Nuit d'émeute à Athènes : Les origines de la crise grecque et les risques de contagion
La Grèce connait une grande crise de la dette souveraine. Elle n’est plus en mesure d’honorer ses engagements. Les économistes parlent de la « faillite de l’Etat ». Pour y remédier Athènes a dû lancer un premier plan d'austérité qui n'avait rien donné, contraignant le gouvernement à proposer un nouveau plan qui a été voté dimanche soir. Ce plan prévoit en particulier une baisse de 22% du salaire minimum, et de 32% pour les jeunes de moins de 25 ans.
Dans cet article, le Dr Jabeur Chabbi, docteur en Finance internationale de l'université de Paris-Dauphine analyse les origines de cette crise et évalue les risques de contagion aux autres pays de la zone euro.
1 - Les origines de la crise de la Grèce
L'économie de la Grèce était une des plus dynamiques de la zone euro de 2000 à 2007 avec un taux de croissance de plus de 4% grâce notamment à l'apport de capitaux étrangers et une forte croissance de l’économie européenne et mondiale. En 2008, avec la crise financière de « Subprimes » la Grèce a été la première à plonger dans la crise de la dette souveraine.
Les causes de la crise Grèce est due à deux facteurs : les problèmes structurels de l’économie Grecque et la spéculation excessive qui a encouragé une baisse importante des marchés financiers et une perte de confiance dans l’économie européenne :
1-1 les problèmes structurels de l’économie grecque
• Le modèle social adopté par la Grèce après la chute de la dictature des colonels, en 1974, a été fondé sur des dépenses publiques généreuses et le maintien d'un secteur public surdimensionné. Celui-ci représente environ 40 % du PIB et la Grèce compte quelque 800.000 fonctionnaires civils sur une population active de 5 millions de personnes. Depuis son entrée dans la zone euro, la dette publique a toujours été supérieure à 100 % du PIB
• La Grèce n'a pas su combattre les corporatismes et les rentes de situation, dans les secteurs privés et public. L'inflation a été forte dans le pays et a provoqué une perte de compétitivité qui a conduit à un fort déficit de la balance commerciale. En plus, le déficit de la balance courante dépasse en 2008 les 16% du PIB. Les Grecs s'étaient mis à consommer beaucoup plus qu'ils ne produisaient et devaient trouver quasiment 40 milliards d'euros pour financer cette consommation.
• Le gouvernement grec a beaucoup fait pour entrer dans l'Euro mais les réformes n'ont pas été faites, Par ailleurs les gouvernements successifs depuis les années soixante-dix et la fin de la dictature n'ont pas cherché à créer un véritable Etat de droit. L'adhésion du pays à l'Union européenne en 1981 a été voulue par des personnalités politiques européennes bien que le pays ne fût pas prêt : avec un système administratif pléthorique. l'administration représente 7% du PIB alors que la moyenne européenne est de 3%.
• La fraude fiscale est l'autre conséquence de l'économie clandestine. Un fléau qui se traduit par un manque à gagner de 15 milliards d'euros par an pour l'Etat, selon le ministre des Finances, Georges Papaconstantinou. Au surplus, l'économie souterraine continue de prospérer, notamment dans les services et le tourisme. Le FMI estime entre 20 % et 30 % du PIB du pays le poids de l'économie grise
• La crise économique globale a pointé son nez en 2009, avec des revers soudains dans le tourisme et le transport maritime, deux secteurs d'activité essentiels. Ces deux principaux secteurs économiques ont été sévèrement affectés et ont vu leur revenu chuter de 15 % en 2009.
• Pourtant, le gouvernement conservateur de l'époque n'a pas fait sienne l'exigence d'une plus grande discipline budgétaire. Il a préféré maquiller les comptes publics, comme en 2004. La dette publique s'élevait à 142,5% du PIB à la fin du premier trimestre 2011 et devrait représenter 158 % du PIB à la fin de 2011.
• Selon Christoforos Sardelis, qui dirigeait l'Agence de gestion de la dette publique grecque de 1999 à 2004, la Grèce aurait utilisé sur les conseils de Goldman Sachs des contrats de swaps de change pour décaler artificiellement de plusieurs années le paiement des intérêts de sa dette.
Pour placer ses obligations de la dette publique le gouvernement grec comptait sur les investisseurs étrangers notamment les banques Européennes qui détiendraient 70 % des titres de la dette grecque.
