Tourisme : des pistes de sortie de crise
Florissant depuis le début des années 60, le secteur du tourisme donne depuis une dizaine d’années de sérieux signes d’essoufflement.
Les diagnostics qui se sont succédé pour déceler les causes de ce malaise ont abouti pratiquement aux mêmes conclusions .Mais dans les faits, les remèdes prescrits ne sont pas administrés tandis que de nouvelles raisons de s’inquiéter pointent à l’horizon. De quoi s’agit-il ?
Effets du terrorisme mal gérés!
Aux effets désastreux des guerres du Golfe et de l’attaque du 11 Septembre 2001, sur lesquels il n’est pas utile de s’attarder, s’ajouteront pour la Tunisie ceux de l’attaque terroriste contre la synagogue de Djerba, en avril 2002. Alors que dans les autres pays la reprise a été relativement rapide, le nombre d’entrées de touristes européens en Tunisie ne retrouvera plus son niveau antérieur et la reprise, sera lente et partielle: c’est que la Tunisie a cru «opportun» de présenter l’attaque comme un simple accident et a perdu de ce fait de sa crédibilité. Les tour-opérateurs, multinationales dominantes, n’auront pas grand mal à exploiter la situation et faire valoir que pour vaincre la réticence de la clientèle, seuls des efforts conséquents sur les prix pouvaient être efficaces. Une première pression pour la baisse des prix est déclenchée, La trésorerie des hôtels en pâtira et ce sera la première cause de l’endettement des hôtels!
Yasmine Hammamet : une zone sans âme !
Cette pression sera aggravée par la rapide augmentation de la capacité nationale d’hébergement, suite au lancement sans une étude de marché préalable d’une nouvelle zone touristique, baptisée Yasmine-Hammamet, comme si le jasmin avait le don de rendre rentable ce qui, à l’évidence, ne l’est pas ! Tout s’est passé comme s’il suffisait de construire des hôtels pour que les touristes accourent. Car voilà, dans un style désuet et démodé, un alignement en près de 50 exemplaires d’hôtels balnéaires de 4 et 5 hôtels, de véritables platitudes architecturales, quasiment identiques, rivalisant en moquettes et marbre, supposés constituer une zone touristique. Elle sera sans âme ! L’Etat et les professionnels privés en partagent la responsabilité.
Si le point de départ semble avoir été la valorisation d’un terrain, qui servait de pâturage pour dromadaires, juste parce qu’il était en bord de mer, le projet finira par ne représenter qu’un lotissement urbain disputé entre des promoteurs qui n’ont vu chacun que son propre projet hôtelier. De multiples erreurs feront que la station, improvisée à toutes les étapes de sa réalisation, ne fonctionnera pas. Son lancement sur le marché se fera à des prix promotionnels suicidaires puisque les prestations seront offertes au prix des 3 étoiles de Hammamet et de Sousse-Nord ! Ces prix, inferieurs au prix de revient, constitueront un bradage, et seront la deuxième raison de l’endettement des hôtels. La troisième raison découlera de l’improvisation. N’ayant pas préparé le personnel qualifié pour gérer cette zone, celui-ci a dû être recherché dans les hôtels existants. Le débauchage démolira les hiérarchies et les structures de gestion dans ces unités existantes, d’où une inflation au niveau des rémunérations et une dégradation au niveau de la qualité, des prix, et au final de la rentabilité de l’ensemble des unités hôtelières. Non seulement le «produit» Hammamet-Sud ne répond pas à des besoins de «clients ciblés», mais il est en outre «non différencié» dans la mesure où entre un hôtel et l’autre, «seul le prix» peut faire la différence. Cette quatrième raison pour une pression sur les prix sera contagieuse et l’endettement des hôtels est ici d’origine endogène au système. Les taux d’intérêt appliqués par les banques ne constitueront ainsi que la cinquième explication à l’endettement des unités concernées, désormais incapables d’évoluer ni même de se rénover. Les conséquences seront multiples : aucune nouvelle zone touristique n’a vu le jour depuis ! Les banques de développement se sont essoufflées au point, pour certaines, de disparaître, l’arrêt des investissements touristiques a touché de plein fouet les bureaux d’études, les industries du bâtiment, des cuisines collectives, du textile d’ameublement….. tandis que la baisse des taux d’occupation pèsera sur tous les secteurs de consommation courante et du secteur de l’artisanat.
