News - 08.01.2012

Médias : les raisons de la colère

Montée en première ligne quasi-collective des journalistes contre les nouvelles nominations à la tête des médias publics, décidées samedi par le gouvernement. L'Instance Nationale pour la Réforme de l'Information et de la Communication (INRIC), comme le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) ont immédiatement fait part de leur « déception », dénoncé « le manque de concertation avec les parties concernées » et saisi cette occasion pour rappeler « l’urgence d’adopter la loi portant création de la haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) ». 

Tout s’était précipitamment  tendu, il y a 10 jours. À la télévision nationale et à La Presse. A l’approche de la fin de son mandat à la tête de l’Établissement de la Télévision Tunisienne (ETT), Mokhtar Rassaa (maintenu en activité avant retraite jusqu’au 27 février 2012) avait remis au chef du gouvernement et au président de la République un rapport en guise de bilan, assorti d’une série de recommandations. Parmi elles figurent notamment celle d’instituer un organigramme précis, permettant d’ailleurs de désigner les directeurs de chaînes TV et ceux de l’information. Il faut dire que la ligne éditoriale adoptée par Watanya 1 et surtout son journal télévisé ne plaisait pas au gouvernement Essebsi qui a fini par s’en accommoder, ni à son successeur. Des fléchettes étaient sans cesse lancées contre contre cette chaîne à maintes reprises et sous des formes à peine déguisées. Farouchement attachée à son indépendance, la rédaction a maintenu le cap quitte à susciter l’irritation des nouvelles autorités. Bref, Rassaa a clairement annoncé son départ et souligné que, faute de nominations officielles selon un organigramme en vigueur, il faudrait aussi désigner les principaux dirigeants au sein de l’ETT.
 
Rue Bach-Hamba, siège légendaire du journal La Presse, l’ambiance n’était pas moins tendue. Hmida Ben Romdhane, promu, après la révolution, PDG de la société éditrice, devait lui aussi être atteint par la limite d’âge et accéder à la retraite. Il pouvait certes bénéficier d’une mesure de maintien en activité pour une année supplémentaire ou deux, mais une forte contestation s’est rapidement élevée des rangs du personnel, le climat social n’étant pas serein. Quelques semaines auparavant, Mongi Gharbi, rédacteur en chef est parti en congé, sur fond de tension avec le PDG, et Slaheddine Grichi a dû en assumer l’intérim.
 
Troisième élément significatif à prendre en considération, l’impatience de l'Instance Nationale pour la Réforme de l'Information et de la Communication (INRIC) et du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) de voir finalement adoptés par l’Assemblée nationale constituante les deux textes fondamentaux qu’ils ont réussi à faire voter par le Haut comité pour la réalisation des objectifs de la révolution : le code de la presse, de l’édition et de l’imprimerie et la loi portant création de la haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA). Cette instance indépendante de régulation dotée de pouvoirs étendues allant de l’octroi d’autorisation à l’exercice de la discipline, se veut garante de professionnalisme et soucieuse d’éthique. Aussi, cette architecture juridique devait selon ses initiateurs donner naissance à un nouveau paysage médiatique à même de concrétiser la transition démocratique.
 
Divers incidents sont venus en outre compliquer la situation : des journalistes agressés lors de la manifestation au sujet de la Manouba, devant le ministère de l’Enseignement supérieur, des menaces agitées par des fanatiques contre le quotidien Le Maghreb et d’autres médias et pour corser le tout, des accusations à peine voilées de dérapages sont lancées par des officiels, surtout les dirigeants d'Ennahdha. Bref, une ambiance bien tendue.
 
C’est donc dans ce contexte que sont intervenues les nouvelles nominations, avec l’urgence de pourvoir aux vacances à la Télévision tunisienne et La Presse. Les réactions ont été vives, Néji Baghouri, ancien président du SNJT n’hésitant pas à parler, sur Mosaïque FM, de « complot » contre les médias et les journalistes » et brandir « la résistance active comme celle opposée contre le régime déchu ». Plus mesuré mais non moins affecté, Kamel Laabidi, président de l’INRIC a appelé sur Watanya 1 à la reconsidération des nominations et l’ouverture d’une concertation entre le gouvernement et les parties concernées. 
 
