Amel Belkhiria: L'étoile montante d'Al Joumhouri
Il n’y a pas que des dinosaures dans les grands partis politiques. Des jeunes font leur percée. Il a fallu la voir sur la télévision publique allemande Deutsche Welle, en langue arabe, relayée par les réseaux sociaux, pour que les Tunisiens découvrent en effet les talents de pugnace débatteuse d’Amel Belkhiria. Face à Sahbi Attig, président du groupe Ennahdha à la Constituante, la toute frêle représentante d’Al Joumhouri a fait bonne figure. Dans cet exercice délicat des «Nouveaux débats arabes», les organisateurs partent d’une motion de base qui était ce soir-là : «La Tunisie risque-t-elle de se retrouver hors contrôle ?» en appelant deux invités à plaider contradictoirement pour leurs points de vue et répondre aux questions du public, désigné en arbitre, en essayant de le faire changer d’opinion. Le premier exercice qui avait opposé, en anglais, Noomane El Fehri (Joumhouri), à Amel Azouz (Ennahdha) était modéré par Tim Sébastien de la BBC, alors que le second, en arabe, a été confié à l’Egyptienne May Cherbini. Un format original des débats télévisés classiques.
Au début de l’émission, le public avait voté à 54% en faveur des risques d’entrer en zone de fortes turbulences. Sa conviction sera renforcée à hauteur de 68% en fin d’émission. Les arguments d’Amel ont été convaincants. «L’essentiel n’était pas de ternir l’image du pays ou de propager un sentiment d’insécurité, se défend-elle. Mais, de souligner les menaces réelles qui s’exercent afin de les atténuer au maximum». Il faut dire que pendant près d’une semaine, elle s’était bien préparée à cette prestation, soutenue par l’équipe Com de son parti, bénéficiant du coaching de Lotfi Saïbi. «Ce n’est cependant pas sans appréhension que de se retrouver face à un ténor d’Ennahdha. L’essentiel n’était pas de parler, mais d’argumenter et convaincre et, sur ce registre, les faits et les positions ne me manquent pas».
Il est vrai que de la première rangée réservée au public, deux autres constituants d’Ennahdha, Habib Khedher et Amel Azouz, ont failli la désarçonner en lui demandant pourquoi elle n’avait pas attaqué auparavant, au nom d’Al Joumhoury, les décisions du gouvernement Essebsi. Réponse spontanée : «Al Joumhoury n’a été fondé qu’en avril 2012, sous le gouvernement Jebali». L’impact est immédiat. Ceux qui ne connaissaient pas Amel Belkhiria la croyaient avocate de profession, tellement elle maîtrise bien l’arabe et le sens de la plaidoirie, et engagée dans la politique de longue date. Pourtant, cette pharmacienne, exerçant dans la promotion médicale, n’a fait son entrée en politique qu’après le 14 Janvier. Parcours.
Avant c’étaient les réussites personnelles…
Orpheline à l’âge de 4 ans, elle a été élevée ainsi que sa sœur cadette, aujourd’hui médecin, par une maman croyante et studieuse, fidèle aux nobles valeurs laissées par le père et qui a toujours fait de la réussite scolaire et professionnelle un véritable objectif. Dès ses études primaires à la rue de Pologne, près de Bab Saâdoun, son directeur Sadok Nagra l’encourageait à maîtriser les deux langues et à s’imprégner du Livre saint qu’elle avait commencé à apprendre au kouttab de la Zitouna. Brillante, elle ira au Lycée pilote Bourguiba, puis à la faculté de Pharmacie de Monastir. Inscrite sur la liste pour obtenir une officine, et devant alors attendre son tour, elle s’engagera comme beaucoup de ses confrères dans la promotion médicale, d’abord en tant que déléguée puis promue chef d’équipe. La politique comme l’action associative ne l’intéressaient pas beaucoup. «La marge de manœuvre y était fort réduite, dit-elle à Leaders. Mais, d’un seul coup, la révolution est venue nous ouvrir de très larges horizons. J’ai soudain compris qu’on a désormais la possibilité de changer soi-même et de participer à changer les choses. Avant, c’étaient les réussites personnelles qui comptaient. Aujourd’hui, c’est le succès collectif qui importe le plus».
Se lançant dans l’arène, elle commencera à fouiner les opportunités qui se présentent en essayant les caravanes de solidarité, explorant l’associatif, visitant les partis politiques et discutant avec leurs membres et leurs dirigeants. A la faveur d’une discussion informelle, elle intègre en mars 2011 le tout jeune parti La Voie du Centre, fondé par Youssef Chahed. «Ce qui m’y a attirée, dit-elle, c’est qu’il s’agit d’un parti de jeunes, à caractère pragmatique, loin de toute idéologie figée contraignante et se destinant pour le long terme ». Commence alors un passionnant parcours jalonné de fusions successives.
