Constituante, constituante quand tu nous tiens !
Le décret régissant la première séance des travaux de la constituante vient d’être publié le 15 novembre 2011. Texte succinct, conçu dans l’esprit de réussir cette première séance en occultant les écueils des questions polémiques. Protocolairement, on a recherché une certaine majesté, via la prestation individuelle d’un serment solennel de fidélité à la nation. Chose faite, on élu le président de l’assemblé et ses deux assesseurs. Le président élu, on forme les deux commissions préliminaires : commission du règlement interne de la constituante et la commission de la petite constitution.
La première séance doit, obligatoirement, être réussie. C’est elle qui va donner le tempo aux travaux de la constituante. Le nombre de voix que va avoir son président annoncera la couleur concernant la solidité de la coalition gouvernante et sa capacité à brasser large. L’absence de leaders étrangers à la séance inaugurale ne constitue pas une anomalie, c’est une séance tuniso-tunisienne, à moins que les pays étrangers n’y seront représentés par leurs ambassadeurs. Dans tous les cas, le monde va assister à cette séance à travers les médias, le monde nous scrute à la loupe, il faut être à la hauteur.
Les groupes partisans vont se départager l’hémicycle, allons nous voir une partition topographique agglutinée, classique : droite, centre et gauche ? La Nahdha va-t-elle dispatcher ses représentants entre hommes et femmes, chacun dans son coin ? Y a-t-il des coalitions en herbe entre ceux qui ont choisi la posture de l’opposition et les ions libres ? L’Aridha comment va-t-elle réagir au snobisme des autres groupes ? Les intervenants vont-ils le faire in situ, ou à tour de rôle sur un podium aménagé à cet égard ? Va-t-on utiliser un arabe littéraire, ou chacun va parler son vernaculaire ? La couverture médiatique des travaux va-t-elle être intégrale ou partielle ? Les débats vont-ils avoir lieu la première séance ; sont-ils raffinés, ou va-t-on assister à des débordements à non plus finir ?
La deuxième séance, certainement, va être un lieu de pugilat politique. Le jeu politicien va s’installer illico presto. Querelles de bateliers, l’animosité, les contestations et les altercations vont éclater au grand jour. Le rôle du président de la constituante va être primordial dans ce genre d’exercice ; un grand modérateur trapéziste est à attendre. D’autre part, on va assister à un jeu de miroir individuel : « et moi et moi ». La magie de la télé aidant, les feux de la rampe, les strass et paillettes ; obnubilés par les projecteurs des télés locales et étrangères, les radios, les journaux ; on risque que certains membres de la constituante ne tombe dans la logorrhée, les discours fleuves, et les propos cacophoniques inaudibles. Néanmoins, Il va y avoir un jeu d’équilibre entre les leaders et les suivistes, les joyeux et les sinistres, les rêveurs et les réalistes, bref entre les bons et les mauvais.
Il serait très intéressant d’observer le niveau des débats : les procès verbaux vont être enregistrés et publiés, les couacs et les coquilles vont être consignées et divulguées. On va mesurer le niveau de discernement politique de chaque parti. On va observer le degré de maturité intellectuelle de chaque membre, son style est-il poli, argumentateur, dogmatique, insolent, exalté… On va remarquer les mots d’ordre, les jeux de rôles, les clins d’œil, parfois même les cafouillages spontanés, alors que d’autres sont calculés et magouillés ; en sommes tous les jeux et enjeux d’une chicane démocratique.
Ceux qui veulent capitaliser leur mandat pour les échéances électorales ultérieures devront éviter les soliloques avachis, les speechs à dormir debout, et les querelles de bas étage. Ils devront bannir les attitudes de beni oui oui et des laudateurs invétérés de l’action gouvernementale ; tout aussi que certains devront garder leur sang froid pour que les joutes verbales ne se transforment en jeux de vilains. Cependant, voulant incarner le personnage du tribun du peuple, d’autres risquent de se trouver en porte-à-faux, symbolisant le démagogue insignifiant ; trop de populisme nuit à la salubrité collective, rien ne vaux le discours humaniste et rationnel, il à un effet prophylactique.
Pour réussir son exercice, chaque membre doit présenter le meilleur de soi même, une belle prestation et une belle prestance. Les cumulards : membre de la constituante, ministre et je ne sais quels autres fonctions ; trop ou tard vont être pointés du doit ; ils devront choisir un seul émolument, si non se sont des rapaces appâtés par le gain. D’ailleurs, il serait judicieux d’exiger pour chacun des impétrants à ces postes qu’il remplisse sans trop tarder sa déclaration sur l’honneur concernant ses biens immobiliers et mobiliers. Il faut qu’ils soient loin de l’esprit « carpe diem » ; ils ont été choisis pour une mission, il faut qu’ils l’accomplissent avec art et manière, loin de toutes velléités mercantiles. D’ailleurs, pour chaque constituant une autoscopie est nécessaire, une introspection pour qu’il connaisse le fin fond de lui même, pour que ses désirs enfouis pour le pouvoir ne se dévoilent pas ouvertement, le pouvoir est énivrant ; c’est très mal perçu que cela se voit.
Ali Bouaziz
Directeur du site Ibn Khaldoun
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