Après la révolution, la révolte…ou le complot
«Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société. Ils ne s’aiment pas mais se craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices.»
(Etienne de la Boétie - Discours
de la servitude volontaire).
Le parti unique est grand !
Le rôle de l’opposition dans une démocratie est peut-être plus important que celui de la majorité. C’est de sa capacité réélle à s’opposer et à proposer que dépend le sort même de la démocratie. Alors y a-t-il une chance pour que l’opposition démocratique soit un jour véritablement organisée, agissante et en mesure d’offrir une alternative, si ce n’est une alternance ?
Au lendemain du 14 Janvier, le paysage politique s’est enrichi de dizaines de partis politiques, tous plus petits les uns que les autres. Nous avons assisté à la naissance d’une bulle politique, qui voit se multiplier l’investissement dans un secteur nouvellement ouvert à la concurrence, et dont l’issue serait, pour une fois, autre que la compromission, l’exil ou la prison.
Dès le 24 octobre, cette bulle a explosé, et le krach politico-boursier a vu dégringoler certaines actions qui ne valaient même plus le prix de l’encre qui a servi à écrire leur manifeste. L’opposition démocratique comptant ses voix émiettées aux quatre vents, avec des sièges parfois acquis au dixième du quotient électoral, autant dire par hasard. Le camp démocratique avait la gueule de bois, après une campagne d’ego-parades enivrante.
Depuis, chaque semaine on nous promet que l’on va voir ce que l’on va voir, que les erreurs du passé seront vite oubliées. Promis, juré, les partis vont s’unir dans l’intérêt supérieur du pays! Mais parfois la question se pose de savoir si certains ont, ne serait-ce qu’une vague idée, de ce que peut être l’intérêt du pays.
Ce que les Tunisiens démocrates et modernistes attendent du paysage politique, ce n’est pas un regroupement de circonstances, mais une vraie remise en cause de l’approche politique et partisane, à travers la construction de nouveaux rapports entre les partis et la société, dans un cadre institutionnel qui consacre la rupture avec les oripeaux du pouvoir monopolistique et tutélaire. Mais c’est oublier à quel point les partis, dans leur mode de gouvernance, sont parfois le parfait miroir du pouvoir qu’ils ont combattu.
Ces regroupements doivent se faire dans une démarche de structuration cohérente du paysage politique. Il n’est pas imaginable d’offrir un ersatz dont le seul fondement serait d’être un parti moderniste, comprenez : anti-Ennahdha. Le modernisme ne fait pas un parti, il en faut plus en termes de positionnement, d’orientation et de stratégie. Mais surtout, il faut une base large et cohérente, qui puisse se retrouver dans un projet d’unification.
L’idée que les forces démocratiques puissent se fondre dans un nouveau grand parti unique a aujourd’hui du plomb dans l’aile. Les partis sont dans la tourmente, ne sachant plus quelle initiative retenir. S’il faut un parti unique du centre ou s’il faut au contraire proposer un paysage pluri-partisan, allant de l’extrême gauche au centre droit et dans lequel chacun pourra se retrouver quelles que soient son origine sociale, ses convictions idéologiques ou religieuses.
Les partis ne sont pas propriétaires des voix qu’ils ont recueillies lors des dernières élections, et ce n’est pas sur une logique arithmétique que l’on pourra construire un parti d’avenir, qui soit une réelle force d’aspiration.
Certes, aujourd’hui, sous la pression de la société civile mais aussi des donateurs, les rapprochements sont en cours, et sont inéluctables. Mais si l’approche entreprise devait consacrer les mêmes individus, dans les mêmes structures pour engager les mêmes stratégies, alors ce sera une addition à somme négative.
Ces partis doivent entendre l’appel à la démocratie et au renouvellement qui parvient étouffé, de leurs bases, et ouvrir portes et fenêtres pour créer un courant d’air salvateur, en acceptant le risque de voir emportés les leaders d’aujourd’hui, un peu comme une forme de Glasnost au temps de Gorbatchev..
La paix sociale en danger
La révolution a provoqué la destruction des conditions de la paix sociale, qui ont toujours été fondées sur la monopolisation du pouvoir et la négation du pluralisme, y compris dans l’action des institutions publiques nationales. La révolution a mis fin à cette situation et recréé le lien entre droits civiques et politiques d’un côté et droits socioéconomiques de l’autre.
Avec la disparition du régime autoritaire, l’action du gouvernement et des institutions publiques et même des associations n’arrivera pas à bout des revendications sociales, légitimes ou pas. Cette relation nouvellement créée entre citoyenneté et droits sociaux va totalement et définitivement changer les conditions d’exercice du pouvoir.
