News - 11.10.2011

Yadh Ben Achour : Comment un apolitique réussit en politique

Qui le donnait gagnant ? Intellectuel, concentré sur ses recherches, son enseignement et ses publications, jaloux de son indépendance et gardant une grande distance à l’égard du grenouillage politique, le Pr Yadh Ben Achour, 66 ans, porté en tant qu’expert constitutionnaliste à la présidence de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, a fini par bien s’en sortir ! Paradoxalement, un apolitique démontre qu’on peut réussir en politique, à condition de rester toujours apolitique et de renoncer à toute ambition.
 
Lorsqu’on se rappelle dans quelles conditions il avait été désigné en janvier 2011 à la tête d’une commission qui s’est convertie en Haute Instance, comment cette Instance a pris forme, connu ses premières grandes tensions, dès sa réunion le 17 mars 2011 au siège de l’ancien Conseil économique et social, avenue Mohamed V, avant d’élire domicile au flamboyant palais de l’ex-Chambre des conseillers au Bardo et vécu depuis lors tous ces moments forts, on ne peut que réaliser l’ampleur de la tâche accomplie. Sans s’appuyer sur aucune légitimité, autre que celle de la volonté d’un consensus qui a été en fait toujours fragile et toujours fragilisé. Sans s’adosser à un règlement intérieur, adopté et reconnu.

Et pourtant, cette assemblée de représentants de partis et surtout de la société civile, des régions et des jeunes de la révolution, donnée au départ impossible à faire converger vers un consensus à minima, a fini par accomplir sa mission fondamentale, à savoir l’adoption de la loi électorale. D’autres textes en prime, certes, mais la frustration de n’avoir pas pu prendre en charge les questions économiques et sociales, non moins déterminante. S’apprêtant à passer la main à l’assemblée nationale constituante qui sera élue le 23 octobre, le Pr Yadh Ben Achour a accepté de se livrer aux questions de Leaders : quels sont les moments forts vécus, les frustrations ressenties, les peurs éprouvées, le mode opératoire adopté et, inévitablement, la grande question : que fera-t-il après le 23 octobre ? Réponse.

«L’émotion la plus forte que j’ai ressentie, c’est sans doute au moment où la Haute Instance a voté le lundi 11 avril 2011 le texte sur la loi électorale. Ce fut une grande émotion pour nous tous. Nous l’avons adoptée sur une procédure de vote, avec des voix pour et d’autres contre, mais, tous, avons entonné l’hymne national. C’est pour moi le plus beau souvenir de ces derniers mois. L’autre grand moment, c’est le sentiment de fierté modeste que j’ai éprouvé lorsque nous avons pu rétablir le consensus entre les 12 partis (ndlr: finalement 11 signataires) représentés au sein de la Haute Instance, après toutes les crises vécues.

Des frustrations? Des regrets ?

Surtout ceux du temps qui nous a beaucoup manqué. Nous avons toujours travaillé dans l’urgence, sous la pression, sans avoir pu adopter un règlement intérieur. C’est d’ailleurs un miracle que la Haute Instance ait pu travailler et réaliser tout cela sans s’adosser à un règlement intérieur, ce qui ne s’est jamais vu auparavant de par le monde. Nous étions en situation de mobilisation permanente ; depuis le 17 mars, sans relâche. Ce que je regrette le plus, c’est de ne pas avoir assez orienté les préoccupations de la Haute Instance vers les problèmes économiques et sociaux.Nous avons eu juste le temps d’évoquer furtivement de grandes questions économiques qui sont essentielles et travaillé toujours dans l’improvisation sous la pression politique. Certes, la résolution des questions politiques est un préalable mais qui ne suffit pas à lui-même, pour ce qui est économique et social.

Des peurs ?

