La publicité tunisienne change de galaxie
Le débat sur l'autodiscipline en matière de publicité, dans la liberté et la responsabilité, organisé ce jeudi à Tunis, intervient à point nommé. Il s'instaure alors que le secteur bénéficie d'une nouvelle dynamique, que les nouvelles technologies, mais aussi la récession économique mondiale, posent de grands défis et que l'exigence éthique des consommateurs se fait de plus en plus déterminée.
Initié par les publicitaires eux-mêmes, avec le soutien des parties concernées et des pouvoirs publics, et associant les principaux acteurs européens spécialisés, ce forum soulève nombre de questions fondamentales. Quid de la publicité comparative, des allégations santé, de la publicité sur Internet, de celle destinée aux enfants, de l'image de la femme, des scènes de violence, etc. Législation, déontologie, éthique, autodiscipline? Voyage au cœur d'un questionnement.
Prononcez le mot publicité et vous verrez ressurgir les relents de vieux procès: un contenu porté à la surenchère si non au mensonge et des "démarcheurs" peu scrupuleux. Valable il y a quelques années seulement, cette imagerie s'estompe aujourd'hui avec l'introduction de la publicité à la télévision, l'émergence de nouvelles agences-conseils en communication, l'arrivée aux commandes dans les agences comme chez les annonceurs et les médias de jeunes avertis et talentueux, l'ancrage du marketing, la sophistication des techniques et outils de communication et l'évolution de la législation. En quelques années seulement, la publicité tunisienne n'a pas changé de génération, mais de galaxie. Même si beaucoup reste encore à faire. D'une machine "à pervertir le consommateur", elle accélère sa conversion en machine à promouvoir la consommation éthique.
L'essentiel, c'est la trajectoire
Ne l'oublions pas, la publicité avait été de 1963 jusqu'en 1971, un monopole d'Etat. Seule une agence gouvernementale, l'ATP, avait alors le droit de l'exercer. Première libéralisation avec la loi du 25 mai 1971, mais institution d'un agrément. Il aura fallu attendre l'avènement de la publicité à la télévision, début 1988, puis l'abrogation par l'arrêté du 26 juillet 2001 de l'agrément et son remplacement par un simple cahier des charges pour que la communication publicitaire se développe et entame son rythme de croisière.
Au niveau du contenu publicitaire, la réglementation s'enrichit de textes fondateurs tels que la loi du 7 décembre 1992 relative à la protection du consommateur, celle du 2 juin 1998 relative aux techniques de vente et à la publicité commerciale, ou encore celle du 9 juillet 2002 relative aux jeux promotionnels.
Cette dynamique s'accélère davantage avec la création, à l'initiative du Président de la République, par le décret du 2 mai 2002, d'un observatoire national de la communication élargi à toutes les activités y compris la publicité.
Sur cette même lancée, et conscient de l'émergence d'un nouveau secteur significatif en terme d'activités, de création d'emplois, de valeur ajoutée, d'exportation et de soutien au développement économique, le ministère du Tourisme, du Commerce et de l'Artisanat entreprend, début 2003, l'élaboration d'une étude sectorielle approfondie embrassant les différents aspects.
De son côté, l'ERTT et sa régie publicitaire l'ANPA s'attellent à la restructuration du dispositif marketing et publicitaire. Déjà, l'ERTT a eu le mérite d'établir dès 1988 une commission consultative sur les spots TV et Radio qui a émis avis et conseils et contribué, autant que peu se faire, à la définition des règles.
Ce qui est remarquable, c'est que cette synergie n'a pas occulté la profession. Forte de 35 agences membres qui représentent plus de 80% des investissements média, la chambre syndicale (SAPA) relevant de l'UTICA se déploie tous azimuts pour la promotion et la modernisation de la pratique publicitaire. Ainsi se dessine une trajectoire porteuse, jalonnée d'étapes fondamentales telles que l'ancrage d'un dispositif d'autodiscipline.
Défis et opportunités
L'évolution de la communication en Tunisie coïncide avec l'ouverture des frontières économiques et l'émergence de nouveaux médias tels que l'affichage mobile, les pignons sur rue, le publipostage et autres formes de marketing direct, la communication électronique et la publicité sur le net, ou les SMS sur le GSM. Les acteurs se métamorphosent: ce ne sont plus les publicistes des siècles écoulés, les affichistes du début du siècle, les publicitaires post-soixante-huitards versus les démarcheurs pour des "programmes et Bulletins" ou les goldens boys de la fin du XXème siècle. C'est un nouveau profil de communicants.