La chance de côtoyer les ténors et d’apprendre auprès d’eux
La Voie du Centre participe à la création du Pôle Démocratique Moderniste (PDM) et Amel se trouvera, lors des élections du 23 octobre, numéro 2 sur la liste du Pôle à Tunis 2, conduite par Ahmed Brahim. «Côtoyer de grands militants de la gauche comme Si Ahmed, Jounaidi Abdeljaoued, Mahmoud Ben Romdhane, Samir Taieb, Fadhel Moussa et autres, dit-elle, est enrichissant pour des novices comme nous». La campagne électorale fut pour elle aussi passionnante qu’instructive, même si elle ne réalisera pas toutes ses espérances. Se soldant par ce qui a été considéré comme une «débâcle historique» pour n’avoir pu obtenir que 5 sièges à la Constituante, cette expérience laissera un goût amer et finira par susciter des scissions. «On a tous vu que la formule de Pôle, sans structures, ni instances, ne peut fonctionner utilement, souligne Amel Belkhiria. Dès le 24 octobre 2011, on a commencé à se poser ces questions. On fusionne avec le Parti républicain fondé par Abdelaziz Belkhoja qui a finalement préféré partir, cédant les rênes à Salim Azzabi. J’en serai le porte-parole. En décembre 2011, nous sommes contactés par Afek Tounes pour un rapprochement, voire une fusion devant se réaliser également avec le PDP. Ce sera fait le 11 janvier 2012. Dernière étape, la fusion générale au sein d’Al Joumhouri, le 9 avril 2012».
Amel se retrouvera membre du comité central et sera désignée porte-parole adjointe, tout en faisant partie du comité directeur de la Fédération de Tunis 2. «J’estime avoir une chance inouïe que beaucoup de jeunes de mon âge n’ont pas eue, affirme-t-elle à Leaders. En 18 mois seulement, j’ai côtoyé les ténors de l’opposition démocratique et je me retrouve dans un parti structuré, agissant et me voilà le représenter dans ce débat télévisé. J’avais fait auparavant quelques plateaux télévisés, en interview ou débats sans public, mais ce dernier exercice est particulièrement délicat. J’ai essayé d’oublier qui j’avais en face de moi, pour me concentrer sur mes arguments à développer et les contre-arguments à opposer, tout en étant brève et percutante. J’espère m’en être pas mal sortie. En fait, je dois m’y exercer davantage».
Quand on lui demande quelle sera sa prochaine étape dans son engagement militant, Amel Belkhiria affiche beaucoup de modestie. «Je ne suis pas pressée pour occuper des positions avancées, répond-elle. Je bénéficie au sein d’Al Joumhoury d’une bonne synthèse de différentes écoles et générations et nous sommes tous conscients que nous n’avancerons que par une démarche pragmatique, fondée sur nos valeurs, notre identité et notre longue histoire. C’est pour moi un large champ d’action où je dois apporter ma contribution avant de penser à quoi que ce soit».
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Bravo jeune fille. J'ai suivi le fameux débat et, bien que bien trop polie face à cet automate de Atig et ce prétentieux Habib Khedher, je vous ai trouvée très habile, beaucoup plus claire que les trois nahdhaouis réunis et beaucoup plus convaincante. Honnêtement, vous m’avez réconcilié avec la jeunesse tunisienne que je croyais terne, démoralisée et sans préoccupation d’avenir. Merci pour cet air nouveau, frais et vivifiant que vous avez insufflé dans nos cœurs et dans nos têtes et j’espère que beaucoup de démocrates avaient apprécié ce bon moment autant que je l’ai apprécié. On compte sur des jeunes comme vous pour sillonner le pays et convaincre ceux qui avaient voté pour ennahdha ou ses amis parce qu’ayant une référence religieuse pour les uns, parti de Dieu comme disait mon pauvre frère et donc supposé honnête et intègre, et anciens résistants pour les autres, faux laïcs et avides de pouvoir surtout. Courage et ne lâchez pas le combat, la Tunisie et les Tunisiens sauront vous récompenser à la hauteur des services que vous êtes en train de leur rendre.
Félicitations . Poursuivez et persistez,car les pistes de la politique sont si cahoteuses et tortueuses.Alors bon courage et bonne réussite!
L'article dit "tellement elle maîtrise bien l’arabe ". En faite, elle ne maîtrise pas l'arabe.. Elle a parlé le dialecte tunisien..
Sahbi Atig a un gros problème,c'est l'homme qui utilise le plus le mot "démocratie"dans tous ses débats,on a l'impression par moment,que nous sommes face à un démocrate du parti républicain américain? Je peux vous assurer que,c'est très flagrant dans toutes ses prestations ! Imaginez que vous êtes en face de Hamma Hammami,entrain de vous faire une dissertation sur les valeurs véhiculées par l'Islam,auréolée de hadith et autres recommandations du ou des prophète(s) ? Vous l'aurez compris,je n'ai pas besoin de vous faire un dessin;cet homme en fait trop,et insiste à chacune de ses sorties,pour nous faire croire,que,plus démocrate que lui tu meurs,la ficelle est trop grosse,vous trouvez pas ?
BRAVO CES JEUNES FEMMES DE LA SOCIÉTE CIVILE EN TUNISIE
Bravo Amel. L'utilisation du dialecte tunisien a ajouté de la fraîcheur et de l'authenticité à tes propos. On t'a sentie plus proche de nous ya gh'zala tounsyya.
Bravo Amel. Esperons que ta generation et celle plus jeune ou il ya un grand nombre de jeunes brillantes, fassent le pas comme toi et s investissent dans la vie publique pour lavenir de ce pays aujour dhui en difficulte> A vous de prouver que la liberation de la femme depuis les premieres annees de l Independance, ne s arrete pas seulement a fournir le pays en cadres techniques et administratifs mais aussi a lui ouvrir le champ politique, jusque la champ presque reserve aux hommes>