Un compromis historique entre laïques démocrates et islamistes modérés est-il possible ?
Les islamistes hissés au pouvoir dans nombre de pays arabes, après avoir souffert longtemps de la répression et de l’exclusion, sont-ils en mesure de tenir leurs promesses d’instaurer la démocratie, d’accélérer le développement et d’établir des relations de partenariat avec leurs contradicteurs et opposants ? Telle est l’interrogation centrale du livre que vient de publier Kamel Ben Younes sous le titre de : «Islamistes et Séculaires en Tunisie, des prisons et de la répression au défi de «gouverner le pays».
L’auteur pousse son analyse pour s’interroger sur la capacité de ces partis à se réconcilier avec eux-mêmes et les autres, promouvoir le pluralisme intellectuel et culturel, et s’ouvrir sur les valeurs de la modernité ainsi que les mouvements séculaires. Et quelles chances réelles d’un « compromis historique entre laïques démocrates et islamistes modérés ?».
S’il n’apporte pas à toutes ces questions des réponses tranchées, il offre les clefs d’une analyse pertinente qui reste cependant à se confirmer, l’expérience étant encore récente. Les illustrations que Kamel Ben Younes puise dans le parcours du mouvement Ennhadha, à travers des entretiens avec ses principaux dirigeants, fournit des éclairages instructifs. Il complètera l’ensemble par une cartographie inédite des figures emblématiques du mouvement islamiste tunisien.
A travers une série de portraits nourris de témoignages personnels, Kamel Ben Younes retrace le profil des précurseurs, puis des successeurs. Parmi les précurseurs de l’islamisme en Tunisie, il présente les cheikhs Mohamed El Fadhel Ben Achour, Mohamed Salah Ennaifer, Abdelkader Slama, Abderrahmane Khelif, Mohamed Habib Mestaoui et d’autres. Quant aux successeurs, la galerie de portraits porte sur des dirigeants connus et d’autres beaucoup moins connus ayant appartenu à la première génération du Mouvement de la Tendance Islamique, devenu Ennahdha. On y retrouve non seulement cheikh Rached Ghannouchi, Hmida Ennaifar, Slaheddine Jourchi, Sadok Chourou, Hamadi Jebali, Abdelfettah Mourou, Ali Laarayedh, Hassen Ghodhbane et autres Ajmi Lourimi, Abdelkérim Harouni, Samir Dilou et Abdellatif El Mekki, mais aussi les Salah Karkar, Mohamed Chammam, Benaissa Demni, Zouheir Ben Youssef, Souad Ghozzi, Ali Gaaliche, Sohnoun Jouhri, Habib Mokni et bien d’autres.
Pour les avoir connus personnellement, dès sa prime jeunesse à l’âge de 16 ans, en fréquentant leurs cercles et avoir partagé avec nombre d’entre eux trois pénibles années de prison au 9-Avril et à Borj Erroumi (1981-1984), Kamel Ben Younes, qui a également accompagné, en tant que journaliste et activiste membre de plusieurs ONG, leurs luttes puis l’accession d’Ennahdha au pouvoir, est bien placé pour en parler. Sans verser dans la biographie classique, il restitue pour chacun les traits de caractère, les positions prises et les actes significatifs de militantisme accompli, parfois même des distances prises à l’égard du mouvement, voire des autocritiques. Cette galerie devient ainsi un manuel cartographique pour ceux qui s’intéressent de près à ces dirigeants d’Ennahdha et souhaitent mieux connaître leurs fondements et référentiels.
Journaliste d’investigation et d’analyse (Al Anwar, Ech-Chourouk, puis Assabah), correspondant de nombre de médias étrangers, notamment la BBC, Kamel Ben Younes, 54 ans, est également enseignant universitaire en communication, conférencier auprès de think- tanks internationaux et membre actif au sein de nombre d’ONG. Il préside le Forum Ibn Rochd des études euromaghrébines et dirige la rédaction de la Revue de l’Association des études internationales.
Islamistes et Séculaires en Tunisie
Des prisons et de la répression au défi de « gouverner le pays »
Par Kamel Ben Younes
Berg Editions, 200 pages, avril 2012
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