Oui, j’en ai eu. J’ai eu des frayeurs, des moments de panique, surtout quand nous avons craint le blocage et l’éclatement de la Haute Instance. Mais, nous avons alors tout fait pour l’éviter. Ce retour du consensus est pour moi, comme pour nous tous, du pur bonheur. Il est encore plus grand lorsqu’il survient après de graves crises, il constitue alors une satisfaction supplémentaire.

Comment avez-vous procédé ?

Comme toujours, selon ma conscience, mon instinct. J’espère que ceux qui me jugeront prendront en considération que je n’ai pas de parti pris, que je n’appartiens à aucun parti et je ne nourris aucune ambition. D’ailleurs, vous avez bien vu que je ne me suis pas porté candidat à la Constituante. Lors de mon discours devant les dirigeants de l’Utica, certains avaient cru me voir lancé dans une campagne personnelle, ce qui n’a jamais effleuré ma pensée. Cela peut paraître paradoxal et inciter à la réflexion.


Comment un apolitique peut réussir en politique?


D’après cette expérience vécue, c’est grâce justement à ce caractère apolitique, à cette absence de toute ambition politique. De nature, je favorise l’écoute, beaucoup d’écoute. Surtout de ceux qui sont sincères et veulent vous aider et non vous démolir. Face aux autres, je m’arme de patience. De grande patience. Les attaques personnelles, y compris les plus blessantes, ne m’affectent en rien. Je sais transcender tout cela. Et heureusement qu’il n’y a pas que des attaques…

Et maintenant ?

J’ai 66 ans et je sais qu’on ne commence pas une carrière politique à cet âge-là. Vous savez, je peux dire que j’ai eu jusque-là deux vies. Ma vie qui a duré le temps depuis le début de cette année 2011. J’y ai appris beaucoup plus que la première, pendant 65 ans. J’y ai beaucoup appris sur l’homme, la personne, la psychologie, la petitesse et la grandeur…Entre une vie d’indépendant, d’intellectuel, travaillant à mon rythme et celle d’un homme politique, je n’ai aucune hésitation. Les gens peuvent ne pas me croire.

Mais, c’est peut-être cette modestie qui me vaut l’estime des miens. Alors, pour moi, c’est clair : je n’irai pas plus loin. Vous savez, nous n’avons pas la propriété de nous–mêmes. Nous avons à rendre compte à nos familles, à nos enfants, à nos petits-enfants. Et je peux vous dire que l’ensemble de ma famille, ou presque, est hostile à toute continuation et je dois en tenir compte. Cette hostilité déclarée n’est pas uniquement à cause de cela, mais aussi, c’est un choix personnel.

J’ai donné tout ce que j’ai pu donner, sans attendre la moindre reconnaissance. Il ne faut pas tomber dans le travers des hommes politiques qui ne veulent pas s’arracher de leurs fonctions. Ils ont fait leur temps et devenus victimes du syndrome de Bourguiba, cherchant à demeurer inamovibles.

Alors que feriez-vous ?

Reprendre mes recherches, poursuivre mes réflexions et les approfondir…

Un autre livre en perspective ?

Je prends des notes et consigne, au jour le jour, nombre d’éléments, de témoignages, de réflexions…sur les choses, les hommes…J’espère que je finirais un jour par ordonner tout cela et en faire la matière d’un livre qui paraîtra dans quelques années…
 

Lire aussi : Haute Instance : clôture des travaux ce jeudi, mission accomplie?

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15 Commentaires
Les Commentaires
khaled fakhfakh - 11-10-2011 21:16

le professeur I ben Achour serait le meilleur président pour la deuxième transition

belkhodja hend - 12-10-2011 09:02

En effet ,je ne vois pas d'autre personne présidentiable à par mr iadh ben achour. Ce genre de personne honnete ,intégre et travaillant pour son pays et non pour sa propre personne n'existe plus de nos jours .

