Mohamed Larbi Bouguerra: Ministres, un instant d'attention, SVP
Mme le ministre de l'Environnement, M.le ministre de l'Agricultutre, M. le ministre de la Santé: un instant d'attention, SVP!
Il est clair que la Tunisie a, aujourd’hui, une ribambelle de sujets épineux voire d’inquiétudes et de soucis. Mais y a-t-il plus précieux que la santé et l’environnement de nos concitoyens ? D’ailleurs les Tunisiens, de Mrigueb au Cap Bon à Oudref en passant par Gallala - pour ne rien dire de ceux de Sfax, de Gabès ou de Bizerte- prouvent tous les jours - parfois bruyamment- que ces thèmes les préoccupent au plus haut point. Il est donc normal que la classe politique s’en occupe. Au carrefour de la réflexion sur l'éthique, la science, la technologie voire la bonne gouvernance, les questions que soulèvent l’affaire soulevée ci-dessous interrogent la maîtrise sociale des sciences et des technologies ainsi que la bioéthique et interpellent les consommateurs et l’industrie agroalimentaire.
De quoi s’agit-il ?
Le 18 septembre 2012, l’équipe du Pr Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire et directeur de l’Institut de Biologie de l’Université de Caen, a publié – dans une revue scientifique américaine à comité de lecture Food and Chemical Toxicology- une étude qui a suscité un énorme intérêt dans le monde entier non seulement dans les milieux scientifiques mais aussi dans la presse.
L’équipe normande a publié les résultats d’un travail conduit durant deux ans sur des rats de laboratoire nourris avec du maïs transgénique et dont l’eau de boisson contenait l’un des herbicides les plus utilisés dans le monde : le Roundup de la multinationale Monsanto qui détient 75% des brevets OGM dans le monde. Séralini et son équipe de sept chercheurs ont nourri 200 rats, pendant deux ans – durée normale de la vie de ce rongeur - avec le maïs modifié NK 603 tolérant à l’herbicide Roundup. Ce composé tue les mauvaises herbes sans porter atteinte aux récoltes de maïs modifié.
C’était là la première fois que l’impact sur la santé d’une plante génétiquement modifiée et d’un herbicide très largement utilisé était examiné sur une telle durée et d’une manière bien plus générale que les études menées par les laboratoires de l’industrie ou les agences de réglementation. La durée de l’expérimentation est bien plus longue que celle de neuf mois généralement adoptée par l’industrie chimique ou par celle des semences. Autre caractéristique de ce travail : il est dû à des chercheurs indépendants, n’ayant aucun lien avec les industriels et dans un laboratoire qui ne doit rien à ces derniers.
L’étude a porté sur 100 rats et 100 rates. Pour ces deux groupes, certains animaux ont été nourris au maïs modifié NK603, d’autres ont eu du maïs modifié traité par le Roundup et le dernier groupe a bu de l’eau contenant du Roundup à la plus faible concentration permise par la réglementation. Naturellement, un quatrième groupe de rats a servi comme témoin et a été nourri avec des croquettes standard de maïs non modifié de la variété la plus proche du NK 603 et bu l’eau de robinet.
Les résultats ont été pour le moins alarmants
Les rats nourris au NK603 ou ceux auxquels on a donné de l’eau contenant du Roundup sont morts prématurément, bien avant ceux du groupe de contrôle. De plus, ils ont développé des troubles hormonaux et sexuels. Les femelles, notamment, ont souffert de tumeurs mammaires et de troubles rénaux alors que les mâles succombaient majoritairement du fait d’insuffisance rénale. Au total, 50% des rats et 70% des rates sont morts prématurément alors que, dans le groupe témoin, on avait 30 et 20% de mortalité respectivement. Chez les femelles, les grosses tumeurs – dont 93% sont des tumeurs mammaires - sont cinq fois plus fréquentes que chez les mâles. Bien évidemment, ces tumeurs portent atteinte à la santé des rongeurs étant donné leur taille importante et parce qu’elles gênent grandement la respiration ou la nutrition et la digestion.
