Amor Jomni : Réinventer la calligraphie tunisienne
Pour Amor Jomni, designer-calligraphe, c’est une question d’identité patrimoniale. «Nous avons longtemps cherché, dit-il, à imiter les calligraphies arabes en vogue en Orient et rarement cherché à valoriser la nôtre, maghrébine. C’est à cela que je me suis employé, en cherchant à distinguer plus particulièrement le style tunisien et lui donner toute son esthétique ». Une démarche qui lui vaut de grands prix internationaux à Istanbul, Doha, Dubaï, Sharjah, Médine, Téhéran, Alger, Rabat, etc. Ses expositions jusqu’au Japon et en Chine seront très visitées. Et dire qu’il a failli être technicien en sidérurgie, à Strasbourg…
Très jeune, Amor Jomni était admiratif de l’oeuvre de son cousin, disciple du grand calligraphe Mohamed Salah Khammassi. Il aimait le regarder pendant de longues heures dessiner de sa plume affûtée les contours d’une superbe calligraphie. Son frère aîné aussi s’y mettra mais finira par y renoncer pour partir en France. Amor suivra les traces de son frère et trouvera un emploi dans une sidérurgie du Nord où il restera 3 ans (1974-1977). Rappelé par son père et pour lui obéir, il renoncera finalement à l’émigration et retournera au pays. Premier acte : passer son service militaire, ce dont il gardera un bon souvenir. Libéré, il prend alors tout son temps pour plonger dans les clubs culturels et maisons des jeunes, s’adonner aux différentes expressions artistiques. Et c’est à ce moment-là que ses vieilles amours pour la calligraphie se ravivent en lui. Il s’y appliquera et finira par enseigner au Centre national de la calligraphie pendant 3 ans.
«Une fois que j’ai bien maîtrisé les fondamentaux, dit-il, je me suis dit que je dois innover et apporter mes propres empreintes. C’est ainsi que je me suis mis à étudier la structure du style maghrébin, en décortiquant ses caractéristiques et en vérifiant dans les vieux manuscrits ce qui peut distinguer l’écriture tunisienne de celle des autres pays d’Afrique du Nord. A partir de cette recherche, j’ai pu établir une sorte de typo-thèque bien distincte qu’il ne me restait plus qu’à développer ».
Amor Jomni avait déjà décroché un premier poste de calligraphe à la Revue de la Radio Tunisienne puis à l’hebdomadaire Al Bayane où il officie encore depuis de longues années, tout en répondant à diverses sollicitations de communication. Mais, sans que tout cela ne le détourne de son oeuvre essentielle. Superbes créations graphiques, illustration de poèmes et de versets coraniques, grandes fresques murales comme pour les mosquées de Hammam-Lif, Hammam Chatt, Borj Cédria, Béni Khalled.
En 2009, Hafedh Boujmil des éditions Nirvana lui propose un grand projet : illustrer pour un livre-album de prestige une série de poèmes d’Abou El Kacem Chebbi, en lui laissant l’entière liberté de concevoir le style de son choix. L’éditeur voulait favoriser ainsi une rencontre entre deux expressions artistiques dans une zone frontalière où la poésie devient calligraphie et la calligraphie, poésie, dans un entremêlement harmonieux. Acquis à l’oeuvre, sensible aux peines du poète et à ses élans, Amor Jomni y donnera libre cours à tout son talent. Le résultat ne peut constituer qu’un bon chef-d’oeuvre.
Il y passera beaucoup de temps mais continuera à exposer un peu partout dans le monde, raflant de nouveaux prix. A chaque voyage, il s’emploie à découvrir ce qui se fait de plus et de mieux en calligraphie dans diverses langues, essayer de trouver de vieux manuscrits, rencontrer d’autres designers, échanger avec eux ; bref, se ressourcer. Tout cela ne peut que nourrir sa réflexion et l’inciter à envisager d’autres projets, encore plus innovants, encore plus créatifs.
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