A cette mutation technologique et socio-professionnelle s'ajoute la recrudescence de la concurrence, inévitable déjà en tempsd'opulence et exacerbée par la crise mondiale. Bien évidemment, qui dit concurrence dit risque de dérapage et tentation de surenchères. Mais, en parallèle, la montée du consumérisme s'accentue. Le consommateur est de plus en plus averti, vigilant, exigeant. Du produit, on passe à la marque, à ses valeurs, à sa relation-client, à son éthique. On assiste ainsi la naissance du produit-citoyen (tracabilité, valeurs), des produits-partage qui reversent une partie de leur prix à des œuvres caritatives… La prise de conscience éthique se propage à tous. Autant donc de défis mais aussi d'opportunités qui militent en faveur de l'ancrage d'une culture d'autodiscipline.
Ce couple inséparable: liberté, responsabilité
Métier de création, la publicité est une expression de liberté, une liberté commerciale, certes, mais de pensée libre. Elle a besoin de liberté pour s'exercer utilement. Son impact est fort, son pouvoir est omni-présent, sa force de conviction est redoutable. D'où tout le poids de sa responsabilité. Autant qu'il exige une liberté d'expression, autant le discours publicitaire exige des règles d'exercice. L'Etat légifère, les professionnels s'édictent leurs codes de déontologie librement consentie, mais c'est l'autodiscipline qui l'applique. Cette philosophie centrale est au cœur du débat.
Souvent, on parle d'éthique, ce vocable d'origine grecque (Ethiqué: moeurs) qui, sous l'influence des philosophes (jusqu'à Spinoza dans Ethica), a pris de nouvelles dimensions traduites aujourd'hui dans différents domaines telles que la médecine à la faveur des débats sur la transplantation des organes et le clonage.
Ce sens moderne ne se confond ni avec le droit "produit d'un état souverain qui rend obligatoire un comportement", ni avec la déontologie "ensemble de règles de pratiques professionnelles", ni avec la préoccupation économique opposant le juste au rentable, ni encore avec la conscience professionnelle, cette "pratique volontaire de la morale", ou la morale modernisée en éthique. Nous avons l'habitude d'entendre que "le droit décide, la morale commande, l'éthique recommande". Ajoutons, l'autodiscipline assure et rassure.
Le Bureau de Vérification de la Publicité créé en France en… 1935, le premier code de pratiques loyales en matière de publicité élaboré en … 1937 et sans cesse actualisé par la Chambre de Commerce Internationale (CCI), les organismes d'autodisciplines en Europe, en Amérique du Nord et sur d'autres continents, tous agissent pour le même idéal. Une publicité conforme à la loi, décente, loyale, véridique qui assume sa responsabilité sociale, économique et culturelle, quelle que soit le support utilisé, quelque soit la technique activée. A l'égard des entreprises, des enfants et adolescents, des femmes, des communautés, en matière de consommation, de santé, d'environnement…
Il faut reconnaître qu'à ce jour, aucun incident significatif n'est venu perturber gravement la quiétude du paysage publicitaire tunisien. La prévention est de mise et seul le souci d'anticipation préside à cette démarche. Et, il en est temps. Si en Europe, sous l'effet de l'autodiscipline, le taux de réclamation est de 0,1%, nous devons nous employer à le réviser encore à la baisse en Tunisie.
C'est un signe de maturité et une démonstration de responsabilité que de voir les publicitaires tunisiens et leurs partenaires que sont principalement les annonceurs et les médias s'engager dans la protection du consommateur. Les principes devront s'aligner à la pratique universelle et le dispositif d'autodiscipline préconisé devrait garantir "l'indépendance, la transparence, l'accessibilité au système, le traitement effectifs des questions soulevées, la mise en application des règles d'autodiscipline et de la loi et la coopération avec tous les partenaires." Faire de la communication un vecteur de progrès économique et social, l'expression de notre identité, et un secteur à haute densité d'emplois de cadres, attirant les meilleurs et encourageant les talents: tel est notre vœu le plus cher.
Taoufik HABAIEB
In La Presse, 12 mars 2003
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