« Ces résultats sont très inquiétants » a déclaré le CRIIGEN - Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique composé d’experts spécialistes des OGM, des pesticides et de l’impact des polluants sur la santé et l’environnement - lors d’une conférence de presse tenue le 16 octobre 2012 à Paris dans les locaux de la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FCLM) en présence de trois membres du CRIIGEN : Joël Spiroux, médecin, président du CRIIGEN, Corinne Lepage, avocate, membre du Parlement Européen et le Pr Gilles-Eric Séralini. La FCLM - tout comme le CRIIGEN et d’autres mécènes - a soutenu ce travail qui a nécessité 3,2 millions d’euros (soit près de 6,4 millions de DT), les pouvoirs publics ayant refusé de financer cette recherche. « Ces résultats prouvent la toxicité à la fois d’un OGM et d’un herbicide très largement utilisés de par le monde, même quand ce pesticide se trouve dans l’eau à une concentration très faible comme celle que l’on rencontre dans l’eau de robinet ou celle des eaux de surface. » dit en substance le CRIIGEN. Celui-ci souligne que ces données mettent en cause les processus réglementaires qui sont utilisés mondialement pour évaluer les risques pour la santé de ce type de produits. Il demande en conséquence que les procédures de mises sur le marché de ces substances soient immédiatement révisées et réclame avec insistance que les tests à 90 jours pratiqués par l’industrie soient abandonnés au profit de ceux qui durent deux années pleines car les tumeurs, insiste-il, n’apparaissent dans l’étude de l’équipe de Caen, qu’au bout de quatre mois. Rappelons que plusieurs études du Pr Séralini ont montré l’impact indiscutable du Roundup sur la santé humaine. En avril 2007, il avait mis en lumière les effets toxiques jusqu’alors inconnus de cet herbicide sur les cellules de l’embryon humain puis, en janvier 2012, il avait montré que même avec des taux extrêmement faibles de Roundup, les cellules humaines pouvaient être endommagées.
Les résultats de l’étude menée par l’équipe du Pr Séralini - s’ils tiennent face aux critiques acerbes, virulentes et- curieusement- si rapides des instances de réglementation, des industriels des OGM et des pesticides ainsi que celles des experts qu’ils entretiennent et qui ont toujours clamé que leurs produits sont sûrs - devraient avoir d’immenses conséquences tant sur le plan politique que sur les plans social et financier.
Le travail de l’équipe de Caen, commencé en 2008, a été mené dans le secret le plus total pour éviter que les foudres de l’industrie. Monsanto n’a-t-il pas accusé un fermier canadien de cultiver illégalement du colza transgénique ? (voir « Percy Schmeister, un rebelle contre les OGM » in le Monde du 17 octobre 2002). « Monsanto interdit en effet à tous les utilisateurs de ses semences de les utiliser eux-mêmes ou de les vendre à des fins de recherche » affirme Corinne Lepage dans son livre « La vérité sur les OGM, c’est notre affaire » (Editions ECLM, Paris, septembre 2012). Par le passé, des scientifiques ont été traînés dans la boue et perdu leur travail pour avoir osé mettre en lumière les aspects négatifs des OGM. Cela a été le cas d’Ignacio Chapela au Mexique ainsi que celui du Pr Arpad Pusztai de l’Institut Rowett en Ecosse qui a été limogé pour avoir prouvé que les pommes de terre génétiquement modifiées attaquaient l’estomac et le système immunitaire des rats. En dépit de ces peu reluisants tangages, le génie génétique reste « une technologie prometteuse à ne pas confondre avec les OGM à usage alimentaire, permettant la brevetabilité des semences et qui se caractérisent par le fait d’être des pesticides ou tolérants à des herbicides » avertit fort justement Corinne Lepage.
