie !
Commençons d’abord par des généralités. Nous nous inscrivons dans les valeurs de l’Afrique et de la Méditerranée, rive sud. Et notre sol a été peuplé par tant de civilisations : berbère, phénicienne, wisigoth, turque, arabe (celle qui prévaut aujourd’hui), française… pour ne nommer que quelques- unes. Elles se globalisent en ce que nous appelons aujourd’hui la civilisation arabo-musulmane. Et en Islam, nous appartenons à la branche sunnite. Mais l’on ne doit pas oublier que nous avons vécu avec des Juifs et des Chrétiens qui ont laissé leur marque sur le pays. En somme, ce sont des couches superposées de valeurs si contrastées et si différenciées qui constituent notre identité. Depuis un demi-siècle, je vis à l’étranger, mais je rentre au pays une fois par an pour y passer un mois ou plus. A chaque fois, je constate des changements significatifs tels que le port du voile en augmentation dans la rue et dans les familles ! Il reste cependant des acquis qui perdurent: l’éducation prévalente de presque la totalité de la population, le statut privilégié de la femme. Ainsi, la Tunisie reflète un haut degré d’instruction et une condition féminine des plus progressistes grâce aux théories fondatrices de Tahar Haddad et leurs applications par Bourguiba. Ces deux atouts font notre force aussi bien chez nous qu’à travers le monde.
On me dit que je reviens au pays pour me ressourcer. Non! Je porte en moi ma tunisianité partout où je vais! Celle-ci contient en premier lieu ma sfaxitude. La ville où je suis né et ma façon d’être, de parler et d’agir. Des spécificités imbriquées. Imaginez mon bonheur quand un baigneur m’entendant parler à Sousse m’a dit « Inti Sfaxi ! » (Toi, tu es Sfaxien !). De même, en visitant la Ghriba à Djerba et sans dire un mot, un rabbin assis sur une hsira (natte) pointe son doigt sur moi et me dit : «Inti Sfaxi ! ». Étonné, je lui demande comment il a deviné mon origine. Il a répondu simplement : « Je sais ». J’ai discuté un peu avec lui et voici le dialogue :
• Kaddesh andik Sghars ? (Combien as-tu d’enfants ?)
• Ma nish M’aariss… Ana ‘Aazeb ! (Je ne suis pas marié, je suis célibataire !)
• Khoudh M’ra, ma Khoudh min tinek ! (Prends une femme, mais prends-la de ton argile !)
Ces allusions aux enfants, au mariage et au Tine, cette argile première qui nous définit, sont des marqueurs de notre façon de voir le monde et de nous comporter. Ceux-ci contiennent tellement de composantes identitaires qui s’entrecroisent et se complètent pour signaler des caractéristiques précises. Ajoutons que ce conseil ne vient pas seulement de lui, mais des ancêtres de nos ancêtres. Il y a souvent des gestes qui nous définissentss: tel ce jeune homme qui nous offre de partager son casse-croûte avant de l’entamer, en s’asseyant à côté de moi et d’une autre personne sur un banc public à Sousse. Une fois remercié, il mange seul en paix. Ce geste simple prouve la générosité, l’hospitalité, la convivialité du Tunisien. Car ici au moment du repas, l’inconnu partage ce qu’il mange avec un autre inconnu !
Quand on pense que nous n’avons pas eu notre indépendance d’un seul coup! Attelé à la tâche, Bourguiba l’a diplomatiquement obtenue étape par étape. Ce qui prouve l’approche tunisienne de la patience et de la détermination à atteindre le succès par paliers ! Malheureusement, aujourd’hui on s’entête à vouloir tout et tout de suite ! L’identité n’est jamais fixée, ni ne pourrait être captée globalement d’un seul trait. Elle se révèle par petits gestes, petites réactions qui font aboutir aux généralités égrainées sur un peuple donné. A chaque fois que je me présentais comme Tunisien, on se met à faire l’éloge de ce peuple bien éduqué, hospitalier, aimant la douceur de vivre et refusant l’extrémisme et la violence. Et c’est toujours la condition de la femme et ses avantages qui sont mises à l’avant. Mais cette image flatteuse ne devrait pas nous induire en erreur. Nous avons sans aucun doute des défauts. Et ce sont leurs excès qui ont poussé le peuple à se révolter !
Lorsque notre pays a été exploité d’une façon éhontée, humilié par un régime dictatorial et une mafia sans loi, ni foi, il a su paisiblement relever la tête et satisfaire sa soif de liberté, dignité, justice… En un mot, faire entendre sa voix au monde entier ! Donnons donc le temps au temps de la transition d’accomplir sa tâche dans la transparence et la sérénité pour redonner à notre chère Tunisie l’image radieuse et pacifique qui a fait notre réputation. Et penser et agir toujours en fonction de l’intérêt du pays et des Tunisiens au lieu de la glorification de telle ou telle personne, fut-elle président de la République !