Ce climat de tension est de l’avis de tous grave et préjudiciable. Le gouvernement a tout intérêt  à le désamorcer rapidement  en renouant le dialogue avec la profession, journalistes et patrons de presse, et en organisant, dans les plus brefs délais possibles, des Etats généraux de la presse et de la communication où tout sera mis sur le tapis des débats pour fonder le nouveau paysage médiatique à la hauteur des aspirations.
 
La position de l’INRIC
 
L'Instance Nationale pour la Réforme de l'Information et de la Communication (INRIC) s'est dit « surprise » des nouvelles nominations annoncées, samedi, par le Premier ministère dans le secteur de l'information.
Dans une déclaration rendue publique, samedi, elle  dénonce vivement ces décisions qui, dit-elle, ont été prises en l'absence de concertations avec les parties concernées, estimant que « cette attitude est en contradiction avec le processus de transition d'une information publique inféodée vers une information publique, démocratique, pluraliste et indépendante».
 
L'INRIC se dit étonnée par de telles décisions qui, estime-t-elle, sont diamétralement opposées aux pratiques en vigueur dans les démocraties et rompent les promesses tenues par le chef du gouvernement de se conformer aux normes internationales dans le domaine.
 
Ce qui est surprenant, ajoute l'INRIC, c'est que ces nominations ne se sont pas limitées aux postes administratifs mais elles se sont étendues aux services de rédaction, ce qui constitue un retour aux pratiques de contrôle et de censure et à la soumission au diktat politique.
 
Selon cette déclaration, « ce mode de prise de décision adopté par le gouvernement est un pas en arrière au moment où les structures professionnelles et les instances de l'information s'affairent à présenter des visions et des recommandations en conformité avec les normes internationales garantissant l'indépendance des établissements médiatiques du pouvoir exécutif ».
 
La déclaration du SNJT
 
De son côté, le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) a déclaré avoir « accueilli avec profonde déception »  la nomination, samedi, par le Premier ministère de plusieurs responsables dans le secteur de l'information, regrettant que ces nominations ont été décidées sans concertation préalable avec les structures professionnelles spécialisées et plus particulièrement le SNJT qui constitue une structure légitime élue représentant l'ensemble des journalistes tunisiens.
 
Dans une déclaration rendue publique samedi, le SNJT exprime son refus du mode de nomination des responsables à la tête des établissements médiatiques publics et dénonce « la poursuite de l'ignorance des professionnels du secteur de l'information ».
 
Le syndicat impute « la pleine responsabilité au gouvernement quant aux conséquences de telles nominations » qu'il a qualifiées « d'arbitraires », faisant remarquer que ces nominations peuvent avoir des incidences dangereuses aussi bien sur la profession que sur le secteur, dès lors que certaines personnes désignées ont été, selon la même déclaration, « des serviteurs dévoués sous le régime despotique de Ben Ali et que certains d'entre eux sont liés à des affaires de corruption ».
 
Le SNJT dénonce, également, la nomination de rédacteurs en chef et de directeurs d'information au sein de certains  établissements médiatiques, nominations qu'il a qualifiée de « précédent », précisant que de telles nominations devraient se faire par voie électorale ou consensuelle au sein des établissements médiatiques.
Le syndicat appelle aussi le gouvernement provisoire à revenir sur ces nominations et « à adopter en urgence la loi portant création de la haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) ».