Le pouvoir déchu s’est durablement nourri de la stabilité sociale, en donnant l’illusion d’une communauté nationale solidaire, renforcée par la recherche de l’accession au bien-être et l’impératif de la performance économique, pour plonger le peuple dans un état de servitude volontaire au bénéfice du tyran. Mais aujourd’hui, c’est l’instabilité sociale, dans un contexte de grave crise identitaire et économique mondiale, qui emportera le pays dans le chaos. Les statistiques parlent de 5,4% d’inflation sur les douze derniers mois et 750.000 chômeurs, alors que la réalité est certainement pire, et que la dégradation risque de s’amplifier encore.
Il faut rajouter à cela un contexte politique délétère, et un gouvernement incapable de mettre en œuvre des mesures immédiates, d’autant qu’il semble avoir vite oublié qu’il y a eu une révolution et que le peuple attend des changements, qui tardent à venir.
Si le peuple devait se satisfaire de promesses, il aurait conservé Ben Ali au soir du 13 janvier. Ajouter à cela le fait que les Tunisiens attendent une rupture qui ne vient pas. De quelle rupture parle-t-on lorsque le pouvoir s’entoure de conseillers et de donateurs qui ont été, jusqu’au 14 Janvier, les hommes de paille et les principaux bénéficiaires du système Ben Ali. Cela rappelle des pratiques que les plus naïfs ont cru brulées à jamais par le soleil levant du 15 janvier.
Alors certes ce gouvernement est nouveau, inexpérimenté et la situation est difficile, mais ce sont là des raisons qui devraient l’engager à être plus rigoureux, réfléchi et cohérent, à défaut d’exiger de lui des résultats. Ennahdha se prend les pieds dans le tapis de prière des salafistes, et le gouvernement ne sait plus à quel saint se vouer pour concilier des impératifs économiques et sociaux avec les principaux objectifs politiques du parti.
Ennahdha cherche à greffer une révolution islamiste à une révolution à l’origine sociale, et commet une erreur stratégique grave, de confusion des agendas. Alors y aurait-il complot d’Ennahdha contre le gouvernement ?
Un jeu dangereux
Prenons garde, que ces jeux ne mènent le pays au chaos. Les prochains mouvements conduiront le peuple à la révolte et les populations à l’émeute. Les Tunisiens s’en prendront aux Tunisiens, armes à la main, la faim au ventre et la haine dans les yeux. Que l’on arrête de se raconter des fables, selon lesquelles les Tunisiens formeraient un peuple uni et pacifiste.
C’est un peuple pluriculturel, où les écarts entre les niveaux de vie sont devenus intolérables et où l’indécence le dispute à l’immoralité, le matérialisme à l’individualisme. Le 14 Janvier, il y avait 11 millions de Tunisiens unis contre une poignée de malfrats, il n’y avait point besoin de violence. Aujourd’hui, le peuple est divisé, la violence monte, et le pays est au bord de la milice.
Il est urgent qu’il y ait une prise de conscience collective du gouvernement et de l’opposition chacun pour ce qui le concerne, mais aussi des organisations nationales et de la société civile que le temps est à l’action sociale et économique, et que la constitution doit être traitée à minima dans une recherche de consensus unanime. La constitution est le socle sur lequel doit être édifiée la Tunisie de demain, et dans laquelle tous les Tunisiens doivent pouvoir se retrouver, dans le respect de leur droit à la différence.
Cela est possible, si l’on se concentre sur les principaux articles qui permettront de veiller à la non-confiscation du pouvoir par le politique au détriment du peuple. Pour cela, il faudra évacuer du débat toutes les questions qui n’ont pas de lien direct avec les objectifs de la révolution, et qui sèment aujourd’hui la division entre les Tunisiens.
Point de charia ou de laïcité, mais plus de libertés et de contre-pouvoirs. Il est temps que l’opposition à l’ANC prenne son rôle au sérieux et se préoccupe d’être une force de proposition sur des sujets sociaux, économiques et politiques, pour être autre chose qu’une simple caisse de résonance des dérives constantes de la majorité. L’opposition n’a-t-elle rien à proposer sur la fiscalité, la gestion des actifs confisqués, la justice transitionnelle, le traitement social du chômage, et sur bien d’autres sujets encore? Va-t-elle, sous un gouvernement pyromane, se contenter à être là pour écrire une constitution ?
Oui en Tunisie, aujourd’hui, les loups eux-mêmes crient au loup, alors après la révolution, la révolte ou le complot? Peut-être bien les deux.
Par Walid Belhadj Amor
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citation: La constitution est le socle sur lequel doit être édifiée la Tunisie de demain, et dans laquelle tous les Tunisiens doivent pouvoir se retrouver, dans le respect de leur droit à la différence. L'auteur se noit dans une approche simpliste. Peut-il donner une réponse sur ce qu'il faudrait écrire dans la constitution si sur une question importante, il y a entre Tunisiens des avis diamètralement opposés et surtout si un avis est soutenu par une majorité et l'avis contraire est soutenu par une minorité!?