En dépit des furieuses critiques portées à la méthodologie de cette étude, il est clair que ce travail pose des questions incontournables. C’est l’étude la plus longue faite sur cette variété de maïs et si nombreuses sont les voix de scientifiques, de députés et de juristes que les gouvernements doivent la prendre au sérieux. Le Premier Ministre et les responsables français de la santé et de la sécurité vont ouvrir une enquête approfondie sur le maïs NK603. Il en est de même pour l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA). La Russie, de son côté, a décidé de suspendre l’importation de maïs NK603. Quant au Pr Séralini, auditionné par l’Assemblée Nationale à Paris, il réclame la publication des données avancées par l’industrie lors des demandes de mise sur le marché – données considérées comme propriétés commerciales non publiables - et leur évaluation par des experts indépendants n’ayant jamais pris part aux commissions de mise sur le marché de ces produits. Il demande aussi la révision des autorisations accordées aux semences transgéniques, la prolongation des tests au-delà de 90 jours et leur conduite par des instances publiques, indépendamment des compagnies.
Le travail du Pr Séralini donne l’occasion de rouvrir le dossier de la réglementation des semences génétiquement modifiées et celle des pesticides car sa recherche porte sur ces produits toxiques, mais les salves de critiques ont fait passer au second plan cet aspect essentiel affirme le quotidien londonien The Guardian . OGM et pesticides, pense-t-on, ont été mal évalués et les multinationales ont bénéficié d’une réglementation trop laxiste. La très puissante industrie des OGM et des pesticides – qui impose le secret sur ses propres recherches - a constamment résisté à tout examen extérieur. En ce sens, ce travail interpelle aussi nos honorables ministres : notre pays importe des semences, des aliments de bétail (avec soja transgénique ?), des préparations pour bébés, du lait en poudre, des pesticides…
Une extrême vigilance est de mise dans ce domaine sensible car les pays du Sud sont visés par les multinationales comme on le voit au Burkina Faso voire en Inde, au Brésil et en Chine d’autant qu’on essaie de faire croire « à la productivité accrue des OGM et à la prétendue baisse de consommation des pesticides » affirme Corinne Lepage. Il faut rompre avec les sales pratiques du régime de Ben Ali : la transparence doit présider à la mise sur le marché tunisien des pesticides et des semences d’autant qu’à côté du NK603, il y a aussi MON 863 et MON 810. La société civile, les toxicologues, les agronomes… doivent être associés aux commissions ad hoc et leurs travaux et décisions communiqués à la presse. Il faut, par-dessus tout, éviter les conflits d’intérêt (1).Il faut interdire l’épandage aérien des pesticides comme cela est le cas dans de nombreux pays et il faut enfin prohiber la publicité pour ces composés toxiques et notamment à la télévision qui les qualifie souvent, ô ironie, de « dawa » alors qu’il s’agit de poison tant pour l’homme que pour les animaux, les abeilles, les batraciens… ! Nos responsables pourraient, à cette occasion, lancer une politique qui permettrait au pays de se passer graduellement des pesticides toxiques comme cela se fait dans les pays scandinaves, en Allemagne et ailleurs et inscrire notre agriculture dans une voie résolument saine, biologique, respectueuse de la Nature et du Vivant !
Soucieux de la santé de leurs concitoyens et de leur environnement, nos ministres et leurs cabinets trouveront, nul doute, le temps d’examiner les travaux de l’équipe de Caen et prendront les dispositions qui s’imposent.
Albert Einstein affirmait : « L’homme et sa sécurité doivent constituer la première préoccupation de toute aventure technologique » et bien avant lui, le Prophète enseignait : « Maudite soit la Science qui n’est pas utile aux hommes.»
Mohamed Larbi Bouguerra
1- Coïncidence ou hasard, le Maltais John Dalli, Commissaire à la Santé et à la Protection des Consommateurs à l’Union Européenne a présenté sa démission mardi 16 octobre 2012 car il est soupçonné de trafic d’influence.
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