L’ONTT : la faiblesse d’une tutelle
L’examen de l’offre hôtelière à ce jour montre qu’il est possible de classer les hôtels, du centre à la périphérie, en quatre catégories distinctes :
Au centre, se dressent les hôtels 4 ou 5 étoiles généralement franchisés .On peut dire qu’ils sont irréprochables au regard des standards nationaux et internationaux. Le deuxième cercle est composé des hôtels gérés par les tour-opérateurs. Ces hôtels, très différenciés, offrent «un produit bien défini par chacun» et répondant, quelle qu’en soit la catégorie, aux normes nationales et internationales. Ces T.O. hôteliers ne semblent pas concernés par les problèmes du tourisme tunisien dès lors qu’ils gèrent des exploitations profitables dont ils maîtrisent tous les paramètres .Ils ne prennent d’ailleurs pas part aux délibérations de la Fédération hôtelière et traitent de leurs problèmes éventuels directement avec L’administration. Dominants, leur pouvoir de négociation est immense !. Le troisième cercle couvre les unités gérées par les propriétaires ou locataires nationaux d’hôtels, généralement de vrais professionnels. Elles offrent à la catégorie précédente des capacités et des prestations souvent d’appoint, plutôt satisfaisantes, mais subissent les contrecoups de la 4ème catégorie et la dictature des multinationales qui dominent le marché !. C’est à la périphérie, et au niveau de la quatrième catégorie, que l’on trouve l’origine des graves problèmes de l’hôtellerie et du tourisme tunisiens. Les gestionnaires de près de 160 à 200 hôtels (20 à 25 % environ de la capacité totale) sont des promoteurs immobiliers, des commerçants qui cherchent un profit immédiat sans se soucier de fidéliser une clientèle par ou pour un produit défini : les normes de sécurité, d’hygiène, de maintenance des installations, de qualité de la nourriture ou même de confort du client ne sont prises en compte qu’au niveau minimum. En un mot, la satisfaction des clients n’est pas leur premier souci !
La clientèle est fournie par des TO européens ou «tunisiens installés a l’étranger» offrant des prix «low cost». Le produit est de qualité conséquente !. Les hôteliers se diront que pour le prix payé, les prestations sont convenables! Pour le client, des vacances pas chères ne signifient pas prestations de mauvaise qualité. Les non-qualités ne sont pas acceptées! Au low cost correspond donc un low-product : des hôtels endettés et sans maintenance, ni rénovation, vantent «la Tunisie destination bon marché»!.Cela rejaillira sur l’ensemble du secteur qui se trouve « tiré vers le bas » !. Alors qu’ils réclament une énième intervention de l’Etat pour rééchelonner leurs dettes et effacer des ardoises d’intérêts non payés, des hôteliers continuent à vendre la nuitée à des prix absurdes, parce qu’inférieurs aux prix de revient, et à s’enfoncer davantage dans l’endettement. L’ONTT n’a pas réussi à maîtriser ces problèmes : des manquements graves ne sont pas sanctionnés et ses inspecteurs ne sont ni craints ni respectés. En fait, tout le monde sait que, souvent empêchés par de « puissants hôteliers », ils ne pouvaient pas intervenir ?!Ces inspecteurs sont sous l’autorité du gouverneur, de leur hiérarchie directe, et du ministre. Avec plus de 1200 agents pour 850 hôtels, l’ONTT ne parviendra pas à faire appliquer les normes. Sa responsabilité, celle des pouvoirs publics, est en tout cas engagée ! Il a bien lancé un programme de mise à niveau, mais les résultats sont loin d’avoir eu les effets attendus sur le secteur et loin d’être tous convaincants.
Quelle vision pour le tourisme post-Révolution ?
Le tourisme une activité haram ?
Au lendemain du 14 Janvier, le secteur était donc déjà gravement malade :
• Baisse des fréquentations d’origine européenne.
