Ali Hachani, Une riche expérience diplomatique... qui se réinvestit
Après une longue carrière diplomatique, « mettre un pied » dans « la politique », est-ce possible, est-ce recommandable? Ali Hachani, ambassadeur tunisien à la retraite, qui a, avec tant d’autres, servi pendant près de quarante ans les intérêts de la Tunisie à l’étranger, se trouve aujourd’hui face à cette question. Le passage, modeste, comme il l’affirme, n’aurait pas été possible sans la révolution de la dignité qui a permis à tous les Tunisiens, quel que soit leur âge, d’aspirer à mettre leur expérience à la disposition de leur peuple pour aider à réussir cette phase exaltante de son histoire.
Quand, en 1968, Ali Hachani, maîtrise de langue et littérature anglaises en poche, a rejoint le ministère tunisien des Affaires étrangères, il était loin de se douter de cette évolution. En fait, depuis son entrée à l’Université de Tunis comme «boursier des Affaires étrangères », il se sentait destiné à la carrière diplomatique à laquelle il s’est donné corps et âme. Des vieux bureaux à la Kasbah de la DCI (Direction de la coopération internationale) qui faisait alors partie de ce ministère, au palais de verre des Nations Unies à New York où il a fait ses premiers pas à l’étranger et qui a également vu l’achèvement de sa carrière en juillet 2007, que de chemin parcouru, que de raisons d’espérer et d’être fier et que de moments d’abattement et de désillusion ! Pendant cette période, Ali Hachani, comme tous les grands diplomates tunisiens de sa génération, a accompagné la gloire de la diplomatie tunisienne quand elle était respectée, quand le nom de la Tunisie était synonyme de réussite et d’attachement aux principes et de réussite. Il a également vécu, dans la douleur, le crépuscule de cette diplomatie quand la politisation excessive du métier et l’apparence écornée du pays et de son élite politique sont devenus si évidents.
Les trois premières décennies de la vie de la Tunisie indépendante ont été les années de construction de l’image de notre pays et de son économie. La direction de la coopération internationale (devenue plus tard Direction générale et secrétariat d’Etat) à laquelle Ali Hachani a été associé en tant que jeune diplomate était le lieu où se manifestait la grande estime vouée à notre pays par les pays développés.
Des quatre coins du monde, affluaient des aides qui ont contribué à la réalisation de nos projets de croissance économique et de promotion sociale. C’était une grande école pour la connaissance directe du pays et pour la maîtrise de l’art de la négociation internationale. C’était aussi l’occasion propice pour se convaincre du lien indéfectible devant exister entre la diplomatie et l’action de promotion économique et commerciale et, d’une manière générale, la défense des intérêts du pays à l’étranger. Cette conviction devait accompagner Ali Hachani tout au long de sa carrière puisque, même avec l’élargissement progressif du champ de ses responsabilités, la composante économique est restée présente dans sa vision et dans son action.
La deuxième grande école à laquelle Ali Hachani s’est trouvé exposé dès son jeune âge fut l’organisation des Nations Unies, où sous la houlette de grands maîtres en diplomatie tels Rachid Driss et Mahmoud Mestiri, il a acquis une vision plus vaste du monde et de ses problèmes, a appris l’art de la diplomatie multilatérale et a pu se rendre compte du rayonnement international de la Tunisie qui, en dépit de ses dimensions et moyens modestes, était un acteur incontournable, surtout pour les dossiers de la décolonisation et des négociations économiques internationales.
Depuis, et bien qu’il ait rempli d’autres fonctions diplomatiques bilatérales et régionales, la diplomatie multilatérale, avec ses dimensions variées, faites d’idéaux mais aussi de pragmatisme, est restée liée à la carrière de Ali Hachani et en est devenue un trait distinctif.
Cela devait se confirmer à plusieurs reprises puisque, après sa première affectation (qui a duré pas moins de sept ans) comme jeune diplomate auprès de la mission permanente de Tunisie auprès des Nations Unies à New York, il a été nommé à deux reprises ambassadeur représentant permanent de Tunisie auprès de cette organisation.
En cette qualité, il a été, entre autres, vice-président de l’Assemblée générale des Nations Unies, président du Conseilé économique et social de l’Organisation, président de la Commission sociale, culturelle et humanitaire (3ème commission de l’Assemblée). Il a représenté la Tunisie dans plusieurs conférences du Mouvement des non-alignés et du Groupe des 77 (réunissant l’ensemble des pays en développement). Il a mené avec succès la campagne électorale qui s’est soldée par le dernier accès de la Tunisie au Conseil de sécurité comme membre non permanent. Les années passées par Ali Hachani à New York (Capitale du monde, comme les Américains aiment qualifier cette ville) l’ont marqué à jamais.
Ces années ont été entrecoupées de périodes passées au sein des services centraux du ministère des Affaires étrangères à Tunis et par des affectations comme ambassadeur de Tunisie auprès de certaines capitales arabes, africaines et européennes. La première de ces affectations a été en 1985 à Abou Dhabi, capitale des Emirats Arabes Unis.
A 39 ans, âge considéré, même alors, comme précoce pour assumer les charges de chef de poste diplomatique, quelle ne fut la surprise de M. Hachani de se voir recommandé au Président Habib Bourguiba par le ministre des Affaires étrangères d’alors, qui n’était autre que M. Béji Caïd Essebsi, pour être ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Tunisie auprès de ce pays frère. Cette recommandation est révélatrice de l’esprit qui animait les hauts responsables tunisiens de cette époque : celui d’encourager les jeunes compétences tunisiennes à accéder aux hautes responsabilités sans considération de l’appartenance politique, de la hiérarchie sociale ou des affinités en tous genres.