zeyneb farhat - 12-10-2011 09:23

le Président Yadh BEN ACHOUR a 3 légitimités incontournables: l'une est de par son origine familiale (fils et petit fils doublement de Muftis) donc de sa culture et de son savoir de la pensée musulmane et islamique, et cela fait reculer plus d'un islamiste fougueux! il a enseigné le Droit plus de 30 ans , donc les membres juristes de la HI reconnaissent sa grande valeur scientifique et ne peuvent biaiser sur le "juridiquement correct" des propositions- Il a à son actif des prises de position et de paroles d'Universitaire libre très rares lors des années de plomb Ben Ali: il a condamné la dissolution de la LTDH et le référendum organisé par Ben Ali modifiant la constitution, etc...par des communications publiques brillantes! il a le franc parler de pédagogue patient qui explique et ré-explique à l'infini et parfois à l'ennui les défis de la HI- Mais SURTOUT, , à 3 reprises, avec brio et fougue, il a pris la parole du haut de la tribune, dénonçant les abus et les tentatives de complot contre-révolutionnaire! Et muets d'admiration, on l'écoutait émus car il nous a remis à 30 ans plus tôt pour la plupart de nous , dans la fougue de nos 20 ans et les grandes AG estudiantines! et c'est alors , que nous, les Membres "à la gauche de la lucarne" qu'on nomme à tort et à raison "les Brigades Ben Achour/ Kataeb Ibn Achour", nous avons salué, debout le "camarade Présidenté" Et pour conclure, TOUS nos travaux ont été filmés et archivisés: et ce détail semble avoir été oublié par les représentants de partis -surtout La Nahdha et le CPR- ce détail montrera combien Grand fut Yadh Ben Achour à ne pas tomber dans les pièges de la provoc lâche et politicard, pas par agilité intellectuelle, mais par ce que il était tellement au-dessus qu'il les esquivait, simplement , sans y prendre garde! ce qui faisait râler les "brigades Ben Achour" , à qui il demandait la retenue et le respect des uns aux autres!

Rejeb - 12-10-2011 11:38

@Professeur Ben Achour : Je suis sympathisant d’un parti qui a quitté l'instance et qui a eu un grand désaccord avec vous, mais je vous dis quand même merci pour vos efforts sincères pendant cette période et votre désintérêt des fonctions. Toutefois et malgré votre refus, si la constituante unanime ou majoritairement vous demandera après le 23 octobre d'être le Président de la république consensuel au dessus des partis, avec un gouvernement d’union nationale à diriger par le chef du parti arrivant en tête lors des élections, vous êtes dans l’impossibilité morale de refuser justement parce qu'un homme public n'appartient pas à lui-même et à sa famille et doit mettre son confort personnel et les intérêts des siens à côté lorsqu'il s'agit de l'intérêt suprême de la nation. Et lorsqu’on appartient à la famille prestigieuse dont vous êtes issu, on ne peut ignorer l’intérêt suprême de la nation. En plus, franchement un intellectuel comme vous, ça sera une vraie rupture avec l’ignorant de président déchu dont la révolution nous a débarrassé!

khelil - 12-10-2011 12:23

sans ce trio on ne serait arrivé à bon port, on se rend compte de plus en plus que Iadh ben Achour est un homme de raison trés équilibré et convaincu de ce qu'il a fait pour la Tunisie , il a honoré ses engagements , j'espere qu'un jour tout le peuple tunisien lui sera reconnaissant en lui reservant la place qu'il mérite, en somme c'est un hommeexceptionnel.

ezzine fredj - 12-10-2011 14:38

jassak allaho khairan MR Yadh ben achour pour votre travail pendant cette periode transitoire et banne chance pour ton avenir et inchalah mission accomplie pour la tunisie grace au travail de la haute instance.