 

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7 Commentaires
Les Commentaires
Tahar - 09-01-2012 10:16

Les prémisse d'une dictature annoncée. Soyons vigilents. La rue nous appelle.

hafedh - 09-01-2012 12:27

merci pour avoir publier mon précédent commentaire sur cet aricle, c'est ce qui renforce ma conviction de la justesse de ce qu'a fait le gouvernement

fathi - 09-01-2012 16:04

Par cette decision jbali a montre qu'il n'a pas ete bien conseille'. Jbali aurait mieux fait s'il avait procede a des consultations.Dommage on n'arrete pas de creer des problemes

amad salem - 09-01-2012 17:54

Que veut-on exactement ? Qui veut ? On ne discute plus la nécessité et la volonté d’assainir le secteur de l’information pourri comme tous les autres depuis l’indépendance, ni de le rénover ou de changer de méthodes et de mentalités. Comme pour tout ce qui concerne le pays et les fondations de son avenir dans des perspectives autres que celles héritées, on se demande : que veut-on exactement du secteur de l’information ? Non que la liberté d’opinion et d’expression soit remise en question mais spécifiquement sur les plan organisationnel et administratif dans le secteur de l’information publique.. Veut-on le modèle anglais (BBC), français (), italien (Rai), allemand (DW), ou bien un modèle « inspiré » de ceux-ci et d’autres ou alors un système qui n’existe nulle part ? Pour simple rappel et information, il faut savoir que la BBC fut dès sa naissane une entreprise privée. La "British Broadcasting Company (BBC) " fut créée en 1922 par un consortium comprenant : Marconi, GEC, British Thomson Houston, Metropolitan Vickers, Western Electric et la Radio Communication Company. En 1927, le concept "Company", est remplacé par «Corporation» et ainsi nait la «British Broadcasting Corporation», une société de droit public, constituée par Charte royale. La BBC prent ainsi son statut moral de « nationale » mais garde son statut de société privée indépendante du domaine public de l’Etat. Cette spécificité fait que la BBC n'a de compte à rendre qu'au Parlement qui vote les Chartes royales.C’est pourquoi le gouvernement n’intervient pas officiellement et directement dans l’organigramme de la BBC ou sa ligne d’information. Ses activités sont supervisées par le "" "BBC Trust". Le management général de l'organisation appartient au Directeur général, qui est nommé par le Trust : le DG est l'éditeur en chef de la BBC et préside le Conseil exécutif. On voit bien que le principe ou l’habitude de « consultation » n’existe pas dans cette prestigieuse institution. Pour la France, de Gaulle voulait que la "RTF" devienne une institution autonome comme la BBC. Le statut de l'ORTF était donc calqué sur celui de la BBC. Mais, cette « autonomie » resta sans effet avec le général lui-même et ses successeurs. Car du Directeur général aux Directeurs généraux adjoints, aux journalistes mêmes sont désignés par le gouvernement. L'ORTF a été démantelé par la loi du 8 juillet 1974 à l’initiative du Premier ministre Jacques Chirac dans sa « réforme de l'audiovisuel ». Les établissement de la radio et télévision françaises à caractère public son de l’autorité du gouvernement français qui en désigne les responsables sans consulter quiconque. C’est le cas de la RAI et DW et c’est le cas partout dans le monde. Alors, que veulent exactement l’INRIC, SNJT et les journalistes par cette campagne orchestrée ? Ces communiqués «d’indignation», ces «appels», ces manifestations sont uniquement «contre les nouvelles nominations à la tête des médias publics» (TAP, SNIPE, Wataniya 1, Wataniya 2). Ces «médias publics» ne diffèrent en rien des autres administrations publiques dans les ministères et secteurs.

al07 - 09-01-2012 17:58

Intifadah tout de suite !!

al07 - 09-01-2012 18:30

En réponse à amad salem..... Ne comparez pas ce qui est incomparable ! La France et la Grande Bretagne sont ou été sous la coupe d'une dictature ?Non !En France,le Président est élu par le Peuple,en Grande Bretagne,le Premier Ministre est nommé par la Reine !En Tunisie,le Premier Ministre était connu avant même sa désignation et il est PROVISOIRE !Il n'y avait donc aucune urgence à nommer de nouveaux "chefs"à la tête des médias,sauf à vouloir contrôler les médias et remettre en place la censure !

Observateur - 10-01-2012 00:37

J'aurais bien aimé que Leaders demande au gouvernement de réagir face à la colère des médias. Leaders nous aurait offert un article un peu plus équilibré et nous aurions été mieux informés.

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