Représenter la Tunisie du Président Bourguiba dans un pays arabe du Golfe et qui plus est fortement imprégné à cette époque par le nationalisme nassérien, n’était pas aisé. Mais le diplomate tunisien était rapidement frappé par le haut respect dont jouissait la Tunisie, non seulement dans le pays de Cheikh Zayed, mais aussi dans les autres pays du Golfe qui ont multiplié les investissements dans notre pays et accueilli de nombreux enseignants et experts tunisiens.
Cette situation devait être soudainement interrompue en 1990 suite à l’occupation du Koweït par l’Irak et la prise de position ahurissante de la Tunisie en faveur du régime de Saddam Hussein. Il est vrai que le « changement du 7 novembre 1987 » venait de se produire et que la politique étrangère de la Tunisie n’était plus guidée autant par les principes et les intérêts supérieurs de la Tunisie que par des caprices inexplicables et des intérêts de plus en plus étroits.
Cette déviation préjudiciable s’est vérifiée dans les relations de la Tunisie avec d’autres régions du monde : en Afrique où M. Hachani a été ambassadeur au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, zone où la réputation de la Tunisie était impeccable au point que des artères importantes de certaines de ses capitales (comme Dakar) portent le nom de Habib Bourguiba.
Malgré les efforts louables de certains responsables de «l’ère du changement» de maintenir le lien avec les pays d’Afrique subsaharienne, l’absence d’intérêt de haut niveau à cette région a pratiquement réduit à néant la place dont la Tunisie bénéficiait et ce, au profit d’autres pays maghrébins plus entreprenants.
En Europe, malgré le maintien de certains centres d’intérêt politique et économique, le refus de diversifier ces intérêts et la préoccupation excessive de préserver une image de plus en plus différente de la réalité interne, notamment en matière de droits de l’Homme, ont faussé la vision des intérêts à long terme du pays. Les réactions épidermiques ont accru la dérive : M. Hachani qui était ambassadeur à Athènes au début des années 2000 en a fait l’expérience et a dû en subir les conséquences.
Sur le plan multilatéral, l’éloignement inexorable de la Tunisie des principes et valeurs universels qui avaient fait la force de la politique étrangère bourguibienne a rendu la diplomatie tunisienne incapable de préserver sa place dans les instances internationales et l’a obligée à assumer une posture réservée, voire « absentéiste », sur de nombreuses questions d’importance cruciale pour le monde. M. Hachani et d’autres «multilatéralistes» convaincus en étaient frustrés !
Le lecteur peut se poser une question légitime: face à cette détérioration progressive de la situation dans leur profession, pourquoi les diplomates n’ont-ils pas réagi ?
Le rôle d’un fonctionnaire — et les diplomates sont des fonctionnaires, même s’ils sont de nature spécifique — n’est pas de déterminer la politique mais de l’impulser si possible et de l’exécuter dans les meilleures conditions en essayant, dans les limites de leur pouvoir, de préserver les intérêts supérieurs du pays avant les interêts passagers ou éphémères. Les diplomates professionnels l’ont fait et c’est peut-être pour cette raison qu’ils se sont trouvés de plus en plus marginalisés et supplées par des nominations politiques qui ont, en définitive, touché la plupart des postes diplomatiques et consulaires. Le ministère des Affaires étrangères a fini par perdre la plupart de ses prérogatives de nomination, mais aussi d’impulsion et même d’exécution de la politique étrangère tunisienne. Celle-ci s’est trouvée orientée et déployée par des personnes qui ont oublié que la diplomatie est un métier comme un autre qui, s’il est confié à des « non-professionnels », quelles que soient leur bonne volonté et leur expertise par ailleurs, dépérit et se meurt.
Il est heureux de constater que l’une des premières actions de la Tunisie post-révolutionnaire a été de commencer à réhabiliter le ministère des Affaires étrangères en faisant confiance, dans les récentes nominations de chefs de postes, essentiellement, aux hauts cadres du ministère. Mais le chemin reste long et ardu. La politique étrangère de la Tunisie et sa diplomatie ont besoin de mesures plus approfondies pour reprendre leur splendeur d’antan. Et c’est de là que vient le rapport entre la « politique » et la «diplomatie».
En effet, remettre sur le droit chemin la diplomatie tunisienne dépendra largement des choix de politique étrangère des autorités qui prendront la relève de l’équipe gouvernementale provisoire actuelle. La participation des anciens diplomates tunisiens dans la définition des plateformes de politique étrangère des partis en présence pour les élections à venir, notamment celles du 23 octobre 2011, est donc de la plus haute importance.
La participation de ceux qui sont intéressés parmi ces diplomates aux autres activités des partis ne serait pas de trop, vu l’expérience accumulée par ces diplomates et leur vaste connaissance du monde, étant entendu qu’en cette période critique de la vie de la nation, personne ne doit rester à l’écart du débat politique et ce quel que soit le parti qu’il choisit.
Il reste que M. Hachani affirme que son objectif premier est d’aider le parti pour lequel il a opté à présenter aux électeurs tunisiens des positions de politique étrangère dignes de la révolution. Quatre ans après la retraite, période qu’il a passée dans des activités associatives, il estime que ce rôle correspond le mieux à sa vocation.
Pourquoi le PDP, dont il est actuellement membre du Bureau politique ? C’est, aux yeux de M. Hachani, le parti le plus apte à conduire le pays (seul ou dans une coalition autour de lui) vers un avenir progressiste, dans une démarche modérée et respectueuse des libertés et des droits des citoyens. Une telle démarche, dit-il, est seule susceptible de sauver le pays des dangers qui le guettent et de lui assurer une présence digne dans le monde.
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