1 - 2 La spéculation sur les marchés financiers européens
Le comportement de spéculation sur les marchés financiers européens a été encouragé par les agences de notation (Standard & Poor's et Fitch), accusées d'avoir alimenté la spéculation. Beaucoup d’acteurs économiques et hommes politiques ont mis l’accent sur la nécessité de revoir les méthodes de notation et que leur transparence soit mieux assurés. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a déclaré en décembre 2010 dans le rapport d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale : « il n’est pas exclu que les mouvements aient été amplifiés par des opérations spéculatives utilisant des instruments sophistiqués comme les CDS ou les ventes à découvert. »
Le taux des obligations grecques est passé de 5 % à 25 % entre janvier 2010 et Octobre 2011. La dette s'élevait avant décote à 157 % du PIB en septembre 2011, alors le Japon avec un niveau d'endettement plus élevé équivalent à 200 % du PIB avait des taux d'obligations de 1 % dans la même période, et une dette détenue à 92 % au Japon. L'augmentation des taux grecs ne peut donc être uniquement expliquée par un risque accru qui serait lié à un accroissement de la dette du pays mais il faut aussi le lier à des opérations spéculatives qui ont augmenté considérablement les risques pour la Grèce. Cette spéculation a fragilisé davantage la Grèce en augmentant les coûts de la dette, c’est l’effet « boule de neige ». Prés de 70% de cette dette est détenu par les créanciers étrangers notamment les banques européennes comme BNP Paribas, Société Générale et le Crédit Agricole.
En réalité, le risque de défaut de remboursement n'avait pas augmenté pour les prêteurs puisqu’on mai 2010, la BCE indiquait « accepter les titres grecs, quelle que soit leur notation, en garantie contre des prêts ». En plus, la totalité des titres obligataires avaient été couverts par des assurances de type CDS (Credit Default Swap) par leurs créanciers.
Il y a eu corrélation entre les mouvements spéculatifs et les notations. Une étude du FMI en mars 2011, montre l'importance des notations des dettes souveraines par les agences dans le déclenchement des mouvements spéculatifs qui favorisent l’augmentation des taux. La Grèce est à ce jour le pays le plus mal noté au monde par les agences de notation .
2 - Le risque de contagion de la crise Grecque
Les données collectées par Barclays Capital sur l'engagement des banques étrangères en Grèce, montrent qu'à la fin 2010 les prêts publics et privés consentis par les dix principaux pays créanciers d'Athènes dépassaient les 200 milliards d'euros. En excluant les prêts bancaires de ces dix pays au secteur privé non financier, l'exposition ressort à plus de 160 milliards d'euros.
La France est en tête des créanciers de la Grèce avec 60 milliards d’euros (35 milliards sans les crédits au secteur privé non financier). L'Allemagne suit avec respectivement 50 et 44 milliards. Les Etats-Unis arrivent en troisième position avec 34 et 31 milliards d'euros. Viennent ensuite l'Italie (19 et 18 milliards), le Royaume-Uni (14,6 et 9 milliards) et l'Espagne (11 et 10,5 milliards).
Le défaut grec risque aussi de déclencher un mouvement de panique sur les autres pays fortement endettés comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, déclenchant de nouvelles dégradations des agences et une dangereuse spirale négative. Enfin, un défaut grec pourrait provoquer le paiement des CDS (« credit defaut swaps »), ces assurances contre la défaillance de la Grèce, mettant en danger les émetteurs de ces produits, pour la plus part des banques Européennes comme BNP Paribas, Société Générale et le Crédit Agricole.
Le risque de contagion commence à fragiliser l’Italie, ce qui a entraîné la chute du gouvernement, les marchés attendent une politique d’austérité pour réduire l’endettement et revenir à un déficit budgétaire équilibré.
Suite à l’accord du 27 octobre 2011, la France et l’Allemagne veulent faire contribuer le secteur privé à hauteur de 30 milliards d'euros. Les banques Européennes doivent renoncer à 70% de leurs créances.
La Grèce a déclenché un mouvement de panique considérable sur les marchés financiers, ceci a contribué au transfert des risques de la sphère financière à la sphère réelle. En effet, la plupart des pays on revu à la baisse leurs prévisions de la croissance. Aujourd’hui, les marchés financiers attendent des garanties de la part des pays européens et des signaux forts. La BCE comme l’ensemble des pays européens à leur tête l’Allemagne et la France doivent adopter une politique efficace et une meilleure coordination des mesures économiques et financiers pour rendre la confiance aux marchés européens et éviter la contagion vers les autres pays européens.
Dr Jaber CHEBBI
(*) Docteur en finance internationale de l’Université Paris Dauphine. Dr Jaber CHEBBI a enseigné la finance internationale à l’Université Paris-Dauphine et à l’Université Panthéon Assas Paris II. Il est actuellement consultant expert en Risk Management pour les Banques et les assurances en Europe.
Dr Jaber CHEBBI a publié en 2010 un livre sur « Libéralisation financière et crises bancaires dans les pays émergents » (Broché - novembre 2010)
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