Tunisie, quo vadis ?
Le mélodrame tragi-comique à épisodes que le peuple tunisien est contraint à subir au quotidien et les événements qui défrayent la chronique et qui prennent une allure de plus en plus vertigineuse, inquiétante et hallucinante, nous laissent tous perplexes au point que le commun des mortels tunisiens ne sait plus à quel saint se vouer et déboussolé, il s’enfonce de plus en plus dans le stress, l’incertitude, l’anxiété et la violence tant le vacarme et les manœuvres provoqués par la gent politicienne ne nous laissent aucun répit pour reprendre du souffle et comprendre ce qui se passe réellement sous nos cieux puisque l’info s’enchevêtre avec l’intox, la diffamation avec l’allégation, l’annonce avec le démenti, l’action avec la diversion, la thèse avec l'antithèse, etc.
A travers cet article, je tenterai de faire appel à l’histoire pour qu’elle vienne à la rescousse du peuple tunisien et de sa révolution et je commencerai par citer des passages de trois discours historiques prononcés par trois personnalités politiques de premier rang, qui ont sans doute marqué l’histoire du vingtième siècle et contribué amplement à façonner le monde contemporain tel que nous le connaissons.
Pendant les tumultes de la deuxième guerre mondiale et alors que les états européens s’effondraient comme des châteaux de cartes devant l’avancée implacable du Blitz des armées nazis, et que la survie du «Great British Empire» sur lequel le soleil ne se couchait jamais, semblait de plus en plus incertaine, un nouveau premier ministre répondant au nom de Winston Churchill venait d’être élu pour succéder à Neville Chamberlain. Le 13 mai 1940, Churchill déclarait solennellement devant la chambre des communes lors de son discours d’investiture : «Je voudrais vous dire comme je l’ai déjà dit à ceux qui ont rejoint le gouvernement que je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur». Ce discours franc et honnête ne cachant rien au peuple des menaces qui pèsent sur lui, n’a pas manqué sa cible et a provoqué un sursaut collectif parmi les sujets de sa majesté pour se battre jusqu’à remporter la victoire évitant ainsi de succomber dans la servitude de l’ennemi et s’épargnant la honte de la défaite. Un petit clin d’œil historique pour ceux qui savent le déchiffrer, car même considéré comme un héros national, le vieux lion comme on se plaisait d’appeler Churchill, n’a pas été réélu après avoir été victorieux dans la deuxième guerre mondiale !
Le 27 Avril 1961, le Président John Fitzgerald Kennedy prononçait un discours à l’adresse de l’American Newspaper Publishers Association (association américaine des éditeurs de journaux), dont je vous ai choisi l’extrait suivant : «Le mot « secret » est en lui-même répugnant dans une société libre et ouverte. Et en tant que peuple par nature et historiquement, nous nous opposons aux sociétés secrètes, aux serments secrets et aux procédures secrètes. Parce que nous devons faire face tout autour du monde à une conspiration massive et impitoyable qui s'appuie d'abord sur des moyens déguisés permettant le déploiement de leur sphère d'influence basée sur l'infiltration plutôt que l'invasion, utilisant la subversion plutôt que les élections et l'intimidation au lieu du libre-arbitre. C'est un système qui a nécessité énormément de ressources humaines et matérielles dans la construction d'une machine étroitement soudée et d'une efficacité remarquable. Elle combine des opérations militaires, diplomatiques, de renseignements (CIA, Mossad, etc..), économiques, scientifiques et politiques. Leurs planifications sont occultées et non publiées. Leurs erreurs sont passées sous silence et non relayées par la presse. Leurs détracteurs sont réduits au silence, et leur avis n'est pas sollicité. Aucune dépense n'est remise en question, aucun secret n'est révélé. C'est pourquoi le législateur athénien Solon décréta comme crime tout citoyen se désintéressant du débat. Je sollicite votre aide dans l'immense tâche qui est d'informer et d'alerter le peuple américain, avec la certitude qu'avec votre aide l'homme deviendra ce pourquoi il est né : Libre et indépendant». Rappelons que quelques temps après, c’est à dire le 22 novembre 1963, JFK a trouvé sa fin tragique à Dallas, Texas à bord de la limousine présidentielle et à côté de sa ravissante épouse jacqueline lorsque des balles lui ont transpercé le cerveau, fort probablement à cause de ces positions déclarées.