H. B.
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Toujours égal à lui même SI Bouraoui.Il ne désespère jamais de l'homme pourtant source de malheur et ...de bonheur de son semblable. Et avons nous d'autres choix ? Hélas, tous les Tunisiens n'ont pas puisé à la même source de ce que vous appelez " créaculture". Et que reste t il d'ailleurs des civilisations qui se sont succédé sur cette terre ? Tout retour à l'identitaire serait potentiellement porteur de tension et de malentendus . Pour tout "a- créculturique " , la Tunisie , celle que l'on porte ne se découvre , qu' chaque fois qu'il se trouve sous d'autres cieux. Je présume que la Tunisie de nos jours baigne culturellement dans un paradoxe mal vécu entre l’homogénéité et l’hétérogénéité .Nous sommes trop orientaux pour assumer la modernité et prou occidentaux pour accepter l'orientalité. Transition? Plutôt une originalité qu 'il importe d'assumer dans la subtilité de la nuance( ..) .Un exercice périlleux, s'il en est , tant est si bien que la véritable hantise viendrait du déficit de la tolérance .Il n'est pas toujours garanti que celui dont on accepte les défauts puisse automatiquement admettre ce que l'autre identifie à une qualité.Enfin , je ne cache pas la perplexité vis à vis de ces" islamistes politiques" qui se réveillent - comme par miracle - démocrates après avoir des lustres durant décrié et apostasié la démocratie ! Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis , dit on...Mais un imbécile qui fait de la politique , c'est la bêtise au pouvoir.Et bonjour les dégâts...
un article somme toute décousu , déjà le rabbin djerbien n'aurait pas dit inti mais enta , si on parle d'identité, merci de respecter les accents. en revanche, merci d'éviter d'opposer islamiste à démocrate
Analyse intéressante de la culture et l'identité tunisiennes avec quelques remarques et re commandations discrètes concernant la situation politique actuelle du pays, avec un ton modéré et poli pour prévenir des dangers qui menacent les acquis de la "Révolution du Jasmin".
Félicitations à Hédi Baraoui pour cette excellente analyse, que je partage totalement. Puisse la Tunisie conserver sa spécificité et assumer toutes les strates historiques et culturelles qui ont produit sont identité.
Une bonne présentation de ce que nous sommes: une unité plurielle. J'aurais préféré qu'il souligne davantage la Méditerranéité de la Tunisie. La Tunisie est bien plus qu'arabo-musulmane sans nier que la composante arabo-musulmane est la dominante.L'apport de nos ancêtres, les Berbères, à la romanité est prestigieux.
Quelle merveille que ce texte de Hedi Bouraoui qui reflète si bien la profondeur des strates qui ont fait la Tunisie en plus de 3000 ans(qui dit mieux?). La majorité d'entre nous (du moins je l'espère) aimeraient entendre plus des voix comme celles de Si Hedi . Moi aussi binational ,issu d'une minorité religieuse tunisienne, je suis choqué par le comportement des salafistes qui n'existaient pas dans notre pays de douceur et qui ont adopté des moeurs de "jahilia" en cours tout particulièrement au Pakistan. Attention, si l'on n'y prend garde, on risquera de retomber dans une autre forme de dictature (après s'être débarrassés de celle de ZABA), pour laquelle la démocratie est un moyen pour prendre(et garder) le pouvoir. Votons pour la liberté et la modernité quel que soit le parti s'il est 100% pour une vrai démocratie-Voyez comme il est difficile aux pauvres Palestiniens de Gaza de se débarrasser de la manipulation tyrannique du Hamas). Hitler aussi a été élu démocratiquement, mais après...Alors votons surtout pour la Liberté, L'Egalité et la Fraternité- Je sais ce sont des valeurs françaises mais ce sont d'abord des valeurs révolutionnaires et universelles.Liberté, Liberté, Liberté !!!
Je reconnais bien là, dans ce plaidoyer pour ce pays qu'il aime et représente si bien, Hédi, le sage, l'universitairee, le philosophe écrivain et poète. Puis-je dire mon ami Hédi ? Je ,ne mérite pas cette appellation: nous nous sommes trop peu vus et il est infiniment plus savant que moi. Pourtant je sais qu' il ne m'en voudra pas, car il est encore plus simple que savant. Hédi est un homme qui se revendique avec raison comme universel. Il est à la fois tunisien, canadien, français (et même breton par ses relations avec notre pays; plus encore: frère de tous les hommes.Tous ceux qui essaient d'être dignes de ce nom d'homme.
NOUS SOMMES DES BERBÈRES AVANT D ÊTRE DES ARABES ET JE MAINTIENS L ISLAM ET LA DÉMOCRATIE : DUR DUR !