Habib Achour: un ramadhan chaud
Le 5 août 1947, Habib Achour leader syndical homme vaillant et courageux, conduisait à Sfax, berceau et bastion de l’Union Générale Tunisienne du Travail, la grève générale décidée pour défendre le droit des ouvriers tunisiens de bénéficier d'un salaire minimum garanti. C’était le mardi dix-huitième jour du mois de ramadhan 1366 de l’Hégire.
Habitué aux privilèges et à l’exploitation de la Tunisie et des Tunisiens, le régime du protectorat et la classe des prépondérants ne voulaient pas d’un smig aux Tunisiens. ils voyaient d’ailleurs avec appréhension la montée en puissance de l’U.G.T.T et étaient persuadés que la jonction entre le mouvement syndical et le mouvement national sonnerait le glas du régime colonial.
Au terme d’une conférence de presse qu’il donna à Tunis la veille de la grève générale, le grand leader Ferhat Hached en faisant ses adieux à Habib Achour avant son retour à Sfax lui conseilla la prudence. Il sentait en effet que quelque chose de grave allait se passer. En effet, pour le régime colonial faute de pouvoir, contenir l’UGTT qui regroupait déjà en deux ans d’existence 80% des ouvriers Tunisiens, il fallait la briser. La ville de Sfax fut choisie comme théâtre d’opération pour la tâche. En plus du nombre élevé de ses ouvriers, la ville s’était distinguée par l’organisation la même année d’une grande manifestation au stade municipal pour célébrer la fête de l’Ourouba (Panarabisme). Au cours de cette manifestation, à laquelle avaient pris part activement les syndicalistes, le leader nationaliste Hédi Chaker, exalta l’unité de la nation et exhorta la population à se préparer pour arracher son droit à la liberté et à la dignité.
A la première heure du lundi 4 août 1947, la grève générale fut déclenchée et toucha tous les secteurs d’activités sauf ceux de la distribution de l’électricité, des vivres et de la santé. La ville arabe où siégeait la section régionale de l’UGTT à été le point de convergence des ouvriers et de la population, un grand rassemblement s’y était tenu à 2h du matin sur la place Khair-Eddine Barberousse devant la mosquée Sidi Belhassen Karray, un saint homme du dix-septième siècle très vénéré à Sfax où il s’était distingué par sa science et sa piété et également par son courage en s’opposant à la terrible tyrannie du gouverneur de son époque Attia Ben Jelli.
De la terrasse de la mosquée, Habib Achour s’adressa à la foule pour expliquer le plan d’action et recommander vigilance et solidarité pour faire face à toute tentative de casser la grève générale.
Fin navigateur, Habib Achour savait faire face à la montée des vagues et aux vents contraires. Ce qui importait pour lui c’était de réussir sa mission. J’ai connu l’homme avec sa grande silhouette et son sourire large, un mélange de bonté et de malice. En 1970, lorsqu’il reprena, un jour d’été à Sfax, la direction de l’UGTT; en 1972 où j’ai pu mesurer sa générosité, lorsque membres de la commission administrative de l’UGET, nous avions obtenu son soutien moral et matériel aux nombreux étudiants sans bourse et sans ressources; enfin dans les années 80 lors des négociations relatives aux questions touchant les agents du Ministère de l’Agriculture et des établissements publics qui lui sont rattachés.
A 3h du matin, du 4 août 1947 alors que l’heure du début du jeûne pointait à l’horizon, les grévistes prirent le contrôle des points sensibles et stratégiques de la ville et notamment la gare ferroviaire et le port de commerce. Le défi était lancé à l’ordre et l’économie coloniaux. Grève illimitée, l’arrêt du passage des trains et de l’embarquement des phosphates venant de Gafsa asphyxiera rapidement l’économie coloniale basée sur l’exploitation et l’exportation des matières premières et mettra en évidence la puissance de l’UGTT comme seul et unique représentant du monde du travail. La journée du 4 Août se passa entre manœuvres et réquisitions ponctuées par des menaces d’usage de la force .Les grévistes et la direction syndicale restaient inflexibles.
C’est au cours de la nuit du 4 au 5 août que le régime colonial décida d’utiliser la force contre les grévistes. Au petit matin, les forces de police et de l’armée furent dirigées sur les lieux de la grève. Face au refus d’évacuer, et prétextant l’infiltration d’éléments étrangers, les forces de répression ouvrirent le feu sur les grévistes. Toutes les armes avaient été utilisées: chars d’assaut, mitrailleuses lourdes, le commissaire de police de Sfax tira sur Habib Achour qui fut blessé. Le premier martyr à tomber, était Rachid Gharbi suivi de son frère Mohamed qui en voulant lui porter secours, fut descendu à son tour. Le bilan était terrible, 26 tués et plusieurs dizaines de blessés .C’était un véritable champ de bataille, cris, hurlements, cadavres et blessés gisant sur le champs d’honneur de la patrie. La population se porta au secours des grévistes, les blessés furent transportés d’urgence par les moyens de bord: charrettes, brouettes vers l’hôpital. Puis, le même jour de grandioses funérailles furent organisées pour enterrer les martyrs au mausolé de sidi M’hamed Karray .
Le 5 Août 1947 a ravivé la flamme de la résistance et scellé la jonction entre le mouvement social et le mouvement national.
Inquiète de la gravité des événements de Sfax et de leurs retombés, la presse française de la métropole se porta à le rescousse d’un régime colonial honni et isolé. Les journaux qu'ils soient de droite comme l’Aurore ou de gauche comme le Populaire abondaient dans ce sens en faisant endosser la responsabilité du carnage à l’U.G.T.T : la victime coupable.
Le journal le Figaro pour sa part, redoutait que les événements du 5 Août 1947 puissent ouvrir la voie à une révolution en Tunisie. Il ne s’y trompait pas. Cinq ans plus tard, la Tunisie se dressait toute entière en action contre l’ordre colonial.
Si un jour vous vous trouverez du côté de la gare de Sfax, arrêtez vous pour récitez la Fatiha au mémorial des martyrs du 5 Août 1947, le mémorial édifié dans les années 60 nécessite certes un meilleur entretien et une meilleure mise en valeur pour consolider la mémoire collective et rappeler aux jeunes générations « que la sauvegarde de l’indépendance est tout aussi importante que son obtention ».
Nous reproduirons si dessous les noms des 26 martyrs du Ramadhan d’été 1366 :
Un dernier mot, la mosquée de Sidi Belhassen , un des plus beaux bâtiments historiques de la ville arabe, de la terrasse de la laquelle Habib Achour s’est adressé aux grévistes se trouve depuis quelques temps fermée pour risque d’effondrement de son toit .A quand sa restauration ?
ABOU OLFA
Les martyrs du 5 Août 1947 :
- Abdelwahab Gharbi
- Hédi Mahdi
- Jileni Elamari
- Salah Ben Abdelkarim
- Ahmed Safi
- Mohamed Gharbi
- Ahmed Trabelsi
- Hachmi Lajnef
- Salah Lousif
- Mokhtar Ben Jrad
- Fraj Bou Sarsar
- Habib ben Abderrahmen
- Mahmoud Gargouri
- Amor Hammami
- Maasoud Ben Khalifa
- Ahmed Haj Taieb
- Ali Medhioub
- Mohamed El Ajangui
- Ali Bahloul
- Abdessalem Kriâa
- Ali Ben Nasr
- Mohamed Trabelsi
- Houcine Ben Amor
- Houcine Trabelsi
- Salem Sallem
- Mohamed Essghaeir
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abou olfa ton article est si eloquent qu il se passe de commentaires ; mais heureusement que l histoire a une mémoire