Au terme d’une marche pour le travail et la liberté vers Washington DC et sur les marches du Lincoln Memorial (le président qui a aboli l’esclavage), le leader emblématique du mouvement pour les droits civiques, Martin Luther King a prononcé le 28 août 1963, son discours resté célèbre pour l’éternité : «I have a dream’ (j’ai fait un rêve) dans lequel il a illustré clairement sa vision d’une Amérique égalitaire et juste qui abolit la ségrégation raciale et dans laquelle les noirs et les blancs arriveront à coexister en harmonie et vivre égaux. L’histoire a bien voulu concéder un gain de cause à King puisque le 2 Juillet 1964, le président Lyndon Baines Johnson signait le Civil Rights Act (loi pour les droits civiques) qui plaçait tous les citoyens américains, toutes races confondues, comme égaux devant la loi. L’histoire nous apprend malheureusement aussi que King a dû payer un lourd tribut pour son rêve et son engagement pour la réalisation du même rêve puisqu’il fût assassiné le 4 Avril 1968 après avoir été longuement traqué par les services secrets et les groupes d’ultraconservateurs racistes avec le kuklux Klan en tête.
Ces trois discours regorgent d’enseignements et par conséquent ils méritent à mon avis plus d’une lecture. Si j’oserai m’hasarder à faire une synthèse et de dresser les parallèles à notre réalité tuniso-tunisienne, je dirai que la Tunisie gagnerait de voir des hommes et des femmes de la trempe de ces trois messieurs, peupler davantage la scène politique nationale et de ne pas céder le terrain aux clowns, amateurs, arrivistes, agitateurs, conspirateurs, fouteurs de troubles, menteurs, mégalomanes, pyromanes, corrompus, traitres, pros de la parlote et de la mijote, etc. Il est évident que ces qualificatifs ne s’appliquent point à tous les acteurs politiques, il y a sans aucun doute des valeureux de différentes obédiences et couleurs politiques, ceux qui font l’exception et qui méritent qu’on leur fasse la révérence pour avoir milité contre le despote et subi de plein fouet ses sévisses et ses exactions, des décennies durant et qui acceptent aujourd’hui la responsabilité de corriger les manquements du régime tyrannique qui leur a tellement fait souffrir.
Ensuite nous avons grand besoin de politiciens ayant du cran pour dire au peuple les quatre vérités qu’il doit entendre pour qu’il se réveille et se rende compte de la criticité de sa situation. Oui, nous avons besoin de ‘Churchill’ tunisiens qui ne nous promettent que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur, mais puisque nous ne sommes pas en guerre, le seul sang qui devra couler, le sera uniquement dans les chantiers de construction et non suite à des batailles rangées dans les artères de la capitale entre manifestants et forces de l’ordre ou entre tribus rivalisantes dans les bleds reculés pour cause de futilités anodines et de rancunes d’un autre âge. Cette folie à la fois suicidaire et fratricide doit cesser une fois pour toutes, il faut se rendre à l’évidence que depuis l’avènement de la révolution, le Tunisien ne travaille presque plus, il ne fait que revendiquer ou saboter le travail de la minorité qui ne s’en lasse pas de tenter l’impossible tâche de faire avancer les choses. Il ne faut certainement pas être un éclairé pour comprendre que seuls le travail laborieux et l’effort de longue halène seront capables de nous faire sortir de la misère et du sous-développement et réaliser les objectifs de la révolution (dignité, liberté, travail, qualité de vie, etc.). Il ne faut pas se leurrer et croire qu’il y aura des richesses providentielles qui nous tomberaient du ciel ou qui surgiraient des entrailles de la terre. Il faut arrêter les mascarades de ceux qui promettent dans des campagnes électorales que le lait et le miel couleraient à flot et que tout le monde aura droit au logement décent, à l’assurance maladie, à des denrées alimentaires presque gratuites, à une indemnité de chômage ou un salaire pour ne rien faire, un mariage aux frais de la princesse et j’en passe et pour y arriver, il faut juste faire des manifs tous les jours, scander des slogans anti-gouvernementaux, couper les routes, organiser des sit-in pour permettre aux chômeurs d’empêcher ceux qui ont du travail de bosser et faire la grève pour augmenter les salaires de ceux qui ont de quoi manger et ne rien laisser à ceux qui n’ont rien du tout. Nous avons aussi besoin de ‘Martin Luther King’ tunisiens qui tout en ayant les pieds sur terre, nous parleraient du rêve tunisien et d’une Tunisie où il ferait bon vivre et surtout qui nous présenteraient une vision, une stratégie et un programme, bref un projet civilisationnel crédible et réaliste pour pouvoir y arriver.
