La visite que vient d'effectuer Madame Christine Lagarde, Directrice Générale du Fonds monétaire international (FMI), en Tunisie, entre Davos en Suisse et l’Arabie Séoudite, revêt une grande importance. Elle intervient quelques semaines après l’installation du gouvernement Jebali et quelques semaines avant la finalisation du budget rectificatif 2012. Elle intervient aussi à une période difficile pour l’économie tunisienne qui a enregistré une contraction d’environ 2% en 2011 et qui fait face à une conjoncture de marasme économique en Europe, principal partenaire de la Tunisie, suite à la crise de l’euro.
La Tunisie est membre des institutions de Bretton Woods depuis le 14 avril 1958, deux ans après l’indépendance. Ses relations avec le FMI ont été bonnes. Le FMI a fourni une assistance technique et financière au cours des années soixante et quatre vingt, quand notre balance des paiements courants étaient en déficit et la Tunisie avait besoin d’un programme d’ajustement. L’un des conseils les plus importants, donné à notre pays par le FMI -et qui lui a été précieux- a été d’honorer ses dettes, en particulier sa dette extérieure, ce qui lui a permis d’aller sur les marchés internationaux emprunter à des taux modérés.
Certes, le FMI s’est trompé dans une partie de ses analyses sous l’ancien régime. La Banque mondiale, dont les missions visitent les régions de l’intérieur, l’a été un peu moins. Madame Lagarde, elle-même, comme d’ailleurs son prédécesseur, l’a admis en disant que la Révolution tunisienne a permis au FMI d’apprendre. On ne voyait que les équilibres fondamentaux, i.e., taux de croissance, taux des déficits budgétaires primaire et global, taux d’inflation, taux du déficit courant de la balance des paiements. Mais on faisait l'impasse sur les déséquilibres des revenus, des régions, l’emploi et l’ampleur de la corruption. Les missions du FMI limitaient leurs déplacements entre les hôtels et les ministères, on leur préparait des programmes de réunions qui excluaient des représentants de l’autre Tunisie, non officielle, la Tunisie réelle. Si des visites sont organisées à l’intérieur du pays, c’est à Hammamet ou Sousse ou Djerba, dans les hôtels cinq étoiles, qu’ils pouvaient se rendre mais non à Gafsa ou Sidi Bouzid. On leur fournissait des statistiques assez bien cuites pour la « bonne » consommation de leurs ordinateurs. Il a fallu le 14 janvier pour dessiller les yeux des experts du FMI. C’est une bonne leçon que Mohamed Bouzizi a donnée à cette grande organisation.
En tant qu’ancien expert du FMI, je tiens à affirmer que la Tunisie a grand intérêt à ouvrir un nouveau chapitre de collaboration étroite avec cette institution. D’abord, le Fonds lui-même a complètement changé. Il ne met plus l’accent seulement sur l’austérité budgétaire mais aussi sur la croissance et l’emploi. Il ne met plus l’accent seulement sur les équilibres macro économiques mais aussi sur les réformes structurelles, capables de stimuler la compétitivité et le développement. Il ne met plus seulement l’accent sur la demande mais aussi sur l’offre. Ensuite, la Tunisie, dans la conjoncture présente, a besoin d’un financement important extérieur. Ce n’est pas tant le financement du FMI qui est important, parce qu’il est relativement limité et à moyen terme mais un programme solide avec le FMI est capable de promouvoir des financements publics et privés de grande envergure. En donnant un sceau de respectabilité et d’appui à la politique macroéconomique de la Tunisie, le FMI consolide la mobilisation de ressources extérieures considérables, y compris des accords désendettement/ développement entre pays donateurs et notre pays.
Un autre aspect non négligeable d’une coopération étroite avec le FMI est l’aspect technique. Cette organisation possède parmi les meilleurs cerveaux de la planète en matière de réforme des finances publiques, y compris une réforme fiscale et de renforcement du système bancaire et plus généralement financier. La Tunisie peut en bénéficier. Nos finances publiques sont archaïques. Notre système financier est au bord du gouffre avec tous les abus subis sous l’ancien régime.
Afin de mieux renforcer ses relations avec le FMI, la Tunisie devrait considérer un renforcement de sa présence au Conseil d’administration de cette organisation. Notre pays est membre d’un groupe hétérogène qui n’est bâti sur des considérations ni régionales, ni linguistiques ni politiques. Il comprend, outre l’Algérie et le Maroc, l’Iran, le Pakistan et le Ghana. C’est un groupe qui n’admet pas, contrairement à ce qui se passe dans les autres groupes, la rotation de la représentativité, ce qui fait que l’Iran et la Maroc ont, respectivement, les sièges d’administrateur et d’administrateur adjoint pendant des décennies. La Tunisie devait se contenter d’un siège de conseiller qui n’a aucun poids dans le Conseil d’administration.
A la Banque mondiale, ce sont l’Algérie et le Pakistan qui se partagent les sièges au Conseil d’administration. Si une telle position d’infériorité a pu arranger l’ancien régime, elle ne devrait pas satisfaire la Tunisie du 14 Janvier. L’équité devrait nous permettre d’avoir un poste d’administrateur adjoint et d’administrateur dans le cadre d’une rotation normale entre pays membres du groupe. Le Nigéria, pays dominant, admet une telle rotation dans son groupe. Sinon, la Tunisie devrait, en compagnie du Ghana, avant la prochaine réunion du groupe en septembre prochain pour élire les administrateurs,rejoindre un autre groupe, par exemple les groupes africains. Notre diplomatie (Ministère des affaires étrangères, Ministère de la coopération internationale) devrait s’y préparer dès maintenant. Ces postes sont d’une grande importance. C’est pourquoi les pays du groupe qui en jouissent s’y accrochent de toutes leurs forces. C’est à notre tour de revendiquer notre droit à l’équité et de défendre, pour une fois, notre intérêt.
Dr Moncef Guen