• Inadaptation des produits offerts à la clientèle magrébine (le 1/3 des entrées)
• Spirale de chute des prix et de la qualité des prestations.
Trois études d’orientation stratégiques ont bien été effectuées respectivement par la Banque mondiale, l’Agence japonaise de coopération internationale puis par un expert français. Elles n’ont cependant été suivies d’aucun « plan de relance » sur lequel se seraient engagées toutes les parties concernées. Pourtant, des principes et des règles simples peuvent être appliquées pour sortir le secteur du drame qu’il traverse et les professionnels n’ont pas besoin d’experts ni d’études stratégiques pour résumer leurs idées et leur dire ce qu’il convient de faire !
Eléments d’un plan de redressement
Le redressement du secteur pourrait être recherché à travers notamment:
• la restauration de l’ONTT dans son rôle et ses attributions pour veiller au strict respect par les hôteliers de toutes les normes légales et celles promises par leurs publicités. Aucune dérogation ne doit être tolérée. La qualité a un coût qui doit être assumé: les bénéfices provenant de la non- qualité sont néfastes. Il importe alors que l’ONTT soit décentralisé pour que chaque région fasse prévaloir ses propres atouts. Il doit aussi être plus proche des hôteliers et leur apporter conseil et assistance. Il veillera aussi au respect de quelques règles essentielles :
• Les contrats doivent être conclus en Euros. Tout le monde sait pourquoi.
Ils doivent aussi mentionner que les montants facturés doivent être réglés sans retenues pour réclamations des clients. Ces retenues qui finissent par constituer une réduction de prix a posteriori doivent être décidées par un arbitrage impliquant l’ONTT et en cas de pénalité être sanctionnées par celui-ci.
• Les contrats de location d’hôtels doivent être réglementés: le secteur du tourisme est trop important pour être confié à des amateurs.
• La formation du personnel doit faire l’objet d’une évaluation en vue de l’actualisation des programmes. Le personnel hôtelier doit parler correctement les langues des clients et savoir communiquer convenablement. Quant aux guides, ils doivent en outre avoir la culture nécessaire pour les renseigner correctement et leur faire aimer la Tunisie
• Le rétablissement de la vérité des prix de sorte que le touriste n’ait pas accès à la caisse de compensation ni pour les produits alimentaires ni pour l’énergie. Il n’y a aucune raison à cela !
• Les opérateurs sont responsables et assument leurs risques d’investisseurs. Ils doivent réaliser que s’agissant d’une activité libre et privée, ils sont appelés à assurer la rentabilité de leurs entreprises et en cas d’échec en assumer les conséquences. Le tourisme ne peut pas et ne doit pas être une activité subventionnée.
Le besoin d’une nouvelle vision : le tourisme n’est pas haram !
Dans un second temps, et une fois la normalité rétablie, il importe que les professionnels et les pouvoirs publics aient ensemble une vision du tourisme tunisien qui tienne compte de l’évolution du marché mondial, des besoins des nouveau vacanciers, qu’ils proviennent des marchés traditionnels ou des nouveaux pays. L’apparition du concept d’hôtels halal fait peser sur le tourisme une nouvelle menace.Ce concept devra être considéré avec beaucoup de prudence et de clarté. Le gouvernement vient, fort opportunément, de rassurer à haute voix toute la population que le tourisme n’est pas un secteur haram. S’agissant d’un secteur responsable de 7% du PIB, de 350 000 emplois directs, c’est-à-dire près de 1,5 million de personnes, sans parler du secteur de l’artisanat et du puissant effet d’entraînement sur tous les secteurs de l’économie, et enfin d’une contribution à hauteur de 50% à la couverture du déficit de la balance commerciale, cette rectification s’imposait.