Le discours de Kennedy, dans lequel il parle d’une conspiration massive et impitoyable à l’échelle mondiale, de ses méthodes et de ses moyens considérables, peut à maints égards être considéré comme révélateur et édifiant pour comprendre en partie ce qui se passe à petite échelle en Tunisie. A l’époque, aucun n’est venu à l’esprit de prétendre que Kennedy a inventé ces théories de conspiration afin de détourner l’attention du peuple américain de l’incapacité et de l’incompétence de son gouvernement comme ont dû entendre nos ministres, qui ont osé lancer une bombe médiatique faisant état d’un gouvernement d’ombre et puis d’une conspiration qui vise à faire avorter la révolution tunisienne et la démocratie naissante par la chute provoquée du gouvernement élu, en utilisant la subversion plutôt que les élections et l'intimidation au lieu du libre-arbitre, comme l’a décrit Kennedy dans son discours un demi-siècle auparavant. On a tous entendu parler du complexe militaro-industriel, du gouvernement mondial, des francs-maçons, des illuminati, des templiers et de toutes ces forces occultes qui tirent les ficelles derrière les portes fermées pour dominer le monde et qui sont assez puissants pour déclarer des guerres, renverser des gouvernements, provoquer des révolutions ou les faire avorter, ruiner des économies, manipuler des peuples, déclencher des pandémies (grippe porcine) pour administrer à grande échelle des injections douteuses et même faire disparaître des états (Irak). La révolution tunisienne et les répliques sismiques qu’elle a engendré à travers le monde, ont changé la donne politique ainsi que les équilibres géostratégiques pour lesquels ces forces ont de longue date soigneusement œuvré. Il est clair que ses forces, qui ont été pris au dépourvu par les bouleversements dans le monde arabe, ne vont pas se résigner et lâcher prise mais qu’il vont tout faire pour défendre leur sphère d’influence qui commence à vaciller et s’effriter et pour reprendre le contrôle de la situation en empêchant les Tunisiens ainsi que les autres peuples du printemps arabe de devenir pourquoi ils sont nés : Libres et indépendants.
Une conspiration est à fortiori avortée et vouée à l’échec lorsqu’elle est révélée au grand public. Que les Tunisiens soient avertis, peu importe qu’ils soient des protagonistes manipulés ou faisant partie de la majorité silencieuse, que chaque fois que des forces essayent sous quelque prétextes que ce soit de renverser un gouvernement légitime avec la force, la subversion et l’intimidation et au mépris des règles démocratiques et d’une procédure électorale libre et transparente, que derrière se cache un plan machiavélique pour rendre le peuple à la servitude de ses forces occultes dont Kennedy nous en a parlé avant de rendre sa révérence.
A l’adresse de nos législateurs qui s’apprêtent à redéfinir les institutions de l’état et à écrire la constitution, je suggère de s’inspirer de l’agence fédérale allemande pour la protection de la constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz) pour créer un organe de renseignement républicain sous strict contrôle parlementaire qui aura à charge de défendre la révolution, la constitution et la liberté du peuple tunisien des dangers qui les guettent et grâce auquel ceux qui conspirent contre notre chère patrie n’auront plus le jeu aussi facile.
Chokri Aslouje
Ingénieur
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