ICHAA ALLAH MEJRI - 12-10-2011 14:42

votre vision et analyse des evenements est tres logique- a mon avie il faut creuser sur la nature du tunisien et revoir ou es la conscience? vous l avez evoque dans un autre contexte et une minorite qui la possede-je souhaite ques scientifiques et psychologues et sociologues se reunissent et decortiquent ce phenomene pour sauver les autres generations et le pays donc il faut mettre au grand jour ces boules de haines cachees et apparentes pour faire une nouvelle tunisie depourvu de mediocrites la tunisie est a 60% mur et ca ne suffit pas car la masse est encore pourrit jusqu au os- l avenir est satisfaisant car les dormeurs sont entrain de se reveiller- la politique n a pas d age ni de profil il suffit de s y mettre et foncer- la tunisie de demain nous sourit malgres les difficultes

Raoudha Ben Mlouka Kochbati - 12-10-2011 15:07

Etudiante à la faculté de droit, il y a bien longtemps, vous dirigiez nos travaux dirigés;Mr Iadh Ben Achour, la Tunisie a besoin de personnes de votre qualité, je suis sûre que je ne suis pas seule à le penser.Aujourdhui c'est presque un devoir national.

Hasni Ibtissem - 12-10-2011 18:57

Pr Ben Achour le premier jour ou je vous ai vu à la télé pour la première fois au mois de Janvier le lendemain matin j'ai dit à mes collègues médecins que j'ai déjà fait mon choix personnel pour un futur président de l'état( dans un sens de l'humour mais bien sérieuse) je ne peux à quelques mois d'intervalle accepter votre démission totale. la Tunisie a besoin d'hommes comme vous et comme jamais. Je partage l'avis de Meur Rejeb lisez le Que pensez vous?

Sondes Hamdi - 12-10-2011 20:34

Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait pour le pays Mr Ben Achour, durant une période très difficile et critique. L'Histoire ne l'oubliera jamais! Nous avons toujours besoin de vous, on a besoin de vos livres, de vos recherches, de votre sagesse. Encore merci!

Khaled Rached - 13-10-2011 12:26

Si YADH ; J'ai eu la chance d'être en 1975 l'un de vos étudiants et en même temps un ami intime à votre frère Rafaa et je peux vous assurez que depuis cette date j'ai pu admirer en vous l'homme et l'imminent juriste .Aujourd'hui vous le confirmer encore plus en décidant de ne postuler à aucun poste politique bien que vous soyez une providence pour la Tunisie actuelle .

nejib - 13-10-2011 12:44

M.Ben Achour est un homme rare. La Tunisie a la chance de le compter dans ses rangs, surtout en ces temps difficiles. Espérons que son travail et celui de tous ceux qui l'accompagnent ne sera pas vain au moment du choix le 23 Octobre. Une Tunisie démocratique et laîque doit voir le jour, pour notre bien à tous.

Rifal - 13-10-2011 13:11

Incontestablement, c'est un monsieur qui mérite le respect. Pas facile de naviguer au milieu d'une jungle et de ne pas avoir les coudées franches. Combien de compétences ont été ainsi lessivées et épuisées. Faire de la politique dans l'intérêt général, c'est avant tout être carapacé face aux manœuvres, aux critiques injustifiées ou justifiées.. Nous attendons de lire les lignes et "entre les lignes" du prochain livre de Yadh Ben Achour si il le décide. Je serais le premier de ses lecteurs.

Monia - 14-10-2011 18:02

Merci infiniment pour tout ce que vous avez fait et pour nous avoir redonné le sentiment de nous reconnaître dans notre pays, retrouver la fierté d'être Tunisien. Toutefois, votre tâche n'est pas achevée et vous ne pouvez, vous le rigoureux-perfectionniste, abandonner à mi-chemin. Qui, mieux que vous pourrait mobiliser et "bouster" nos compétences afin de mettre en place une stratégie économique authentiquement tunisienne et, partant, asseoir l'avenir de notre pays. "Un homme public ne s'appartient pas" c'est pourquoi nous avons le droit de ne pas respecter votre voeu de quitter la scène. Et puis que sont quelques années dans une vie...parce qu'évidemment il n'est plus question que quiconque s'éternise au pouvoir!

ferida - 16-10-2011 17:16

merci cher professeur;avec tous nous respect

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