Promouvoir un produit touristique diversifié
La diversification du produit touristique évoquée depuis des années comme une nécessité relève encore de la cogitation intellectuelle !. Le golf, la thalassothérapie et le tourisme médical et le thermalisme ont chacun déjà ses problèmes qu’il convient de traiter rapidement pour éviter qu’ils connaissent la même dérive que l’hôtellerie. Mais il faut aussi compléter la gamme ;
Le rôle de l’AFT et de l’ONTT redéfini
La visite des palais beylicaux récupérés et restaurés, de la Manouba, du Bardo, de La Marsa, de Carthage, et du palais de Bourguiba à Monastir, à côté des sites archéologiques dont regorge la Tunisie offrirait l’occasion de raconter intelligemment la Tunisie et de la faire aimer. Les sites de Carthage, d’El Jem et Sbeïtla, et de Dougga, pour ne citer que ceux-là, doivent être montrés sur tous les écrans de télévision du monde . La diversification des produits touristiques pourrait être approchée aussi en faisant revivre des souvenirs et des noms prestigieux et historiques comme ceux d’Hannibal, de Saint Augustin, d’Ibn Khaldoun et de Bourguiba. Et puis, comment séjourner en Tunisie sans évoquer le souvenir des destructions de Carthage et des guerres qui jalonnent l’histoire de ses relations avec Rome, ou la ligne de Mareth et de Kasserine en rapport avec la Seconde Guerre mondiale….Dans la pratique, des routes d’accès aux bassins des sites archéologiques avaient été suggérées, avec des hôtels-escales, des spectacles son et lumière, des fantasias locales, les constructions de hammams comme à Istanbul, L’AFT et l’ONTT pourraient trouver dans ces orientations ou dans d’autres un nouveau rôle à jouer pour la rénovation et la relance du tourisme. Voir plus grand et plus loin ,et si l’on devait s’intéresser aux nouveaux marchés du 21ème siècle comme les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), les USA, le Canada…l’on pourrait combiner notre offre avec celles d’autres pays de sorte que vu les distances ,le Chinois ou le Brésilien puisse combiner dans un seul voyage deux ou trois pays pour visiter les sites prestigieux, par exemple Rome, Carthage ,Istanbul, les Pyramides. La Tunisie n’a pas toujours su faire valoir ses atouts, mais il n’est jamais trop tard pour le faire : nous avons confondu depuis les années 60 tourisme et hôtellerie. Nous avons créé la SHTT pour construire des hôtels mais nous n’avons rien prévu pour commercialiser nos produits. La réservation par internet doit être favorisée et organisée ; elle pourrait donner un accès plus direct au client et constituer le début d’une certaine autonomie au niveau du marketing.
Le rôle des agences de voyages
Il serait grand temps que les agences de voyages tunisiennes prennent le large et apprennent à naviguer en haute mer pour aller chercher les touristes là où ils se trouvent et leur présentent notre beau pays et nos richesses plutôt que de se contenter de n’être que les «réceptifs» les représentants ,des voyagistes étrangers. A cet égard il paraît anormal que les excursions à travers le pays soient décidées et organisées par les réceptifs des TO, de sorte que si un hôtelier essayait de faire visiter Sbeitla à ses clients par exemple, il n’en aurait pas le pouvoir .C’est le TO qui en décidera ! Ce qui revient à dire que c’est lui qui définit le produit. Les multiples problèmes rattachés au all-inclusive méritent également attention.
L’exemple turc
Un exemple mérite à ce niveau d’être signalé. La Turquie a ciblé les touristes riches, très riches et cherche à concurrencer la Côte d’Azur, Monaco, La Riviera italienne, et Dubaï, tous à la fois. A Aksu, près d’Antalya, le confort, le goût, le luxe, le dépaysement et le rêve relèvent du délire. Cette zone tire l’ensemble du secteur vers le haut : vous y rencontrerez des clients des plus fortunés venant de Russie, des pays du Golfe, d’Europe, d’Iran, de ChineTous les hôteliers cherchent à imiter ce qui s’y fait.. Avec 30 millions de touristes, elle a fait du tourisme un moteur du développement économique et du rayonnement politique : les Iraniens, les Azéris, les Kazakhs, mais aussi les Roumains, Bulgares, Ukrainiens, Russes, Arabes, tous trouvent en Turquie le produit touristique qui leur convient, servis par un personnel qualifié et motivé et parlant leurs langues. Et ce sont les agences turques qui maîtrisent le secteur, en grande partie.
N.K.
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